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Palestine : « Agir, c’est continuer d’espérer »

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Une clinique mobile de PMRS installée dans une école de la bande de Gaza. Août 2014. ©Heloise Bollack/SPF

En Palestine, le 11 mai dernier, l’assassinat de la journaliste américano-palestinienne Shireen Abu Akleh dans la ville septentrionale de Jénine faisait monter la tension d’un cran. Une semaine après, une mission du Secours populaire se rendait sur place pour rencontrer son partenaire historique, PMRS (Palestinian Medical Relief Society), afin de l’assurer de sa solidarité et l’aider à faire face à cette flambée de violence. Le soutien à la jeunesse palestinienne a été réaffirmé, ainsi qu’envisagée la dotation d’une clinique mobile supplémentaire pour permettre à PMRS de renforcer sa présence sur Jénine.  Rencontre avec Bahia Amra, directrice des programmes et des relations extérieures.  

Bahia, pouvez-vous parler du contexte actuel en Palestine, et en particulier à Jénine ? Après l’assassinat le 11 mai de la journaliste Shireen Abu Akleh, les violences avaient monté d’un cran…

Depuis l’assassinat de Shireen Abu Akleh, il ne se passe pas une journée sans que Jénine ne soit attaquée. L’armée israélienne a lancé plusieurs opérations de recherche de suspects palestiniens dans le camp de réfugiés. La semaine dernière, deux personnes ont été tuées. Les habitants de Jénine vivent dans l’angoisse. Aucune force de protection n’y est présente, ne serait-ce que pour témoigner de ce qui s’y passe… La population y est plus que jamais isolée en raison des contrôles et de la fermeture des routes. L’enjeu principal pour les équipes de PMRS, à Jénine comme partout ailleurs, est de trouver le moyen de protéger de la violence la population palestinienne et en particulier les enfants.

Vous avez exprimé au Secours populaire le besoin d’une clinique mobile supplémentaire qui renforcerait votre présence sur la zone…

Nous avons une dizaine de cliniques mobiles réparties dans différentes zones de Palestine, essentiellement dans la « Zone C », sous contrôle israélien.  La construction d’écoles, d’hôpitaux ou de cliniques n’y sont pas autorisées et, dans cette zone, il est de nombreux endroits où un accès à des services de santé, à des médicaments ou à des médecins est impossible. Alors nous fournissons aux habitants, au travers des cliniques mobiles, ces services. Les cliniques mobiles couvrent, grâce à des professionnels spécialisés, tout le champ médical : la médecine générale bien sûr mais aussi le psychosocial, la santé du travail, la kinésithérapie, la gynécologie. Elles disposent du matériel pour faire des analyses. Elles permettent aussi de travailler sur l’éducation à la santé.

« Jénine est en état d’urgence permanent, nous devons y travailler 24 heures sur 24. »

Le district de Jénine est en état d’urgence permanent, nous devons y travailler 24 heures sur 24, la nuit comme le jour. C’est pourquoi nous avons demandé au Secours populaire de nous aider à financer une clinique mobile qui serait spécialement affectée à la ville et au camp de réfugiés de Jénine, ainsi qu’à ses environs. Outre les consultations et les soins, nous formerons les personnes aux premiers secours, afin qu’elles puissent s’entraider et pourvoir aux situations d’urgence.

Quelles populations bénéficieront de l’aide de cette nouvelle clinique mobile ?

Avec nos cliniques mobiles, nous nous efforçons de couvrir le plus de terrain possible et de nous adresser à tous les publics : enfants, personnes âgées, femmes, jeunes et aussi personnes handicapées. Et nous adapter à leurs besoins spécifiques. Cette nouvelle clinique se destine à environ 10 000 personnes dont la moitié de femmes (5000) et le tiers d’enfant (3000) – soient environ 70% de la population totale du district de Jénine. Les publics prioritaires sont les personnes en situation de handicap ainsi que les femmes. Ces dernières, depuis la crise sanitaire, sont plus précaires encore (elles ont souvent perdu leur emploi) et sujettes aux violences conjugales. Les jeunes également sont ciblés – un tiers de la population palestinienne a aujourd’hui entre 15 et 29 ans.

Palestine - Agir c’est continuer d’espérer
Une formation aux premiers secours dispensée par PMRS auprès de jeunes Palestiniens. Octobre 2018. ©Pascal Montary/SPF

Parlons de la condition des femmes en Palestine. PMRS a un grand rôle à jouer dans ce domaine, n’est-ce-pas ?

