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Ukraine : la solidarité aux frontières

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
©Daniel Leal / AFP

Le 24 février, la guerre est déclarée en Ukraine et sa population fuit la violence des bombes. 1 million de personnes sont déplacées, près de 800 000 ont cherché refuge dans un autre pays. La situation humanitaire est dramatique. Ce même 24 février, le Secours populaire prend attache avec ses partenaires en Ukraine et en Pologne afin d’imaginer avec eux des programmes d’aide aux populations, demeurées dans le pays ou réfugiées aux frontières moldave, polonaise et slovaque. Le Secours populaire a débloqué un fonds d’urgence de 50 000 euros et s’apprête à envoyer deux missions sur place. L’Ukrainienne Liudmyla Havryliuk, présidente de Four-Leaf Clover et le Polonais Sergo Kuruliszwilli, directeur du PKPS, ses partenaires, témoignent. Reportage

Le 24 février, le bruit des bombes réveille la population ukrainienne, révélant que le conflit entre l’Ukraine et la Russie, qui depuis 2014 fait rage à l’est du pays dans le Donbass, s’est mué en une guerre déclarée. C’est le réveil d’un peuple qui a, jusqu’aux derniers instants, refusé de croire qu’une telle extrémité puisse être atteinte et que la violence l’emporterait – un peuple que le choc et la terreur saisissent d’un coup. Ce même jour, le Secours populaire prend attache avec son partenaire sur place, l’association de solidarité Four-Leaf Clover. Tandis que la panique s’empare d’un pays qui devient le théâtre de files d’attente interminables devant les stations-services et les magasins, de banques désertées et de longs cortèges d’exil le long des routes, le travail de solidarité internationale se met en place. Depuis 2019, le Secours populaire et Four-Leaf Clover (FLC) travaillent ensemble sur des programmes de soutien aux familles pauvres d’Ukraine dont la fragilité s’est accentuée avec la crise économique liée au Covid-19, avec une attention particulière aux enfants, souffrant de la misère ou orphelins. Liés par cette expérience et par les valeurs communes d’une solidarité inconditionnelle et soucieuse de la dignité, ils imaginent dans l’urgence un programme d’aide pour les populations civiles de la région méridionale d’Odessa, où est implantée l’association.

La majorité des Ukrainiens n’ont pas les moyens de s’enfuir

« Odessa est le principal port de l’Ukraine, tout près de la frontière moldave et près aussi de la frontière roumaine. C’est un endroit stratégique et c’est ce qui fait qu’il a été intensément bombardé », témoigne Liudmyla Havryliuk, présidente de FLC. « Il y règne une situation de chaos. Il y a ceux qui souhaitent quitter le pays et alimentent la file d’attente à ciel ouvert, de près de 80 km de long, qui s’est formée le long de la frontière. Il y a ceux qui fuient les bombes et cherchent un abri pour sauver leur vie. » Liudmyla raconte le piège qu’est devenu son pays et qui s’est refermé sur ses habitants ; elle raconte les avions de ligne qui ne volent plus et les voitures à l’arrêt ; les quais de métro, les souterrains et les caves dans lesquels se terrent des milliers de personnes. Elle raconte le fracas des tirs de roquette et des bombes. Il y a ceux qui tentent de se rapprocher de leur famille, il y a ceux dont le dernier espoir est de rejoindre la frontière et il y a ceux – la majorité des Ukrainiens – qui n’ont même pas les moyens de s’enfuir. L’ONU estime à 12 millions le nombre de personnes qui ont aujourd’hui besoin d’aide en Ukraine et le nombre de déplacés internes à 1 million (Libération, 2 mars 2022). « Ils restent dans le pays, au sein de leurs villes et villages, dans la plus totale insécurité et ne possédant plus que l’espoir de survivre. Et ces gens ont besoin de notre aide. »

Il y a ceux qui souhaitent quitter le pays et alimentent la file d’attente le long de la frontière. Et il y a ceux qui fuient les bombes et cherchent un abri pour sauver leur vie. 

Grâce au soutien du Secours populaire, FLC s’apprête à venir en aide à plusieurs centaines de familles, soit réfugiées dans les camps près de la frontière moldave, soit résidant dans cette région du sud d’Odessa. Le soutien et les liens tissés avec de nombreux partenaires (commerces, entreprises ainsi qu’ONG internationales, telles le Secours populaire) et les autorités, tant ukrainiennes que moldaves, seront précieux. Dans les jours qui viennent, les volontaires de l’association vont remettre aux familles des vivres, des produits d’hygiène ainsi que toute l’humanité qu’il leur sera possible de prodiguer en une situation où celle-ci semble s’évanouir. Les psychologues et les médecins de l’association se mobilisent pour soutenir ces populations traumatisées. « Nous pouvons compter sur notre réseau de bénévoles, qui consacre tout leur temps et ne compte aucun de leurs efforts pour témoigner leur solidarité, leur empathie à toutes ces personnes afin qu’elles ne perdent ni leurs forces, ni leurs espoirs », affirme, décidée, Liudmyla.

