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Palestine : après les violences, Gaza panse ses plaies

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Une équipe de PMRS prodiguant des soins à domicile pour une victime civile des affrontements. Une équipe de PMRS remet à une famille de Gaza des médicaments. ©Heloise Bollack/SPF

Du 10 au 21 mai, les affrontements qui ont fait rage entre l’armée israélienne et le Hamas ont particulièrement meurtri la Bande de Gaza. L’association P.M.R.S., partenaire principal du SPF en Palestine, s’est portée immédiatement au secours de la population pour lui apporter les soins. Le SPF, en réponse à l’appel de détresse de son partenaire historique, a débloqué un fonds d’urgence de 50 000 €. Mustapha Barghouti, président de P.M.R.S., s’est rendu à Gaza pour soutenir ses équipes sur place. Il témoigne.

Le cessez-le-feu est proclamé depuis 24 heures à peine quand Mustapha Barghouti, ce samedi 22 mai matin, de son domicile de Ramallah, confie : « La situation à Gaza est terriblement difficile. La population sort tout juste d’une période d’intenses bombardements durant laquelle il lui a été littéralement impossible de se mettre à l’abri ». Le chant des oiseaux qui s’invite entre les paroles de Mustapha Barghouti tranche avec la douleur de ses propos. Il revient juste de Gaza, où l’association qu’il a fondée en 1979 et qu’il préside, P.M.R.S. (Palestinian Medical Relief Society), s’est portée au secours de la population civile dès les premiers éclairs de violence. Le Secours populaire, depuis le début des années 80, apporte la solidarité dans cette zone sensible du monde grâce aux partenariats qui le lient à P.M.R.S. ainsi qu’à l’association israélienne P.H.R. (Physicians for Human Rights), qui œuvrent toutes deux conjointement sur le terrain[1].

« Vous ne pouviez jamais vous sentir en sécurité. »

De la terre, de la mer et, surtout, du ciel, les bombes sont tombées sur Gaza sans relâche depuis que l’esplanade des Mosquées, à Jérusalem Est, s’est embrasée le 10 mai dernier. « Où que vous ayez été à Gaza, vous ne pouviez jamais vous sentir en sécurité car n’importe quel endroit pouvait être la proie d’une attaque, n’importe quelle maison pouvait être bombardée. Et c’est ce qui s’est passé : de nombreuses maisons de civils ont été bombardées sans préavis, et des familles y ont été tuées. » Après les onze jours d’affrontements entre Tsahal et le Hamas qui se sont essentiellement concentrés sur la Bande de Gaza, le coût en vies humaines est lourd : 12 morts en Israël et 243 en Palestine. Les équipes de P.M.R.S se sont portées auprès des quelques 2000 blessés palestiniens.

« Tandis que les bombardements sévissaient, au cœur des combats, les équipes de PMRS ont fait tout ce qu’elles pouvaient pour aider la population », témoigne Mustapha Barghouti. Les villes du nord de la zone, telles Jabaliya et Beit Hannoun, sont bombardées si intensément que leurs habitants n’ont d’autres choix que de tout quitter. « Près de 65 000 personnes ont dû fuir leurs maisons. La première chose que nous avons faite, c’est d’aller à la rencontre de ces populations afin de leur apporter des soins, de leur fournir des médicaments, de l’eau et de la nourriture. Nos secouristes volontaires ont apporté une aide précieuse. » En même temps que les dispensaires mobiles de P.M.R.S. se portent au secours des populations déplacées, l’association, malgré le risque encouru par les personnels médicaux, ouvre ses cliniques. « Nous devions le faire car, durant ces onze jours, la population ne pouvait accéder à aucun service médical. Les personnes souffrant de maladies chroniques devaient être soignées. Le stress occasionné par les attaques accentue souvent les symptômes de certaines maladies, comme les cardiopathies, éclaire Mustapha Barghouti. Les hôpitaux étant débordésnos équipes de santé se rendent chez les personnes blessées. Des équipes se chargent d’apporter à la population des produits de première nécessité : couvertures, colis alimentaires, trousses de secours, ainsi que des kits d’accouchement. »

