Palestine : s’unir pour agir

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
La gravité des échanges s'est mêlée aux rires. Ici, un moment de détente à Hébron, autour de l'équivalent palestinien du jeu français Jacques a dit. ©Victorine Alisse/SPF

Du 2 au 4 décembre, à Ramallah, s’est tenue la Conférence de la jeunesse, sous l’impulsion du Secours populaire et de PMRS, son partenaire en Palestine. 14 jeunes délégués du Secours populaire, ainsi que 9 jeunes venus d’autres pays, ont pu y tisser des liens avec les jeunes volontaires de PMRS et découvrir la réalité palestinienne. Et revenir chez eux avec la volonté de mettre en œuvre un projet de solidarité.

«J’ai besoin qu’on me secoue. C’est comme ça que je comprends et n’oublie pas.» L’exposé du Dr Mustapha Barghouti, le président de PMRS (Palestinian Medical Relief Society), a frappé Maëlys en plein cœur. La jeune fille de 18 ans, originaire de Grenoble, est l’une des 14 bénévoles du Secours populaire invités à la Conférence de la jeunesse de Ramallah, capitale de l’Autorité palestinienne. Toutes et tous se sont organisés pour assister à ces trois journées, du 2 au 4décembre, destinées à tisser des liens durables entre les jeunes volontaires de PMRS et ceux du Secours populaire. Cinq de ses partenaires internationaux (9 jeunes ont fait le déplacement depuis la Serbie, la Moldavie, l’Espagne, l’Italie et l’Afrique du Sud) s’étaient joints à eux. Ce premier matin, l’amphithéâtre du siège de PMRS est plein à craquer. La présence chaleureuse du consul général de France à Jérusalem, de l’ambassadeur de l’Union européenne en Palestine, d’un délégué des Nations unies témoigne de l’importance du rendez-vous. Les représentants de l’Agence française de développement sont là aussi: cette conférence est le troisième volet de l’ample projet quadriennal qu’elle soutient et que conduisent le PMRS et le Secours populaire pour la mobilisation citoyenne de la jeunesse palestinienne. Mais surtout, les jeunes Palestiniens sont venus en nombre de tout le pays, là où ils s’engagent pour pourvoir aux premiers secours, animer des cliniques mobiles, conduire des formations à l’égalité femmes-hommes ou encore à la résolution pacifique des conflits.

 

« Les images étaient très dures, mais je n’ai pas tourné la tête. »

«Nous, jeunes bénévoles du Secours populaire, sommes enthousiastes à lidée de revenir dans nos différentes fédérations pour lancer de nouveaux projets et partenariats de solidarité internationale», lance, depuis la tribune, Amandine, 30 ans, en charge des questions de jeunesse à la fédération du Val-d’Oise. Puis c’est Abed qui, au nom des quelque 150 jeunes volontaires de PMRS présents, exprime le bonheur et la fierté d’accueillir leurs amis de France, d’Europe et d’Afrique du Sud. Qui pourrait imaginer que, sous son beau costume, affleurent les cicatrices causées par les 19 balles israéliennes qui ont traversé son corps tandis qu’il prodiguait des secours d’urgence? Qui pourrait imaginer que, derrière son sourire, se niche le souvenir de son meilleur ami Zaïr, tué ce jour-là? Ses mots d’espoir et son corps meurtri disent bien le tourbillon des sentiments qui nourrissent l’ambiance électrique de la salle bondée. Ce matin-là, les chants, les rires et les applaudissements se mêlent au drame que vit une population palestinienne sous occupation militaire. C’est ceci que narre alors Mustapha Barghouti et qui a tant frappé Maëlys, comme l’ensemble des jeunes délégués.

 

Palestine : s’unir pour agir

Les ateliers de réflexion ont permis aux jeunes palestiniens et à leurs invités d’échanger sur leurs visions de la solidarité. ©Victorine Alisse/SPF

 

L’inégalité de l’accès à l’éducation et aux soins, une pauvreté grandissante, une liberté de circuler qui se heurte aux murs, aux 462 barrages militaires et à l’implantation de colonies, les humiliations quotidiennes et la violence des soldats israéliens. «Nous avons vécu 72 dernières heures sombres, car nous avons perdu neuf jeunes Palestiniens», confie le docteur. Images à l’appui, il raconte le calvaire d’un peuple, mais aussi la solidarité à l’œuvre des volontaires de PMRS et l’espoir qui demeure malgré tout. «La paix est conditionnée à la justice. Nous devons nourrir deux certitudes: ces injustices doivent cesser et les Palestiniens ne doivent jamais renoncer», assure-t-il. «La Palestine, on en parle sur les réseaux sociaux, mais là, j’ai saisi la profondeur de l’histoire, témoigne Inès, 23 ans, bénévole depuis qu’elle est enfant en Indre-et-Loire. Les images étaient très dures mais je n’ai pas tourné la tête. Nos amis palestiniens sont forts car ils les ont regardées sans pleurer, mais ça ma attristée qu’ils s’y soient à ce point habitués. Le message de monsieur Barghouti était beau: il n’appelait pas à la pitié mais, au contraire, à la dignité.» Amandine ajoute: «J’ai trouvé cela juste – dans les deux sens du terme, celui de la justesse et de la justice – que monsieur Barghouti utilise, pour décrire la situation des Palestiniens, le mot d’apartheid.»

