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Oresta, la vie plus forte que tout

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Oresta, dans sa permanence d’accueil pour les réfugiés au centre de PKPS de Przemysl. Septembre 2022. ©JM Rayapen/SPF

Depuis six mois, l’Ukraine est en guerre. Pour sauver la vie de ses enfants, Oresta a quitté son pays et s’est réfugiée à Przemysl, ville polonaise frontalière. Elle s’est tout de suite engagée, en tant qu’interprète mais aussi psychologue et enseignante, ses deux métiers, pour accueillir les milliers de familles qui venaient s’y réfugier. Elle tient aujourd’hui la permanence d’accueil et d’orientation pour les réfugiés à Przemysl, coordonnée par PKPS, le partenaire polonais du Secours populaire. Rencontre.

« C’est ma fille qui m’a appris que la guerre avait éclaté. Le 24 février, elle m’a appelée à l’aube, en pleurs, me disant que des bombes venaient d’exploser sur deux immeubles juste à côté de chez elle. Je l’ai rassurée, lui ai dit de se calmer, que c’était juste un cauchemar… » Mais ce n’était bien sûr pas un cauchemar. Oresta demande alors à sa fille, Kate, de la rejoindre le plus vite possible : « J’étais terrorisée pour mon enfant. Ont alors commencé les vingt-six heures les plus longues de mon existence », confie Oresta. Elle sait sa fille coincée dans la foule qui se presse sur le parvis de la gare de Vinnytsia, capitale régionale de la Podolie, où elle est étudiante en troisième année de médecine au sein de la centenaire université Pirogov. Le temps est glacial et en raison d’une alerte à la bombe, l’enceinte de la gare est fermée. Après une longue attente puis un voyage chaotique en direction de l’Ouest, Kate parvient épuisée chez ses parents à Boryslav, près de Lviv, le 25 février en fin de matinée. C’est pendant qu’elle dort qu’Oresta prend, en quelques minutes, sa décision : pour protéger ses enfants – Andrew a 18 ans, deux ans de moins que sa sœur –, elle doit quitter l’Ukraine. Tout laisser derrière elle : ses parents, son mari, ses métiers de psychologue dans un centre de réhabilitation et de professeure de mathématiques. « Je me rends compte aujourd’hui à quel point ma vie était belle en Ukraine », lâche Oresta. « J’étais… (sa voix se brise un temps) Non, je suis une épouse heureuse, une mère heureuse, une fille heureuse. Mais c’était la seule décision que je pouvais prendre », analyse-t-elle. « Il me fallait les sauver de cette guerre, de l’horreur et de l’angoisse qui ont déjà frappé ma grand-mère lors de la Seconde Guerre mondiale et ont détruit sa vie. »

« Nous nous sommes entraidées ; il n’y avait aucune place pour la haine. » 

Le lendemain, 26 février, Oresta et ses deux enfants quittent Boryslav et prennent la direction de Bunkovychi, un village près de la frontière polonaise qu’Oresta connaît car son cousin y réside. À 18 heures ce jour-là, ils s’y fondent dans l’interminable queue composée de réfugiés originaires de villes bombardées – Kiev, Boutcha, Irpin et tant d’autres. La neige tombe sans discontinuer en fins flocons. Ils foulent le sol polonais le lendemain, quelques minutes avant minuit, avant d’être transportés dans un car jusqu’à la ville frontière de Przemysl. « J’espère que ce voyage demeurera le plus difficile de mon existence et de celle de mes enfants », souffle Oresta. « Ce furent trente-cinq heures éprouvantes. Une expérience horrible mais en même temps très tendre. Nous n’étions que des femmes avec des enfants, nous nous sommes soutenues, entraidées. Il n’y avait aucune place, alors, pour la haine. » À la descente du car, aux premières lueurs du jour, des familles polonaises sont là pour accueillir les réfugiés ; l’une d’elles invite Oresta, Kate et Andrew à venir s’installer quelque temps chez elle. « Mes enfants ont leurs grands-parents en Ukraine et, à présent, ils ont des grands-parents polonais. Ce couple qui nous a accueillis, ils ont un cœur grand comme ça », sourit Oresta. « Quand je les remercie, ils me disent qu’ils ont juste fait ce qu’ils devaient faire, que c’était la décision juste à prendre. » Une fois ses forces recouvrées, Oresta n’a qu’une idée en tête : aider à son tour. Pour elle aussi, c’est la seule décision juste à prendre.

