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Urgence : « La Palestine a besoin de l’aide de tous »

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Lariyan, travailleuse sociale d’une clinique mobile de PMRS, avec une mère et son garçon dans le hameau bédouin de Mnazel, au sud d’Hébron, dans les territoires occupés. Décembre 2022. ©Victorine Alisse / SPF

Face à l’escalade de violence la plus meurtrière depuis 2011 pour les Palestiniens, le Secours populaire apporte un soutien de 50 000 € depuis son fonds d’urgence pour permettre à son partenaire Palestinian Medical Relief Society (PMRS) de venir en aide aux victimes et continuer d’assurer l’accès aux soins des populations isolées. Le Dr Mohammad Iskafi, en charge des programmes de premiers secours ainsi que des cliniques mobiles de PMRS, est sur ces deux fronts. Rencontre.

Le 26 janvier 2023 à l’aube, la ville palestinienne de Jénine subit un raid. L’hôpital est attaqué, ainsi qu’une ambulance en pleine intervention. De nombreuses maisons et bâtiments sont détruits. 10 morts et le triple de blessés : le bilan humain est lourd et augure, pour le peuple palestinien, une année plus meurtrière encore que 2022, sommet dans l’escalade de violence initiée en 2011. Le lendemain 27 janvier, un homme palestinien tue huit civils israéliens devant une synagogue à Jérusalem, dans la colonie israélienne de Neve Yaakov. L’armée israélienne intensifie son offensive, l’engrenage de la violence tourne à plein en Palestine. Et les populations civiles en paient le prix fort. Jénine, puis Ramallah et Jérusalem, sont fermées par des checkpoints, empêchant leurs habitants d’y entrer et sortir. Elles sont bombardées, tout comme Hébron et la bande de Gaza. L’armée tire sur les civils palestiniens – des femmes, des enfants, des personnes âgées tombent sous les balles. La peur et le désespoir saisissent toute une population. Pour lutter contre ceux-ci, pour enrayer la logique de violence, pour apporter les premiers secours comme continuer d’assurer un accès aux soins et à la santé sur les territoires, les volontaires de PMRS sont mobilisés. Le Palestinian Medical Relief Society est actif depuis plus de 40 ans et, à travers lui et au long de toutes ces années, le Secours populaire apporte la solidarité au peuple palestinien. Le Secours populaire et PMRS ont les mêmes valeurs : une aide inconditionnelle, une culture de la non-violence, la mise en mouvement du plus grand nombre sur la base de valeurs humanistes. Le 28 janvier 2023, l’ONG palestinienne interpelle son partenaire historique en France : elle a besoin d’aide. Ses secouristes et cliniques mobiles sont à court de moyens, à bout de forces. Le Secours populaire décide aussitôt l’envoi d’un fonds d’urgence de 50 000 €. Un soutien indispensable quand bombardements, attaques par gaz lacrymogène, tirs à balles réelles provoquent des morts et des blessés, y compris parmi les enfants et les personnels de santé. Quand, pour des dizaines de milliers de Palestiniens aux terres occupées et mouvements entravés, les cliniques mobiles de PMRS deviennent le seul accès aux soins possible. C’est dans ce contexte que nous rencontrons le Dr Mohammad Iskafi, directeur des programmes d’urgence à PMRS.


Quelle est la situation humanitaire en Palestine, dans ce contexte de flambée dramatique des violences ?

C’est une situation très difficile. La situation politique du pays s’est extrêmement tendue et la condition des Palestiniens est rendue de plus en plus difficile. Cela s’ajoute aux tueries quasi quotidiennes et aux attaques récurrentes de Jénine, de Naplouse, d’Hébron. Le gouvernement a récemment déclaré que les Palestiniens seront punis en raison des attaques qu’ils commettent contre les colons. Mais l’immense majorité de la résilience du peuple palestinien est une résilience pacifique. Pourtant, aujourd’hui, les Palestiniens sont la cible de violences, y compris les personnes âgées, les enfants et les femmes. Cette situation politique a des effets sanitaires désastreux. Les besoins en services de santé, consultations, médicaments, matériel médical n’ont jamais été aussi importants.

L’immense majorité de la résilience du peuple palestinien est une résilience pacifique.

Comment ce contexte impacte-t-il la situation sanitaire du pays et le travail de PMRS ?

Il y a d’abord les nombreuses personnes blessées qu’il faut prendre en charge. Nos équipes de premiers secours travaillent nuit et jour sur les points les plus chauds. Ces trois derniers mois, il y a eu Jénine, puis Naplouse et Hébron. Aujourd’hui, il faut compter Jérusalem avec notamment le camp de réfugiés de Shūfāţ. Mais nos volontaires sont démunis ; nous avons beaucoup pourvu mais manquons à présent de tout, en particulier de trousses de premiers secours. Ensuite, nos dix cliniques mobiles, qui sillonnent la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza, font face à d’importants besoins. Il faut se rappeler que nous sommes en hiver, beaucoup d’enfants sont malades. Depuis octobre 2022, nous observons une hausse de la consommation de médicaments de 20%. Là encore, nos équipes de médecins et soignants du réseau de cliniques mobiles manquent de tout. Nos besoins s’expriment donc auprès des communautés à haut risque de Cisjordanie et de Gaza mais aussi auprès des communautés pauvres et isolées, comme c’est le cas pour les bédouins de la vallée du Jourdain.

Quels sont vos besoins les plus impérieux ?

