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Odessa : « Les enfants vivent au rythme des raids aériens »

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Liudmyla Havryliuk, lors d'une distribution de son association Four Leaf Clover, offre aux enfants d'Odessa des fruits ainsi que toute l'attention qu'ils requièrent - Gare centrale d'Odessa, 17 mars 2022. ©Four-Leaf Clover/SPF

Depuis le début de la guerre en Ukraine, le Secours populaire se porte aux côtés de ses partenaires afin de venir en aide à la population civile qui fuit les combats. Avec PKPS, des actions sont développées en Pologne afin de concourir à la propreté et à l’hygiène des centres d’accueil et d’hébergement pour les réfugiés. En Ukraine même, pour les habitants d’Odessa ou les personnes qui s’y sont déplacées, des distributions de nourriture et de produits hygiéniques sont effectuées avec l’association ukrainienne Ukrainian Association of Solidarity – Four-Leaf Clover. Liudmyla Havryliuk, sa présidente, témoigne de la situation sur place ainsi que de la solidarité qui y est déployée.

Vous revenez d’une mission effectuée à Odessa du 14 au 19 mars 2022. Quels en étaient les objectifs ?

L’objectif principal était de soutenir et amplifier les actions mises en place en Ukraine même : la distribution quotidienne de repas ainsi que de colis alimentaires, de produits d’hygiène et de jouets pour environ 500 familles d’Odessa – des familles en transit ou des familles pauvres d’Odessa. Four-Leaf Clover, partenaire ukrainien du SPF, a la possibilité d’agir à l’intérieur du pays : nous pouvions donc venir en aide aux personnes qui sont toujours en Ukraine. Soit parce qu’elles n’ont pas la possibilité de fuir le pays, n’ayant pas d’argent, pas de voiture ou tout simplement pas la force… Soit parce qu’elles choisissent de rester, comme beaucoup de femmes qui veulent être près de leur mari mobilisé, beaucoup de personnes âgées qui ne peuvent pas se résoudre à quitter leur maison. Notre choix s’est porté sur Odessa car elle n’a pas encore trop souffert des assauts militaires et demeure un endroit relativement sûr, et est un lieu qui rassemble de nombreuses populations déplacées, qui ont fui des villes et des quartiers qui sont la cible de bombardements et de tirs continuels. Pour toutes ces personnes qui fuient leurs foyers, Odessa représente un possible refuge.

Comment se sont déroulées ces distributions ?

Les besoins à Odessa sont immenses. Une fois par jour, nous organisons à la gare centrale une distribution de boissons et de repas chauds à l’heure du déjeuner. Une partie des produits est achetée par les volontaires grâce à l’aide du Secours populaire, une autre est offerte par des restaurants partenaires. Il y a aussi des supermarchés qui offrent des céréales, des pommes de terre ou des légumes. La municipalité aménage au sein de la gare un périmètre sécurisé qui permet à nos bénévoles d’agir dans le respect des règles et avec sérénité. Nous remettons aux familles des colis alimentaires qui contiennent également des produits d’hygiène. Les volontaires les apportent aux familles qui ne peuvent pas se déplacer, soit parce qu’elles sont terrorisées et n’osent plus sortir, soit parce que ce sont des personnes handicapées ou très âgées. A l’occasion de la mission, et avec le soutien financier du Secours populaire, nous avons pu acheter de quoi assurer ces distributions « au porte à porte », au plus près de ces personnes démunies. Enfin, nous nous sommes rendus au camp de réfugiés de Mayaki, près de la frontière moldave, apporter des vivres ainsi que des couvertures chaudes.

J’aime appeler nos volontaires les « soldats de la lumière » ; leur combat est d’aider les gens à survivre.

C’est grâce à la mobilisation des volontaires de l’association que vous présidez, Four-Leaf Clover, que cette action de solidarité a été rendue possible…

C’est en fédérant les forces des bénévoles de l’association, de nos partenaires et de la municipalité, que nous avons pu organiser cette grande opération de solidarité. Je ne suis pas partie de zéro ! Four-Leaf Clover est active depuis le premier jour de la guerre : il s’agissait de renforcer l’action de nos volontaires – de nos « soldats de la lumière », comme j’aime à les appeler. De justes guerriers, dont le combat est d’aider les gens à survivre. Tous partagent le désir de donner de leur temps, de s’engager totalement en ces temps si difficiles. C’est au final une équipe, mouvante, de 70 personnes de toutes conditions, toutes compétences : certains s’occupent des livraisons, d’autres de cuisiner les repas chauds, certains de la logistique, d’autres du soutien psychologique ou de l’aide médicale. Certains s’occupent de réaliser les achats tandis que d’autres confectionnent les colis. Il y a des jeunes et des plus âgés, il y a même des enfants. Ces derniers participent activement à nos actions, ils sont plein d’idées et savent convaincre d’autres enfants de nous rejoindre. C’est ainsi qu’à Four-Leaf Clover, nous envisageons la solidarité.

L’heure n’est plus à la panique mais à une horreur silencieuse.

Comment se passe la vie à Odessa aujourd’hui et quel est l’état d’esprit de ses habitants ?

