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Palestine, les cliniques du bout du monde

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Lariyan est travailleuse sociale dans les cliniques mobiles de PMRS. Dans les hameaux isolés de Massafer Yatta, elle parle avec les femmes de leur santé mais aussi de la condition difficile qui est la leur. Mnazel, Cisjoranie, décembre 2022.

Pour apporter la solidarité au peuple palestinien, le Secours populaire travaille depuis le début des années 80 avec PMRS (Palestinian Medical Relief Society). L’un des programmes phares de l’ONG est le déploiement de ses cliniques mobiles partout où l’accès aux soins est entravé, auprès des habitants de plus de 120 localités, en particulier dans les territoires occupés. Un jour de décembre 2022, nous avons suivi une des dix cliniques mobiles de PMRS, au sud d’Hébron en Cisjordanie, dans deux villages bédouins de Massafer Yatta. Nous en publions le reportage en cette Journée mondiale de la santé.

A peine le Docteur Suhail Aqabna pose le pied par terre qu’une femme vient à sa rencontre : « Avez-vous pu m’apporter mes médicaments docteur ? ». Dans le hameau de Mnazel, la visite chaque lundi matin de la clinique mobile de PMRS, le partenaire palestinien du Secours populaire, est un événement. Les enfants, qui ont entendu le moteur au loin puis repéré les taches blanches des deux camionnettes approcher au cœur des paysages ocres, sont nombreux à l’accueillir. Mnazel est l’un des villages qui composent Massafer Yatta, une communauté de bédouins implantée dans cette partie désertique de la Cisjordanie, au large d’Hébron, située en zone C – c’est-à-dire sous contrôle civil et militaire israélien. Nous sommes à l’extrême sud de la Palestine, tout près de la « ligne verte » tracée en 1949, à quelques kilomètres de la frontière avec Israël. Mnazel, situé à 1000 mètres d’altitude, découvre l’horizon découpé par les monts de Judée. Les collines arides aux airs de paysage lunaire sont griffées de routes sinueuses, piquées des points vert vif des oliviers, constellés des troupeaux menés par leurs bergers. Ici et là, des grappes de maison s’y accrochent, de petites parcelles de blés s’en détachent. Au loin, la masse compacte d’une colonie veille en surplomb.

« C’est inespéré que PMRS vienne jusqu’à nous. »

Il est huit heures à peine et l’équipe de PMRS est déjà installée dans le bâtiment de pierre et de ciment qui est dédié à ses consultations hebdomadaires. Mnazel est l’un des 40 points de chute couverts par la clinique mobile du docteur Aqabna dans cette zone méridionale de la Cisjordanie. En tout, ce sont dix cliniques mobiles que PMRS déploie sur l’ensemble du territoire palestinien – en Cisjordanie mais aussi à Jérusalem et Gaza – partout où l’accès aux soins est entravé par la pauvreté, l’isolement, les affres de l’occupation. Comme les neuf autres, la clinique mobile qui rayonne au sud d’Hébron est animée par une équipe constituée d’un chauffeur, une gynécologue, deux médecins généralistes, deux auxiliaires de santé, une sage-femme, une psychologue, un laborantin et une travailleuse sociale. Cette dernière s’appelle Lariyan et elle mène des ateliers de sensibilisation sur les thèmes de la contraception, l’hygiène ou les mariages précoces, ainsi que des formations aux premiers secours. Aujourd’hui, elle anime une discussion sur la violence. Dans une large pièce aux murs nus, où pénètre une lumière franche, une quinzaine de femmes, installées sur des chaises, discutent vivement. Les violences conjugales et le harcèlement que font subir aux familles de Massafer Yatta les colons israéliens, mais aussi la difficulté de leur condition, sortent en mots précipités. Qui se mêlent à des rires, et Lariyan se réjouit de ces rires qui « font beaucoup de bien ».