Palestine : après les violences, Gaza panse ses plaies
Un médecin de PMRS reçoit un père gazaoui et son bébé pour une consultation. ©Heloise Bollack/SPF

« Ces attaques ont engendré une situation humanitaire extrêmement difficile. »

C’est quotidiennement que P.M.R.S., durant les combats, a informé le SPF de la situation dramatique éprouvée par les Gazaouis, ainsi que de l’étendue des besoins. Le SPF a adressé à son partenaire historique un fonds d’urgence de 50 000 € afin de le soutenir dans ses efforts. Quand on demande à Mustapha Barghouti quels sont les besoins de P.M.R.S., tandis qu’au lendemain des affrontements l’étendue des dégâts se découvre, il détaille : « Nous avons besoin d’aide financière pour acheter des médicaments : c’est la chose la plus urgente. Tant de gens ont besoin de soins, sans en avoir les moyens. Nous avons aussi besoin de recruter des professionnels : des médecins, des infirmiers, des psychologues, des secouristes. Nous aurions aussi besoin d’acheter de nouveaux véhicules car notre parc automobile, à Gaza, est très vieux… Nous avons besoin de matériel médical, de trousses de premiers secours et du matériel d’urgence humanitaire (des couvertures, de la nourriture , des vêtements). Nous avons besoin d’aide également pour nos dispensaires et cliniques mobiles, qui sont très importants. » Mustapha Barghouti, quand il énumère les besoins, passe en revue l’ensemble des actions d’urgence de P.M.R.S. Oui, les besoins sont immenses…

Depuis que le Hamas a pris le contrôle de Gaza en 2007, la bande subit un blocus strict. La limitation drastique des entrées et sorties de ses habitants, ainsi que de nombreuses marchandises, a considérablement affaibli cette petite zone de 360 km2 où vivent plus de 2 millions d’habitants. Entre 2007 et 2018, le taux de pauvreté à Gaza est passé de 40 à 56% de la population, la Banque Mondiale y estimant le taux de chômage à 43%. Selon les Nations unies, ce sont trois-quarts des Gazaouis qui auraient besoin d’une aide humanitaire. C’est une zone rendue exsangue par le blocus, où l’accès des habitants à l’alimentation, l’eau, l’électricité et les médicaments est déjà limité, qui sort dévastée de ces jours et ces nuits de violence. « L’unique centrale électrique de Gaza a été bombardée et 80% de la population s’est retrouvée sans électricité. Les bombes ont aussi ravagé des points d’approvisionnement d’eau et de nombreux foyers se sont retrouvés sans eau potable, éclaire Mustapha Barghouti. Ces attaques ont engendré une situation humanitaire extrêmement difficile. »

« La population de Gaza souffre d’un stress psychologique. »

A cette vulnérabilité structurelle, s’est ajoutée la crise sanitaire qui, depuis plus d’un an, frappe terriblement la Bande de Gaza. « Ce qui a compliqué énormément les choses, c’est que nos services et nos équipes étaient déjà totalement mobilisées par la lutte contre le COVID-19, le taux d’infection à Gaza étant de plus de 30%, l’un des plus hauts du monde, explique Mustapha Barghouti. Le problème est d’autant plus grave que les Palestiniens sont exclus des campagnes de vaccination. Le seul laboratoire où des tests PCR pouvaient être fournis à la population de Gaza a été détruit lors les bombardements… Nous continuons donc ce travail, encore maintenant. » Un tel contexte rend l’action des ONG, et en l’occurrence de P.M.R.S., absolument cruciale. Mais parfois, malgré l’engagement et l’énergie de ses équipes, leur professionnalisme et leur courage, il est des situations inextricables. Ce sentiment d’impuissance, avec le sentiment d’insécurité, sont, selon Mustapha Barghouti, deux terribles séquelles laissées par les bombardements. « Le pays est si affaibli par la situation économique que la défense civile n’a plus les moyens d’agir… », témoigne le président de P.M.R.S., avant de lâcher avec difficulté : « La chose la plus dure que j’ai vu à Gaza, c’est un bâtiment effondré et ses habitants, enfouis sous les décombres, appelant à l’aide – mais personne n’a pu les aider. Ils étaient trop profond. Cela me hante encore. »

