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«Quand le masculin l’emporte sur le féminin, c’est un ordre du monde qu’on enfonce dans nos têtes»

Mis à jour le par Olivier Vilain
"Les anthropologues montrent que la violence des hommes à l’égard des femmes vient du fait qu’ils ont été mis au monde par des femmes. Ils (...) veulent (...) accaparer cette puissance."

Écrivaine, féministe et exploratrice de la condition féminine, Marie Darrieussecq soutient la campagne du Secours populaire en faveur des droits des femmes, qui constituent une majorité des personnes aidées par l’association. Elle examine ici les instruments par lesquels la domination sociale s’exerce sur les femmes.

Pourquoi avez-vous décidé de soutenir cette campagne du SPF en faveur des droits des femmes ? 

J’ai une très bonne opinion du Secours populaire depuis longtemps ; et j’ai déjà soutenu des associations, organisé des lectures publiques pour le 8 mars, la Journée internationale des droits des femmes, car c’est une date très importante. J’aimerais que cela soit clair pour tous : le statut des femmes concerne aussi les hommes. Il faut, par exemple, arrêter de considérer que le domaine des soins et de l’éducation sont mineurs ou dégradants et qu’ils sont réservés aux femmes. L’un des outils pour cela serait l’allongement du congé paternité, car cette période habitue les pères, comme les mères ou les enfants, à ce que l’accompagnement de la venue au monde ne soit pas du ressort unique des femmes. C’est aussi un point d’ancrage sur lequel une réflexion peut s’élaborer sur le partage des tâches domestiques, qui restent une activité gratuite.

Pour obtenir l’égalité, il est juste d’agir de manière inégalitaire en faveur des dominées ; sinon l’histoire n’avance pas : les dominants ne cèdent jamais ; cela ne s’est jamais vu. La parité en politique a fait avancer les choses. Il est nécessaire de légiférer, de ‘‘taper dans le porte-monnaie’’ pour rectifier une inégalité.

Y a-t-il un aspect de la domination patriarcale qui vous fait plus réagir ?

Non, c’est un ensemble. Il y a la non-répartition des tâches domestiques, dont je viens de parler, mais aussi les agressions à l’encontre des femmes. J’ai vu mon premier exhibitionniste à cinq ans et mes filles, dont l’une est encore à cheval entre l’enfance et l’adolescence, font l’expérience du harcèlement de rue si elles s’assoient sur un banc ou sortent en short. Les filles sont obligées, dans l’état actuel des choses, d’envisager la rue comme un espace dangereux où elles doivent sans cesse négocier leur présence. Lorsqu’une femme est agressée, l’une des difficultés qu’elle rencontre est la réaction quand elle dénonce les faits, cela ne les incite pas à prendre la parole et participe à la culture du viol. Celle-ci fait partie intégrante du patriarcat, qui est un système présent sous diverses formes dans toutes les sociétés, toutes les cultures. Pour changer cela, il faut des mobilisations militantes, comme celle des colleuses que je respecte beaucoup. Il faut aussi qu’elles se traduisent par des changements institutionnels.

Je suis originaire de Bayonne et j’ai vu la ville de mon enfance changer. À l’époque, les violences sexuelles étaient très présentes, mais depuis des campagnes de sensibilisation ont été menées et les policiers ont été formés à l’accueil des femmes victimes. Résultat, la honte et la peur ont changé de camp ; et les agressions ont diminué.

L’invisibilisation des femmes vous fait horreur. Où y voyez-vous ses manifestations ?

Elles sont à l’œuvre dans la langue. La grammaire française, qu’on enseigne aux enfants dès le CP, leur dit, à six ans : « Le masculin l’emporte sur le féminin. » Dès qu’il y a du masculin dans la phrase, toute la phrase est accordée au masculin. Cent millions de filles et un garçon sont « contents », et pas « contentes ». Cela ne relève pas que de l’ordre symbolique, ça a un effet très pratique : c’est l’ordre du monde qu’on enfonce ainsi dans les têtes de nos enfants. De même qu’il suffit de regarder nos cartes de sécurité sociale pour se rendre compte que les femmes sont numérotées « 2 » et les hommes « 1 », comme si ça allait de soi. C’est une manière de nous renvoyer au statut décrit par Simone de Beauvoir, celui du « deuxième sexe ». Ou encore, le patronyme est significatif. Les femmes ne transmettent pas leur nom, elles portent celui de leur père, et le cas échéant celui de leur mari… Toujours l’invisibilisation.

Les anthropologues montrent que la violence des hommes à l’égard des femmes vient du fait qu’ils ont été mis au monde par des femmes. Ils se sentent faibles à côté de ce pouvoir et veulent constamment oublier cette origine, la dissimuler et, à défaut, la détruire en espérant accaparer cette puissance.

Quel regard portez-vous sur les inégalités économiques, alors que les femmes sont souvent assignées à la précarité ?

Les hommes et les femmes ne font pas face aux mêmes dépenses. Les protections périodiques sont à la charge exclusive de ces dernières, sans garantie d’ailleurs sur l’innocuité des matériaux utilisés. Ensuite, du côté des revenus, elles ne sont pas non plus traitées de la même manière. Parlons d’un domaine que je connais bien, celui des « avances sur recettes » accordées par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), au sein duquel je siège. Nous examinons 600 dossiers par an. Je constate que les salaires des réalisatrices sont quatre fois inférieurs à ceux des réalisateurs. Les écarts sont encore plus accentués que dans les entreprises privées [de l’ordre de 17 % à postes et qualifications égales]. De même, l’aide accordée au film d’un jeune cinéaste est d’environ 6 millions d’euros, contre seulement 1 million pour une cinéaste. C’est une réalité même si les commissions du CNC respectent une stricte  parité homme / femme ; et même si nous avons mis en place des aides bonifiées pour les films dont les équipes sont également paritaires.

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