Le besoin le plus urgent, ce sont les trousses de premiers secours. Nous estimons à environ 500 le nombre de trousses qu’il nous faudrait pouvoir acquérir au plus vite. Nous avons également besoin de bouteilles d’oxygène pour les blessures par inhalation, d’antidouleurs et de brancards. Ces matériels sont indispensables : je ne peux pas envoyer des volontaires sur les théâtres d’affrontements sans qu’ils aient avec eux des kits de premiers secours. Mais je dois vous avouer que certains volontaires vont aujourd’hui sur le terrain sans la possibilité d’apporter des soins appropriés… Il nous manque également des gilets qui leur permettent d’être identifiables en tant que personnels de santé. Il en va de leur sécurité : sans ces gilets, ils deviennent des cibles. Même si nos équipes, malgré le port de gilets de secouristes, ont pu être attaquées.

Je ne peux pas envoyer des volontaires sur les théâtres d’affrontements sans qu’ils aient avec eux des kits de premiers secours. 

Ces affrontements occasionnent des blessures particulières. C’est une médecine de guerre que vous devez pratiquer ?

Ce sont en effet des traumatismes et des blessures très particuliers auxquelles nos équipes font face : des traumatismes crâniens, des fractures. Il y a aussi les gaz lacrymogènes qui provoquent des suffocations et des irritations oculaires. Nous soignons des ecchymoses au visage et à la poitrine, sans oublier les blessures dues à l’effondrement de bâtiments. Le travail de nos équipes vise à réduire l’incidence de complications telles que les infections, les hémorragies, les amputations. Et bien sûr, il y a les blessures par balles. Dans ce cas, c’est le haut du corps que nous devons soigner. Les balles touchent la poitrine, la tête, le cou : ce sont ces parties du corps qui sont prioritairement visées par les soldats et la police. Ce sont des blessures graves qui peuvent entraîner la mort. Et qui l’entraînent, malheureusement.

Comment vos équipes de volontaires et soignants sont-elles préparées à de telles interventions ?

Nous leur fournissons une formation supplémentaire qui couvre deux aspects. Tout d’abord, le protocole d’intervention sur un terrain d’affrontements, sur l’organisation hiérarchique d’une équipe de premiers secours. Ensuite, sur la nécessité de se protéger soi-même, d’agir de la manière la plus sûre pour soi et les membres de son équipe. Nous insistons sur le fait que les volontaires de PMRS ne doivent en aucun cas être liés ou prendre part aux affrontements. Nous ne faisons pas de politique. Notre domaine d’action, et c’est immense et crucial, c’est la santé. Administrer les soins d’urgence et premiers secours à toutes les personnes en détresse, sans discrimination. Sans prendre parti non plus. Notre travail consiste à sauver des vies. C’est ainsi que nos volontaires sont partout respectés et reconnus pour leur sérieux, leur sens des responsabilités.

Notre mission est d’administrer les soins d’urgence à toutes les personnes en détresse, sans discrimination. 

Vous avez également besoin de financer l’achat de colis alimentaires et kits d’hygiène pour les personnes déplacées ou en grande difficulté. Sans oublier le soutien psychologique. Vous devez recruter de nouveaux professionnels de santé mentale pour votre hotline comme pour vos équipes de proximité. L’anxiété et la détresse de la population sont un autre enjeu majeur ?

Il ne faut surtout pas oublier cette dimension. Dans chacune de nos dix cliniques mobiles exerce un psychologue. Les besoins en consultation sont en augmentation constante depuis plusieurs années. En raison de la situation générale, l’état de santé mentale des Palestiniens se détériore. Quand les cas sont trop difficiles, nous orientons les personnes vers un psychiatre. Et ce sont les soignants des cliniques mobiles qui font ensuite le suivi et fournissent les médicaments. Les psychologues de PMRS proposent des séances de groupe dans les villages car les habitants y sont en grande souffrance. Et j’ai bien peur que cette souffrance ne cesse d’augmenter. Le gouvernement israélien a récemment décidé d’interdire l’entrée des colonies aux Palestiniens qui y travaillent. Cela peut provoquer un arrêt de travail de milliers de personnes qui vont alors perdre leur salaire. C’est un autre type de punition. J’espère que le gouvernement n’étendra pas cette interdiction à toute personne qui travaille à l’intérieur d’Israël en général. La situation économique des familles va encore se détériorer, c’est certain.

Dans cette situation d’affliction et de confusion, quel est le message que vous souhaitez délivrer ?

J’en aurais deux. Le premier, c’est que les Palestiniens sont des personnes qui aspirent à la liberté et à une vie normale, comme n’importe quel habitant de n’importe quel pays. Nous ne sommes pas des terroristes. Nous ne faisons que résister à l’occupation. Le deuxième, c’est que la Palestine a aujourd’hui besoin de l’aide de tous, notamment en ce qui concerne la situation sanitaire. Nous avons besoin de matériel, de médicaments, nous manquons de tout. Et quiconque fera un don au Secours populaire pour PMRS aidera les Palestiniens à survivre. Contribuera à sauver des vies. Soutiendra les hommes, femmes et enfants palestiniens dans leur résilience et leur donnera les moyens et la force d’organiser leur entraide.

La Palestine a aujourd’hui besoin de l'aide de tous

Le docteur Mohammad Iskafi dans son bureau, au siège de PMRS à Ramallah, en décembre 2022. ©Jean-Marie Rayapen

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