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Nagham : la voix d’une jeune femme s’élève

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Nagham Ayyad photographiée dans le petit jardin situé derrière le siège de l’association PMRS à Ramallah, le 2 décembre 2022. ©Victorine Alisse/SPF

Nagham Ayyad est une jeune étudiante ainsi qu’une volontaire au sein de l’association PMRS, le partenaire palestinien du Secours populaire français. Nous l’avons rencontrée à l’occasion de la Conférence internationale de la jeunesse qui s’est tenue en décembre 2022 à Ramallah. Ce 8 mars 2023, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, nous avons souhaité publier son portrait et partager son témoignage.

Nous avons rendez-vous avec Nagham à midi mais ce n’est qu’à la nuit tombée que nous la rencontrons finalement. Le trajet entre Jérusalem et Ramallah – 30 minutes en temps normal – lui a pris de longues heures. « Des soldats ont fermé le checkpoint et cela a créé une file d’attente. Je suis restée à l’arrêt pendant plus de deux heures. » Un large sourire barre son visage, une énergie folle se dégage de ses gestes ; elle ne semble ni affligée ni fatiguée. Et prévient la question qui pointe. « C’est constamment que nous sommes entravés dans nos déplacements. Ça commence dès le matin, lorsque je sors de chez moi pour me rendre à l’université ou au travail. Ma résilience, je la puise dans mon engagement au sein de PMRS. Ce qui me fait tenir, c’est de savoir que j’aide d’autres personnes confrontées à cette violation quotidienne de leurs droits. » Nagham parle vite ; ses mots se précipitent, sortent de sa bouche en une hâte où se mêlent l’urgence et l’enthousiasme. Une conscience aigüe, alors qu’elle n’a que 19 ans, que le temps est compté, qu’il est une richesse qu’elle ne saurait gaspiller. « Ce n’est pas un conflit mais une occupation et celle-ci peut nous tuer à chaque minute. Alors oui, ce qui me rend heureuse, c’est d’apporter de la sécurité et du réconfort aux autres. Mon bonheur, je le puise dans le bonheur de mon peuple. »

« Mon bonheur, je le puise dans le bonheur de mon peuple. »

Les journées de Nagham se partagent entre ses études à l’université et son bénévolat au sein de PMRS (Palestinian Medical Relief Society), une organisation non gouvernementale dont le cœur d’activité est l’accès aux soins de la population palestinienne. C’est à l’occasion de ses camps d’été, auxquels elle participe de 10 à 13 ans, que sa route croise celle de PMRS. « J’y ai découvert la puissance de la solidarité et que l’union fait la force. J’y ai appris comment résoudre les conflits de manière pacifique, comment tisser des liens de confiance par-delà les différences. » Adolescente, elle devient bénévole et anime à son tour des camps d’été, transmettant « ces valeurs qui ont changé [sa] vie ». C’est à 16 ans qu’elle dirige son premier camp et la confiance en elle qu’elle en retire, la fierté de se sentir à la hauteur de sa tâche, la portent aujourd’hui encore. Pour les enfants dont elle s’occupe, elle ferait l’impossible. « Je les aime pour ce qu’ils sont mais aussi pour ce qu’ils représentent : l’avenir. Ce sont eux, les citoyens de demain, nos futurs dirigeants. Les enfants sont la clé. »

L’autre clé pour construire une société meilleure selon Nagham, ce sont les femmes. Aussi, les premières campagnes de sensibilisation qu’elle initie, dans sa ville d’Abu-Dis, promeuvent-elles le droit des filles. La première, qu’elle a intitulée « Ne me cueille pas quand je fleuris », entend lutter contre les mariages précoces. Nagham, avec d’autres volontaires, s’est rendue sans relâche dans les écoles à la rencontre des enfants. « Nous avons fait réfléchir et je crois que nous avons réussi à changer les mentalités ! », se réjouit-elle. Ces jours-ci, elle s’engage, auprès des élèves des collèges, des lycées et universités, contre le harcèlement et le chantage sur Internet, rappelle le danger que peuvent revêtir les réseaux sociaux. « Cela peut briser la vie de jeunes filles. Avec PMRS, d’une manière générale, nous les aidons à être plus conscientes de leurs droits et leur rappelons qu’elles sont des actrices de changement. Qu’elles ont leur mot à dire. Ce que je veux avant tout, c’est contribuer à ce que les filles et les jeunes femmes prennent confiance en elles. »