« Ce sont des communautés traditionnelles, conservatrices. Parler avec les femmes n’est pas chose aisée. Nous construisons des relations de confiance avec les mamans. Elles se confient à nous lors des consultations. Nous créons avec elles un espace de liberté de parole, loin de la pression des maris », éclaire le docteur Yahia. Le médecin généraliste occupe une petite pièce de l’autre côté du couloir et travaille avec Islam, auxiliaire de santé. Tous deux reçoivent Haniin, mère de huit enfants. Elle est venue voir le docteur car quatre d’entre eux souffrent, en cette période d’hiver, de fièvre. Puis le docteur Yahia fait glisser la conversation sur la santé de Haniin. La maman confie avoir les épaules et le dos très douloureux. Son mari travaille dans une colonie israélienne pour gagner sa vie et elle est seule pour s’occuper des enfants ainsi que de ses beaux-parents âgés. Il lui faut aussi prendre soin de ses moutons. Haniin est épuisée. « C’est inespéré que PMRS vienne jusqu’à nous. Mes enfants sont souvent malades et je ne peux pas les emmener à l’hôpital car nous habitons un village très reculé et enclavé. Ça me rassure beaucoup de savoir qu’ils viennent nous voir toutes les semaines. » Islam rédige une ordonnance et remet à la mère de famille les médicaments de la prescription. Il lui rappelle que la semaine prochaine, il faudra vacciner les enfants. Le docteur Yahia promet qu’après les consultations, il passera voir la belle-mère d’Haniin, qui ne peut plus se déplacer.

« Aider ces communautés, c’est aussi les aider à rester sur leurs terres. »

La troisième pièce du centre de santé est occupée par le Docteur Nadine, gynécologue. Elle aussi, après la matinée de consultation, se rendra au domicile des mères de nouveau-nés. Pour l’heure, elle accueille Mervat, enceinte de 4 mois. A son bras s’accroche sa fille de 3 ans, Sarah. La jeune maman vient une fois par mois réaliser une échographie pour vérifier que la grossesse se passe bien. Et c’est le cas : « Le bébé est en pleine forme, soyez rassurée ! », lui glisse la docteure, les résultats de ses analyses de sang sous les yeux. Son assistante, Malak, lui remet un petit sachet contenant des vitamines B, B12 et D, lui en rappelle doucement la posologie. Mervat sourit mais l’inquiétude continue d’habiter ses traits. Des maux lui tenaillent l’estomac. Les conseils alimentaires que lui prodigue le docteur Nadine, ainsi que les antalgiques, ne suffisent plus à l’apaiser. Comment lutter contre la pénurie chronique en eau potable et le stress quotidien auxquels fait face Mervat ? « Vous reviendrez la semaine prochaine, n’est-ce-pas ? », demande-t-elle aux deux soignantes. Il faut revenir, il ne faut pas nous abandonner », lâche-t-elle enfin. Le docteur Nadine nous le confiera une fois Mervat partie : cette question, elle la pose à chaque fin de consultation.

Palestine les cliniques du bout du monde
Rehi vient saluer l’équipe de PMRS. Derrière lui, on voit la camionnette qui permet aux soignants de se déplacer jusque dans les endroits les plus reculés, tel She’eb Bottom, et d’y apporter le matériel indispensables aux consultations. ©Victorine Alisse/SPF

L’inquiétude de Mervat est celle de tous les bédouins qui résident à Massafer Yatta. Depuis quatre décennies, et que les autorités israéliennes ont déclaré leurs terres « zone de tir 918 », c’est-à-dire terrain de manœuvres militaires, ceux-ci vivent dans l’angoisse de perdre leurs foyers. Les menaces et attaques de colons sont récurrentes. La présence de l’armée oppressante. Leurs maisons et leurs étables sont démolies, leurs véhicules confisqués, les familles expulsées. Des checkpoints sont établis, des couvre-feux décrétés. La liberté de mouvement des habitants en est dramatiquement entravée, rendant périlleux l’accès aux services de base, fragile leur santé mentale. Au printemps 2022, l’étau s’est resserré encore depuis que la Haute Cour de justice israélienne a approuvé l’ordre d’éviction de huit villages de la zone. Dans un tel contexte, la présence de PMRS est cruciale. « Aider ces communautés, c’est les aider à faire face à l’occupation et à rester sur leurs terres, soulève le Docteur Iskafi, responsable du programme des cliniques mobiles de PMRS. Mais le contexte n’a jamais été aussi difficile. Les bédouins n’ont pas accès à l’eau ni à l’électricité. Ils souffrent de chômage et de pauvreté. Ils n’ont plus suffisamment de terres pour cultiver ou faire paître leurs animaux. L’occupation a un impact direct sur leurs ressources : ils ne peuvent plus vivre de leur travail. »