 

« Pour comprendre l’expérience palestinienne, il faut la vivre. »

Des ateliers de discussion, dédiés à la solidarité et à sa réinvention à l’aune de l’égalité de genre, de l’impact des réseaux sociaux ou du bouleversement de la pandémie, occupent l’après-midi. Chacun se confie sur son engagement. Ils sont l’occasion pour les jeunes Palestiniens de tisser des liens avec leurs invités mais aussi de leur conter leur quotidien, leurs rêves de justice et de paix. Ces ateliers sont d’abord le lieu d’une rencontre qui s’ancre et ne cessera, trois jours durant, de se nourrir d’échanges intenses. «Malgré la barrière de la langue, nous sommes parvenus à avoir des conversations profondes, sourit Inès. Je me demande encore comment on a fait!» Dans le bus qui, le lendemain matin, sillonne les collines du centre de la Cisjordanie, les conversations se poursuivent. La délégation se dirige vers le sud et, tandis que les contreforts des monts Judée se dessinent au loin, les feuilles jaunies des vignes qui couvrent les collines dialoguent avec le soleil d’automne. Le véhicule stoppe à Hébron. Devant l’antenne locale de PMRS, une centaine de volontaires, revêtus de gilets blancs et pancartes à la main, organisent une manifestation contre les violences faites aux femmes. À la solennité du moment succède un petit déjeuner partagé dans la bonne humeur. Les fèves et pois chiches cuisinés, les petits légumes et les pains orientaux passent de main en main. Puis vient l’heure de découvrir le centre historique d’Hébron. «Pour comprendre l’expérience palestinienne, il faut la vivre», annonce Naim, un des volontaires de PMRS.

 

Palestine : s’unir pour agir

Les jeunes de PMRS ont fait découvrir à ceux du Secours populaire certains lieux emblématiques de leur pays, comme Jérusalem. Lenica, qui se fait couvrir d’un keffieh, regarde la mosquée Al Aqsa dont le dome brille au loin. ©Victorine Alisse/SPF

 

La vieille ville est un poing serré qui concentre toutes les tensions à l’œuvre sur le territoire. Bien que sous contrôle de l’Autorité palestinienne, elle est occupée par l’armée israélienne et habitée par plus de 500 colons. Ses veines étroites et sinueuses sont saignées par les checkpoints, ses murs griffés par les barbelés, ses horizons bouchés par les caméras et les miradors. Les soldats sont partout et la ville coupée en deux. Sa beauté immémoriale, déclarée «patrimoine mondial en danger» par l’Unesco, est salie par les stigmates de l’occupation. Situé au cœur de la cité, le bâtiment qui abrite les tombes d’Abraham, son épouse et leurs descendants, est lui aussi scindé en une synagogue et une mosquée. Cette dernière, arpentée par les jeunes dans le silence, abrite en son dédale de grottes des merveilles architecturales. Mais la sérénité des lieux est percutée par le souvenir des violences qui les meurtrirent, dont l’attentat extrémiste de 1994 qui coûta la vie à 29 musulmans. Les larmes de Maëlys, retenues la veille, coulent à présent et ses épaules ploient sous le poids de l’histoire. Les jeunes opèrent un retour à eux-mêmes, s’extraient un temps de l’élan collectif. C’est une expérience personnelle, presque spirituelle, qui leur est donnée à vivre. Le lendemain matin, l’émotion est tout aussi puissante à Jérusalem. Tous se retrouvent porte de Damas, sur l’esplanade où aiment se réunir les Palestiniens pour discuter, autour d’un thé brûlant ou de la célèbre baguette locale. L’endroit est stratégique pour l’État israélien, qui compte en casser les larges volées de marches pour éviter tout rassemblement. «Boire un thé, ce peut être politique», rit Nasser, le responsable de l’antenne hébronite de PMRS. Ici, les manifestations et les affrontements sont récurrents et l’homme en a fait les frais. Une balle lui a traversé la mâchoire, faisant dire à son médecin qu’il lui faudrait à présent «tout miser sur sa beauté intérieure». Nasser rit à nouveau.

 

« Nos centres répondent à deux enjeux : l’éducation pour tous et la justice sociale. »