« J’ai décidé que je me lèverais et donnerais de la voix. » 

Quand on questionne Nagham sur son enfance, un léger sourire se dessine sur son visage. Elle est heureuse, confie-t-elle, d’évoquer le passé : c’est si rare d’y penser ou d’en parler, s’étonne-t-elle. C’est comme si aujourd’hui, en Palestine, on était pris en étau entre un présent douloureux et un avenir incertain, qu’il n’y avait plus de latitude pour se retourner, poser un regard sur le chemin accompli. Plus d’espace pour se reconnecter à l’insouciance propre à l’enfance. « J’étais une enfant heureuse. Je jouais tout le temps, j’aimais lire des histoires et regarder des films, dessiner… Comme tous les enfants du monde non ? » Nagham rit. Ferme les yeux, revoit l’enfant qu’elle était. Ce ne sont que quelques années, c’est à portée de main mais, en même temps, c’est si loin. Les enfants grandissent vite en Palestine. Le temps y est fait d’une étrange pâte, qui s’étend sans fin aux checkpoints et se rétracte quand le danger s’aventure. « J’écrivais aussi. Tous les jours, dans mon journal. Je rêvais de devenir écrivaine. » Ce rêve n’est pas mort – il n’est plus d’actualité, précise Nagham. « Ce n’est pas le bon moment. » L’explication, Nagham la puise justement dans un événement de son enfance. Plus précisément, le moment qui signe la fin de son enfance. Elle a 13 ans.

« C’était une nuit, en 2016, au mois de mai : je me souviens forcément de la date parce que les soldats ont fait irruption dans ma maison et ont pris mon père. Comme son père et son frère avant lui, ils l’ont jeté en prison. » Son oncle y est toujours, glisse Nagham, depuis 26 ans. « J’ai demandé pourquoi on l’emmenait, mais il n’y avait aucune raison à cela, sauf la volonté des soldats. J’ai pleuré toute la nuit, la tête sous l’oreiller. Quand je suis sortie de ma chambre, tous les voisins étaient dans le salon, ils consolaient ma mère. » L’événement est un « traumatisme », et le mois qui suit un enfer, jusqu’à ce que le père de Nagham ne soit enfin libéré. « Ce qui m’est arrivé, c’est arrivé à beaucoup d’enfants dans mon pays. Cette nuit-là m’a rendue malheureuse bien sûr, mais elle m’a ensuite donné de la force. C’est à ce moment que j’ai décidé que je me lèverais, donnerais de la voix et ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour défendre les enfants de Palestine. » C’est dans le noir d’encre de cette nuit de printemps, quand elle avait treize ans, que Nagham puise la lumière qui éclaire le chemin qu’elle trace aujourd’hui. « J’ai compris qu’il y avait plus urgent que l’écriture. Qu’il fallait m’engager pour les droits humains. Je suis devenue une écolière puis une étudiante acharnée. J’ai travaillé dur. »

« J’écrirai plus tard ; pour l’instant, il me faut agir. »

Elle étudie le droit international et les droits humains à l’université Al-Quds d’Abu Dis, le petit village où elle réside, à quelques pas de Jérusalem. Tout le monde, autour d’elle, s’accorde pour dire que c’est une étudiante courageuse. Oui, Nagham travaille dur. « J’ai choisi ce sujet pour mes études car je voudrais pouvoir porter la voix du peuple palestinien afin que la communauté internationale nous entende et nous aide. Il y a tant de choses à faire pour mon pays. Mon rêve n’est pas d’en partir mais d’y rester pour y faire progresser la justice. J’écrirai plus tard ; pour l’instant, il me faut agir. » Outre ses campagnes de sensibilisation à la santé, elle œuvre au sein de PMRS en tant que secouriste : l’action, là encore, anime la jeune femme dans le moindre de ses choix. Notre conversation se termine. Elle rassemble ses affaires avec énergie ; elle se lève, vive ; plante son regard bien net dans le nôtre, sourit ; puis s’éloigne. Où va Nagham ? Le soir, nous la retrouverons à Ramallah, avec des amis. Elle frappera dans ses mains, chantera, dansera la dabkeh. Avec le même cœur et la même détermination dont elle fit montre tout au long de notre rencontre. Tandis qu’elle rit, Nagham semble soutenir qu’une jeunesse est possible en Palestine.

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