En France, le SPF sensibilise ses donateurs aux conséquences humanitaires dramatiques des bombardements et à l’urgence d’aider son partenaire P.M.R.S. Si l’envoi du fonds d’urgence de 50 000 € a permis à l’organisme palestinien de déployer son aide médicale sur la Bande de Gaza et ses environs en allant au plus près des besoins, Mustapha Barghouti et ses équipes ont estimé dix fois supérieure la somme dont elle devra disposer pour accompagner la population dans les mois à venir. Il y a tant de blessures à panser, tant de coupures, de brûlures et de lésions, de fractures, de contusions, d’amputations et d’asphyxies, tant de vues et d’ouïes définitivement perdues. Si les corps ont été agressés, les âmes l’ont aussi été et Mustapha Barghouti tient à le rappeler. « En raison de la peur et du sentiment de vulnérabilité que les bombardements provoquent, la population de Gaza est victime d’un stress psychologique. La violence a suscité un état de terreur psychologique chez beaucoup d’enfants. Ces traumas s’ancrent très profondément et restent ensuite pendant des mois, des années, des vies entières… », songe-t-il. Aussi, P.M.R.S. s’active-t-elle à déployer de nombreuses actions de soutien psychologique en ouvrant une ligne téléphonique d’écoute et de soutien et en augmentant systématiquement ses équipes de psychologues.

Palestine : après les violences, Gaza panse ses plaies
Une équipe de PMRS remet à une famille de Gaza des médicaments. ©Heloise Bollack/SPF

« Nous croyons, en toute circonstance, en la non-violence. »

P.M.R.S est ainsi : aux côtés des corps comme des esprits, active dans l’urgence sanitaire comme lors de ses actions habituelles de prévention, présente localement sur le terrain palestinien comme sur le plan international dans son travail de plaidoyer pour que puisse être trouvée une issue pacifique au conflit. Mustapha Barghouti, qui fut promu au grade d’Officier de la Légion d’honneur en 2010 par le gouvernement français, précise : « Nous croyons, en toute circonstance, en la non-violence. Mais nous croyons également en les droits du peuple palestinien pour la dignité, la liberté et l’égalité. Durant les douze dernières années, il y a eu la guerre à Gaza à quatre reprises, en 2008, 2012, 2014 et en 2021. Il faut tout faire pour que cela ne se reproduise jamais. »

Le travail sans relâche de P.M.R.S., déployé à travers la trentaine de centres de santé répartis à Gaza et en Cisjordanie, ses dispensaires mobiles et ses secouristes qui sillonnent les territoires palestiniens, est irremplaçable. Les affrontements de mai 2021 et la plaie béante qu’ils ont rouverte le rappellent et obligent la communauté internationale – et, à travers le SPF, la population française – à ne surtout pas oublier le martyre de la population civile de Gaza. Ce drame nous le rappelle et offre la possibilité d’agir, aux côtés des professionnels et volontaires de PMRS. La conversation avec Mustapha Barghouti se termine. Tout au long de la petite heure qu’aura duré celle-ci et la ponctuant, les oiseaux de Palestine n’auront jamais cessé de chanter, rappelant aux hommes qu’il est des alternatives aux bombardements. Puissent-ils être entendus.


[1] Lors du conflit de mai 2021, P.H.R est venue en aide à P.M.R.S. en lui remettant du matériel médical.

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