« J’ai pris conscience des besoins immenses de ces populations et de leur isolement. »

Ce matin, l’autre partie de l’équipe du Docteur Suhail Aqabna assure une permanence à She’eb Bottom, un hameau qui regroupe quelques dizaines de logements épars, perdus dans la montagne, entourés de colonies. La route pour y accéder est particulièrement rocailleuse. « N’exagérons rien, je peux faire des pointes à 5 km/heure ! », s’amuse Mohammed, le chauffeur. Puis, retrouvant son sérieux, l’homme ajoute : « C’est ce qui me tient le plus à cœur, aller dans ces endroits reculés, où il n’y a aucun service. » C’est une équipe resserrée qui officie ce matin à She’eb Bottom : un médecin, Baha’a Qawasmi et deux auxiliaires de santé, Zarifa et Ahlam. Tous trois accueillent la trentaine de patients qui viennent, parfois de loin, les consulter. PMRS est le seul point d’accès aux soins à des kilomètres à la ronde. Malgré les conditions extrêmes – il n’y a, dans le petit dispensaire, aucune arrivée d’eau –, l’exigence est la même, la chaleur à l’avenant. La présence de la clinique mobile, dans cet endroit reculé du monde, avive et colore la montagne. Le soleil est haut dans le ciel azur – il est bientôt 13h. Tout le monde est rentré chez soi. Les traits tirés, le docteur Qawasmi raconte sa matinée. « Beaucoup de femmes se sont plaintes de maux de dos car elles arpentent la montagne pour porter de l’eau. La pénurie en eau provoque aussi des problèmes d’hygiène et des infections urinaires. » Ce matin, Zarifa, Ahlam et lui ont pris un rendez-vous avec un spécialiste à l’hôpital d’Hébron, organisé le transport de la patiente et avancé les frais ; fait une prise de sang ; géré en urgence une crise hypertensive ; prescrit des médicaments ; donné des conseils et beaucoup écouté. Ils ont fait ce que font toutes les cliniques mobiles de PMRS partout en Palestine : être là. Baha’a Qawasmi a travaillé durant une dizaine d’années dans différents hôpitaux. Puis il s’est engagé au sein de PMRS comme volontaire. C’est alors qu’il a découvert la réalité de ce que vivaient les communautés de bédouins. « J’ai pris conscience des besoins immenses de ces populations et de leur isolement. Quand PMRS m’a proposé de travailler à plein temps avec eux, j’ai accepté. Je suis resté. »

Un homme approche. Son keffieh ondule au rythme de sa marche et d’un vent léger qui se lève. Rehi Alnagar, la soixantaine, porte dans une main une carafe emplie de café et, dans l’autre, des petits gobelets de carton empilés. Il est un patient régulier : il souffre de diabète et vient consulter chaque semaine. Et chaque semaine, quand l’équipe de PMRS souffle enfin, il vient leur offrir un café. « Je viens en voisin, s’amuse-t-il. J’habite à quelques mètres ! »  De son index, il indique une petite baraque située juste derrière le dispensaire. Collée à la maisonnette, une extension accueille ses brebis. Nous sommes treize à la maison. Ma femme et moi, mon fils, son épouse et leurs neuf enfants. Nous n’avons pas le choix : il nous est interdit de construire sur nos terres. » Comme de nombreuses autres familles, celle de Rehi vit dans la peur d’être chassé. « Mais la vie continue. Nous plantons de l’orge et du blé, nous élevons nos animaux. C’est ce que nous faisons depuis des générations. » Le café brûlant avalé, Mohammed se met au volant. L’équipe de PMRS charge le matériel puis s’installe dans l’habitacle. Elle salue l’homme qui lève sa carafe puis quelques enfants qui rentrent de l’école, affamés après une marche de près d’une heure. Des nuages obscurcissent le ciel. La camionnette démarre, une longue route reste à parcourir jusqu’à Hébron.

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De gauche à droite : les docteurs Nadine, Qawasmi et Aqabna. Massafer Yatta, Cisjordanie, décembre 2022. ©Victorine Alisse/SPF

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