Nous sommes convaincus que les femmes peuvent changer la société ! Les femmes, en Palestine, jouent un rôle fondamental dans les familles ; aussi est-il très important de les autonomiser. Elles ont soif d’éducation mais pour certaines, aller à l’école et plus encore continuer leurs études demeurent difficile. PMRS mène auprès d’elles tout un travail de prise de conscience de leurs droits et toute une réflexion sur la question du genre. Nombreuses sont les femmes victimes de violence, de la part de leur mari, leur père ou leurs frères – de la violence physique, psychologique, des agressions, des viols ou du harcèlement…

« Nous sommes convaincus que les femmes peuvent changer la société « 

Au-delà de cette sensibilisation, nous leur prodiguons des formations et travaillons à les inscrire dans le réseau d’organisations spécialisées qui œuvrent pour l’aide aux femmes. Nous mettons à disposition des femmes des endroits sûrs, où elles peuvent discuter de leurs problèmes, recevoir de la part de nos professionnels des conseils et orientations d’ordre psychologique, social ou juridique. C’est fondamental, pour ces femmes qui vient en zone C, parfois dans des endroits très reculés, de pouvoir trouver de tels lieux où se faire écouter et accompagner. Pour nous sommes, association de terrain, être aux côtés de ces femmes et travailler à leur autonomisation est une priorité.

Enfin, nous sensibilisons les femmes aux questions économiques : nous mettons en place des formations, éventuellement nous leur allouons de petites subventions, afin qu’elles créent leur propre activité professionnelle afin d’augmenter les revenus du foyer. Dans les familles pauvres, c’est indispensable.

Vous évoquiez Bahia, comme autre priorité dans le travail de PMRS, l’accompagnement des jeunes…

Nous croyons aussi en la jeunesse. L’espoir a quitté la nouvelle génération et nous faisons notre possible pour que les jeunes ne se tournent pas vers la violence ou l’intégrisme. Nous offrons à ces jeunes des formations, notamment aux premiers secours. Nous leur apportons des compétences, des savoir-être, une réflexion quant à leur identité. Cultivons leur appétence pour l’éducation. Les sensibilisons sur leur corps et leur santé. Nous nous concentrons beaucoup sur les questions de genre : les relations et l’égalité entre les filles et les garçons, la santé sexuelle et reproductive. L’enjeu pour PMRS est d’aider les jeunes à mieux se connaître et leur offrir les moyens de consolider leur éducation et poursuivre leurs études dans les écoles et l’université. Se connaître mieux, c’est la condition pour connaître mieux, ensuite, la situation politique, sociale, économique dans laquelle ils évoluent. Et pouvoir décider de ce que l’on souhaite pour son avenir.

Le Secours populaire est lié à PMRS par un vaste programme, soutenu par l’Agence Française de Développement, destiné à la jeunesse de Jérusalem-Est. C’est un des piliers de notre partenariat. Il consiste en séances de sensibilisation sur des thématiques citoyennes. Pouvez-vous en parler ?

Dans notre action en faveur de la jeunesse, il y a en effet cet ample programme soutenu par l’AFD et le Secours populaire et qui se concentre sur les jeunes Palestiniens qui vivent à Jérusalem. Ceux-ci sont isolés de la Cisjordanie. Ils font face à de graves problèmes sociaux, tels que l’addiction aux drogues ou la déscolarisation. Beaucoup abandonnent leurs études pour aller travailler en Israël afin de subvenir aux besoins de leur famille. Nous les protégeons du décrochage scolaire ou de l’errance en mettant en place dès leur jeune âge des actions de sensibilisation et de renforcement de leurs compétences.

« Nous devons aider les jeunes à vivre une belle vie, malgré les violences. »

L’enjeu est qu’ils ne se sentent pas isolés et qu’ils se construisent une identité en tant que Palestiniens. Nous devons les aider à vivre une belle vie, malgré les violences et le conflit armé. Ce parcours d’engagement citoyen aborde les thématiques du genre, de l’environnement, de la non-violence, de la santé et de l’hygiène, de la conduite de projet et du leadership. C’est une invitation à agir pour et au sein de leur communauté. Il inclut aussi un volet de soutien psychologique, de santé mentale et d’écoute, afin de les aider à mieux vivre dans cette situation de stress permanent qui est la leur.

Dans un tel contexte de violence et de privation de droit, d’avenir incertain, où trouve-t-on de l’espoir ?

Nous sommes déterminés à continuer notre travail au plus près des populations, pour les soutenir et leur permettre de vivre dans la résilience sur leurs terres, dans leurs maisons. Toute l’aide que nous pouvons apporter, nous l’apportons. Nous savons pouvoir compter sur le soutien de nombreuses personnes et partenaires internationaux tel le Secours populaire qui expriment leur solidarité avec le peuple palestinien. Enfin, nous continuons notre travail de plaidoyer, auprès des organismes de gouvernance mondiale, sur les conditions de vie difficiles des Palestiniens. L’espoir réside dans le droit international mais aussi bien sûr dans le peuple palestinien lui-même. Agir, c’est continuer d’espérer.

Palestine - Agir c’est continuer d’espérer
Hiba, membre de PMRS, est entourée des élèves d’une école près de Jérusalem-Est dans laquelle elle dispense des formations autour des questions environnementales, sociales et médicales. Mai 2022. ©Zeina Abulibdeh / SPF

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