Depuis le début de la guerre, un tiers environ de la population d’Odessa a fui la ville. Mais en même temps, il y a un afflux de familles qui viennent s’y réfugier. C’est un lieu de transit, de mouvement de population mais tout y est à l’arrêt. Un couvre-feu y est en vigueur de 20h à 6h du matin et, même dans la journée, de nombreux commerces sont fermés, ainsi que les écoles… L’heure n’est plus à la panique mais à une horreur silencieuse, une attente douloureuse : les habitants sont aux prises avec l’angoisse, l’épuisement et le désœuvrement. Que ressentir d’autre quand on ne sait pas si l’on pourra mettre à manger dans l’assiette de ses enfants le lendemain ? Les familles qui ont fui les campagnes ont traditionnellement plus d’enfants que les familles urbaines et pour elles, le désœuvrement est peut-être plus cruel encore, d’autant plus qu’il se conjugue avec un déracinement. Il était primordial, pour le SPF et Four-Leaf Clover, de soutenir les populations pauvres ou déplacées d’Odessa, de les aider de toutes nos forces…

Odessa Les enfants vivent au rythme des raids aériens
Anna Ivanovna Zavgorodnaya a 72 ans ; elle vivait seule dans sa maison à Kherson et a dû fuir les combats. Elle est hébergée dans le centre pour réfugiés de Mayaki, à une cinquantaine de kilomètres d’Odessa, où les volontaires de Four-Leaf Clover lui ont remis un colis alimentaire et ont passé du temps en sa compagnie. 17 mars 2022. ©Four-Leaf Clover / SPF

Votre association est très attachée à la question de l’enfance. Comment décririez-vous l’état d’esprit des enfants ?

Les enfants sont sensibles et ils ressentent plus intensément encore les changements dans le quotidien, dans l’atmosphère. Ils s’imprègnent de l’humeur et des sentiments de leurs parents et de leur entourage. Ils vivent aujourd’hui au son des alarmes et des raids aériens, au rythme des descentes dans les caves où la population se terre. C’est évidemment très difficile pour eux, nombreux sont ceux qui sont traumatisés. Parmi les volontaires de l’association, nous avons des psychologues qui peuvent leur venir en aide, des art-thérapeutes qui mettent en place des ateliers. A l’occasion des distributions, nous avons souhaité ajouter dans les colis des jouets pour les enfants. Nous leur avons aussi offert des fruits : des bananes, des mandarines. Ils ne mangent plus jamais de produits frais… leurs repas se réduisent aujourd’hui à un plat de riz ou de céréales. L’enjeu, pour leur famille, c’est la survie. Il n’y a plus de place pour les plaisirs de l’enfance…

Je n’ai pas été témoin de personnes en colère ou violentes. Toutes leurs forces, les Ukrainiens les consacrent à penser aux êtres aimés. C’est un peuple qui n’a jamais été aussi uni. 

Dans le temps court de votre mission, vous avez cependant rencontré beaucoup de personnes. Y a-t-il une rencontre en particulier que vous pourriez évoquer ?

Je repense à un homme, oui… C’était lors d’une distribution à la gare, il faisait partie des forces de l’ordre. Il était envahi par la tristesse : il avait mis sa famille en sécurité en Pologne. Sa femme doit donner naissance à leur enfant dans une semaine ou deux… et cet enfant naîtra de l’autre côté de la frontière. C’est dans ce genre de situation qu’on peut vraiment comprendre ce qu’est la guerre : elle sépare les gens, déchire les familles, détruit les peuples. Elle crée de l’angoisse et fabrique du désespoir. Cet homme n’espérait qu’une chose : que tout cela se termine le plus vite possible. Il n’était pas agressif. D’ailleurs, je n’ai pas été témoin de personnes en colère ou violentes. Toutes leurs forces, les Ukrainiens les consacrent à penser aux êtres aimés. C’est un peuple qui n’a jamais été aussi uni. Aujourd’hui en Ukraine, les gens donnent le meilleur d’eux-mêmes car ils sont animés par un espoir : que cela se termine bientôt, être enfin réunis, dans notre pays, avec nos enfants, nos maris et nos femmes, nos parents. Il y a toute cette tristesse bien sûr, mais il y aussi cette énergie positive à Odessa.

L’horreur de la guerre m’a saisie de plein fouet. Je me suis sentie oppressée, affligée. Mais très vite je suis revenue à mon objectif : ma mission.

Quand la guerre a éclaté, vous étiez en France où vous séjournez un temps pour des raisons professionnelles. C’était la première fois que vous reveniez dans votre pays depuis le début de la guerre. Quels sentiments vous ont traversée ?

Un sentiment de déjà-vu… Je réside à Odessa mais je suis originaire de Donetsk dans le Donbass. J’ai déménagé à Odessa quelques années après avoir obtenu mon diplôme universitaire, en 2007 environ – sept ans avant la guerre du Donbass donc. Revenir à Odessa m’a rappelé ce que j’éprouvais quand je revenais, à partir de 2014, à Donetsk : ce n’est plus la même ville, son esprit a changé. Cette horreur – l’horreur de la guerre – m’a saisie de plein fouet. Je me suis sentie oppressée, affligée. Mais très vite je suis revenue à mon objectif : ma mission. J’ai la possibilité d’aider les gens et c’est de ma responsabilité de le faire : penser à cela m’a donné du courage, de la force. Je suis arrivée le mardi 15 mars au soir. Nous sommes entrés par la frontière roumaine. Il me fallait à tout prix arriver chez moi avant le couvre-feu. Toute la route, qui était rythmée par les barrages et les check-points, je n’ai pensé qu’à ça. Le lendemain, je me suis levée tôt, vers 5h30. Il faisait déjà jour dehors. J’éprouvais un sentiment étrange et puis j’ai compris. J’ai ouvert les fenêtres et le bruit des alarmes a envahi la pièce. Mais j’ai refermé la fenêtre, je me suis ressaisie et me suis dit : peu importe. Mon peuple, mes volontaires, mes partenaires sont à mes côtés : je sais ce que j’ai à faire et je vais le faire. Nous allons le faire. Et nous l’avons fait.

Odessa Les enfants vivent au rythme des raids aériens
Liudmyla Havryliuk, présidente de l’association Four-Leaf Clover, partenaire du Secours populaire en Ukraine – Mars 2022 – Jean-Marie Rayapen/SPF

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