Des réfugiés désespérés, morts d’inquiétude, transis de froid

Au nord-ouest du pays, à la frontière polonaise, un autre partenaire du Secours populaire se démène : le PKPS (Polski Komitet Pomocy Spolecznej – comité polonais d’aide sociale). Ses bénévoles apportent, depuis le tout début de la guerre, des produits de première nécessité à des milliers de familles ukrainiennes. Pour certaines d’entre elles, une cinquantaine, ils parviennent à offrir un hébergement dans leurs centres. Ce sont plus de 700 000 personnes qui ont déjà fui l’Ukraine, en grand majorité des femmes, des enfants et des personnes âgées, annonce le Haut-Commissariat aux Réfugiés, les hommes entre 18 et 60 ans étant réquisitionnés pour l’effort de guerre. Selon la Commission européenne, ces réfugiés, qui pourraient atteindre le nombre vertigineux de 7 millions, se dirigent majoritairement dans les pays frontaliers tels la Moldavie, la Roumanie, la Slovaquie et, donc, la Pologne, première destination, accueillant à elle seule près de la moitié des réfugiés ukrainiens.

Le PKPS, association de solidarité dont l’objectif est de venir en aide aux familles en difficulté, aux personnes âgées isolées et aux sans-abri, qui possède des antennes sur tout le territoire polonais, a tout de suite mobilisé son équipe implantée près de la petite ville de Medyka, poste-frontière qui a vu sa population décupler depuis l’exode massif des Ukrainiens. Certes, l’aide aux réfugiés n’est pas l’activité habituelle du PKPS ; mais les besoins et les détresses sont tels que ses volontaires se sont tout de suite portés au secours des familles épuisées qui entraient sur le sol polonais. « Les Ukrainiens franchissent la frontière soit à pied, soit en voiture, soit en train. Aussi, nous avons déployé nos équipes en deux points : un à la gare ferroviaire de Przemysl, un autre au poste-frontière de Medyka, résume Sergo Kuruliszwilli, directeur de l’association polonaise. Nous sommes plusieurs associations à les soutenir, la Croix-Rouge polonaise et Caritas, et de nombreuses autres organisations plus petites. Nous sommes un rouage dans la machine. »

Nous nous efforçons de leur offrir ce dont ils ont besoin, de prendre soin d’eux, leur dire qu’ils sont les bienvenus. Mais ce sont des conditions extrêmes – c’est la guerre. 

Sous le poids de l’émotion et de la fatigue accumulée depuis six jours, la voix de Sergo se brise bientôt, à l’évocation des milliers de visages, des milliers de destins composant les files interminables qui se pressent à la frontière. « Ces personnes sont épuisées. Normalement, pour parcourir les 70 km qui séparent Lviv en Ukraine de Medyka, le train met 1h30. Mais à présent, cela prend 24 heures. Ils voyagent depuis 30 ou 40 heures, et pour certains, le voyage sera encore long… » Si certaines familles sont accueillies par des amis ou de la famille vivant en Pologne, pour la plupart de ces exilés, la route demeure incertaine. « C’est un tel chaos… », tente Sergo, avant de faire une pause. « Nous nous efforçons de leur offrir ce dont ils ont besoin, de prendre soin d’eux, de leur témoigner notre solidarité, leur dire qu’ils sont les bienvenus. Mais ce sont des conditions extrêmes – c’est la guerre. Nous accueillons-là des personnes désespérées, en proie à de terribles migraines, mortes d’inquiétude, transies de froid. Il y a des nourrissons, des femmes sur le point d’accoucher, de très vieilles personnes… »

Nous nous sentons liés au monde

L’action du PKPS se concentre sur l’aide matérielle : « Ces gens tentent tout simplement de rester en vie, et nous les aidons à survivre. » Pour cela, l’association fournit tout d’abord des produits alimentaires aux personnes réfugiées. Puisant dans son stock, sollicitant les chaînes de supermarché, elle s’appuie sur sa grande expérience en matière de distribution alimentaire. « Pour l’instant, nous pouvons tenir encore. Mais ce qui nous manque déjà, ce sont des produits d’hygiène et des produits pour bébé : des petits pots, des lingettes, des couches. Nous avons besoin du soutien financier du Secours populaire pour acheter vite ces produits », appelle Sergo. Avant de lâcher : « Nous avons eu l’information, ce soir (le 1er mars, ndlr), que demain arriveraient à la frontière polonaise 40 000 personnes. C’est énorme. Comment allons-nous faire ? »

Il n’y a pas de frontières à la solidarité ; quand celle-ci s’exprime de manière si forte, nous nous sentons liés au monde. Et cela nous gonfle d’espérance. 

Comme depuis le début de cette guerre : ils vont faire tout ce qui est en leur pouvoir. Au sud de l’Ukraine comme à l’est de la Pologne, c’est ce que font Four-Leaf Clover et le PKPS qui savent pouvoir compter sur le soutien du Secours populaire, qui s’apprête à faire partir deux missions sur place, aux frontières polonaise et moldave. C’est l’éternelle histoire de la solidarité populaire qui, si elle ne saurait changer l’état du monde, sait comment changer le cours de centaines de milliers de vies meurtries, redonner espoir, apporter l’indispensable entraide, promouvoir les valeurs humanistes quand le monde cède à la barbarie. En Slovaquie, cette solidarité populaire se met en branle là aussi : Ambrela, coordination de 28 ONG slovaques, identifie des organisations actives à la frontière entre l’Ukraine et la Slovaquie et qui, avec le soutien financier du Secours populaire, pourront rapidement intervenir auprès des familles ukrainiennes qui s’y sont réfugiées. « Sentir que le monde entier nous soutient, se mobilise, c’est immense, assure Liudmyla Havryliuk. Il n’y a pas de frontières à la solidarité et quand celle-ci s’exprime de manière si forte qu’aujourd’hui, nous nous sentons liés au monde, nous nous sentons plus forts. Et cela nous gonfle d’espérance. »

Urgence Ukraine

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