Si la conférence a pour objectif de tisser des liens entre jeunes Palestiniens et jeunes Français, Européens et Africains du Sud, de faire découvrir à ces derniers la réalité d’un pays et l’expérience d’un peuple, soulignant ses besoins immenses et ses espoirs intacts, une autre ambition la traverse: la mise en œuvre de la solidarité. Que chacun des délégués rentre dans sa fédération, dans son pays, déterminé à œuvrer pour aider les volontaires de PMRS dans leur combat pour un plus juste accès de la population palestinienne à la santé, la citoyenneté et l’éducation. C’est dans ce dernier champ que PMRS propose aux délégués d’agir. L’association sœur de PMRS, HDIP (Health, Development, Information and Policy Institute) coordonne 7 centres de formation et d’accompagnement de la jeunesse sur le territoire – en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza. Ces centres, qui accueillent les étudiants palestiniens et leur offrent livres, postes de travail, connexion internet, photocopieuses, aides à la recherche, cours de soutien, sont en péril. L’argent manque. À Ramallah et à Bethléem, les jeunes visitent ces centres et rencontrent les équipes qui les animent. Tharaa, Lina, Emtinan et Heba, qui dirigent respectivement ceux de Tulkarem, Jénine, Naplouse et Ramallah, expliquent que ce sont des lieux de vie ouverts sur l’extérieur, où sont également conduites des actions de soutien psychologique, d’accompagnement scolaire, de lutte contre l’illettrisme et d’inclusion pour les personnes en situation de handicap. Ce sont des poumons citoyens et démocratiques. «Nos centres répondent à deux enjeux, éclaire Mustapha Barghouti. D’abord, l’éducation pour tous; ensuite, la justice sociale.»

 

Palestine : s’unir pour agir

Tous les moments furent bons pour tisser des liens. Ici, dans le car, Inès, Qais et Mohannd se font découvrir leurs chansons préférées. ©Victorine Alisse/SPF

 

«Ma fédération a déjà pris la décision de s’engager sur un projet en Palestine, explique Amandine. Ma mission est de revenir avec un projet précis, que les bénévoles porteront, pour lequel nous allons collecter. L’idée, c’est aussi que je puisse en parler pour convaincre.» Des ambassadeurs: c’est le mot qui revient sur les lèvres quant au rôle des délégués de la Conférence de la jeunesse de Ramallah. Ce qu’ils ont vécu à des milliers de kilomètres de chez eux et qui les marqueront à jamais, ils ont la responsabilité de le transmettre – de dire ce qui se vit, s’éprouve et s’espère en Palestine – et celle d’agir. Après la rencontre avec l’équipe de Bethléem, tout le monde se rend sur la place de la Mangeoire où a été dressé le traditionnel sapin de Noël. Ce 3décembre à 20heures, il doit s’illuminer. Une grande estrade est montée, sur laquelle se déroulent animations et concerts, tandis qu’à son pied, des volontaires de PMRS assurent la sécurité civile. Une foule dense se presse; petits et grands se réjouissent de cette tradition. Quand les milliers d’ampoules qui parcourent l’arbre de 12 mètres de hauteur s’allument, que la musique perce les enceintes, une clameur envahit la nuit. Les yeux des jeunes délégués et de leurs amis palestiniens se dirigent vers le ciel, où dansent les couleurs du feu d’artifice. Ils regardent haut, dans la même direction.


Témoignage de Rosaria (de l’association italienne ARCI)

« L’espoir est ce qui maintient un idéal en vie »

 

Palestine : s’unir pour agir«Les volontaires de PMRS incarnent le courage qui fait souvent défaut dans le reste du monde. La deuxième Conférence internationale des jeunes, à laquelle j’ai eu l’honneur d’assister, est une démonstration de la résistance d’hommes et de femmes qui mettent leur vie au service du peuple. Je suis reconnaissante de cette occasion qui m’a été donnée de franchir un mur (malheureusement physique) au-delà duquel vivent des personnes prêtes à reconstruire chaque jour tout ce qui est détruit autour d’elles. Les jours passés à Ramallah, les heures passées à visiter Hébron, Bethléem, Jérusalem m’ont plongée dans un tourbillon de sentiments contradictoires. Nos amis palestiniens m’ont enrichie: leurs vies, leurs histoires, leurs gestes, leurs mots ont fait de moi une personne différente. J’ai aimé la peau, les odeurs et les yeux des gens que j’ai rencontrés ces jours-ci. J’ai senti la tristesse de mes amis de voyage et j’ai goûté à la beauté de l’âme des amis palestiniens.

Mes mots ne suffiront pas à décrire ce que j’ai vu et, probablement, ce que je ne voulais pas voir. Seuls ceux qui foulent cette terre peuvent comprendre la douleur. La douleur de l’injustice causée par la mort de personnes qui essaient simplement de vivre leur vie. La douleur de l’injustice des enfants à qui certains adultes ont légué la souffrance et la perte. La douleur des mères et des pères à qui l’on arrache leurs enfants. La douleur de jeunes dont le destin est de porter un uniforme et les armes.

À un moment, mon cœur s’est brisé, mais il s’est reconstitué grâce aux personnes qui m’entouraient. Ces personnes sont devenues pour moi le symbole de l’amour inconditionnel et de l’espoir. L’espoir est ce qui maintient un idéal en vie; l’espoir est ce que les armes cherchent à détruire; l’espoir est ce qu’à partir d’aujourd’hui je vais essayer de donner à mes amis palestiniens. Parce qu’ils m’ont donné quelque chose de précieux: ils m’ont donné un morceau de leur terre, de leurs pensées et de leur courage.»

Rosaria Alessia Buffone, Cosenza, le 7 décembre 2022

Témoignage de Maryam (de l’association palestinienne PMRS)

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