« Ces jeunes mamans savent que je suis toujours disponible pour les écouter. »

Oresta et ses enfants s’engagent d’abord auprès des bénévoles qui s’activent dans le centre d’hébergement improvisé dans l’une des écoles de Przemysl. Leur concours est précieux : les volontaires ne parlant ni ukrainien ni russe, ils font office d’interprètes et aident les centaines de familles réfugiées en transit qui y séjournent à exprimer leurs besoins, tout en les orientant au mieux. C’est la première rencontre d’Oresta avec PKPS, le partenaire polonais du Secours populaire, dont les bénévoles sont très mobilisés dans la vie quotidienne du centre. Deux semaines plus tard, elle retrouvera d’autres bénévoles de PKPS, lorsqu’elle s’engage à la gare de Przemysl, en tant qu’interprète et psychologue. Durant quatre mois, de mars à juin, elle travaille auprès des familles qui, comme elle, ont tout quitté et descendent de train épuisées, démunies. Le simple fait d’entendre de la bouche d’Oresta des mots ukrainiens, « la langue de la maison », les réconforte, les apaise, et permet de nouer une relation de confiance. Parce qu’Oresta est passée par où ces femmes passent alors, elle sait trouver les mots et les gestes qui, après la peur, la violence et l’exil, convoquent l’humanité. Renouer avec son travail de psychologue lui apporte une joie immense. « Devenir psychologue était mon rêve d’enfant et, pour le réaliser, j’ai dû retourner à l’université de Lviv alors que j’élevais mes enfants, travailler plus pour payer ces nouvelles études, se souvient Oresta. J’aime les gens, j’aime les écouter et les aider. J’aime la vie tout simplement – la vie est plus forte que tout. » De cette expérience, dans laquelle elle a jeté toutes ses forces, Oresta garde un souvenir vibrant. Elle est fidélité à son pays et son peuple, en même temps que lien tissé avec le pays dans lequel elle a trouvé refuge : « À la gare, je n’aidais pas que les Ukrainiens ; les Polonais me disaient que je les aidais tout autant, éclaire-t-elle. En leur expliquant ce dont avaient exactement besoin les réfugiés qui arrivaient, je les aidais à faire leur travail plus efficacement. »

Oresta, la vie plus forte que tout
Oresta Shtogryn, le 1er septembre 2022 à Przemysl en Pologne, où elle a trouvé refuge et travaille. ©JM Rayapen/SPF

« Je pleure souvent. Comme tous les réfugiés d’Ukraine. »

Début juillet, Oresta a intégré l’équipe de PKPS pour animer la permanence d’accueil  montée en direction des réfugiés qui souhaitent s’installer à Przemysl. Cette permanence, mise en place grâce au soutien du Secours populaire, apporte aux femmes ukrainiennes un soutien psychologique ainsi qu’une aide aux démarches administratives, leur permettant de trouver un logement, scolariser leurs enfants, régulariser leur situation, suivre des cours de polonais ou encore trouver une formation, un travail. « Je suis auprès d’elles. Je les aide dans tous les aspects de la vie quotidienne, dans toutes leurs démarches, avance-t-elle. Elles me confient leurs tourments quand elles viennent à la permanence ; il nous arrive aussi de discuter sur un banc au bord de la rivière, à la sortie de l’école, en faisant une promenade ou même les courses ! Elles savent que je suis toujours disponible pour les écouter. » Ces jeunes mères sont prises en étau entre la peur qu’elles nourrissent pour leurs proches restés au pays et la souffrance de vivre une situation de pauvreté et de privations – « devoir expliquer à leurs enfants qu’elles n’ont pas d’argent, qu’elles ne peuvent pas leur acheter ceci, leur offrir cela, ça les plonge dans le désespoir », souligne Oresta, avant d’ajouter : « Ces jeunes mamans sont aussi très inquiètes pour l’éducation de leurs enfants. » À côté de son emploi à PKPS, Oresta est également professeure de mathématiques et d’anglais dans une école privée polonaise. Sur ce plan-là aussi, elle s’engage auprès des écoliers ukrainiens. Les samedis matin, elle fait du soutien scolaire pour les enfants des femmes qu’elle accompagne au quotidien. C’est ainsi qu’elle a proposé à PKPS d’offrir aux enfants réfugiés de Przemysl, pour la Saint-Nicolas, des livres de contes en polonais.

« Il faut que je vous dise une excellente nouvelle ! » Un large sourire éclaire le visage de l’Ukrainienne. « Hier, ma fille a été admise à l’université polonaise. Elle va pouvoir poursuivre ses études de médecine. Mon mari et moi espérons qu’elle deviendra la meilleure docteure du monde ! » Oresta décrit une jeune femme passionnée par ses études, animée par le désir de « sauver le monde », elle aussi engagée bénévolement dans l’accompagnement scolaire des enfants exilés. « Je ne saurais vous décrire l’émotion que nous avons ressentie à cette nouvelle », exprime Oresta, avant de confier : « Nous avons pleuré elle et moi. C’est un tel soulagement, c’est la vie qui continue. Pendant plus de trois mois, Kate n’a pas pu dormir ni pleurer car elle était sous le choc, terrorisée et en état de stress permanent. » Ces larmes, Oresta les accueille volontiers. « Ici, je pleure souvent. Comme tous les réfugiés d’Ukraine. C’est épuisant bien sûr, mais pleurer permet d’exprimer ses émotions et de se sentir mieux ! » Il nous faut à présent quitter Oresta – Camilla et Nastia, deux petites filles, l’attendent pour un cours de soutien scolaire. Elle nous glisse une dernière parole : « Merci au Secours populaire et à PKPS pour ce que vous faites pour le peuple ukrainien. Vous rendez le monde meilleur. Vous montrez aux gens qu’il est possible d’agir. Alors, vous aussi, vous êtes un peu des enseignants ! »

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