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Pologne : Marta, à coeur ouvert

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Marta, bénévole de l'association PKPS, au poste frontière de Medyka, que franchissent chaque jour et par milliers, des réfugiés ukrainiens - 9 mars 2022

Marta Wisniowska habite à Przemysl, en Pologne, à la frontière ukrainienne. Elle est bénévole au sein de l’association PKPS (Comité polonais d’aide sociale), le partenaire du Secours populaire français sur place. Dès le premier jour de la guerre, elle est, comme tous les volontaires de PKPS, mobilisée. Son engagement solidaire est total : elle cuisine, écoute, réconforte, oriente, traduit. Et elle accueille, dans sa maison, des familles ukrainiennes soutenues par PKPS, le temps qu’elles se reposent avant de continuer leur exil. La porte de Marta, comme son cœur, sont ouverts. Portrait.

1er avril 2022. Dans la cuisine de Marta règne un joyeux désordre. La table est parsemée d’une nuée de tasses, emplies de café fumant et reposant chacune soigneusement dans leur soucoupe. La vaisselle du dernier repas, dans le grand bac, attend d’être lavée. Sur la gazinière, une marmite dans laquelle mijote un plat de viande bouillie côtoie une grande cocotte de soupe. Les fragrances s’y invitent comme s’invitent dans sa maison les hôtes de passage. Depuis le début de la guerre en Ukraine et le funeste 24 février 2022, ce sont 34 personnes qui ont séjourné, pour une nuit ou une semaine, chez Marta : de sa voix basse et son sourire discret, elle en confie le décompte. Ce soir, six femmes et deux jeunes enfants se reposent à l’étage, avant de reprendre le train le lendemain à l’aube. Ce sont deux familles, l’une venant de Kharkiv, l’autre de Kiev, de quatre générations chacune : la grand-mère, la mère, la fille et l’enfant de cette dernière. La première famille s’apprête à prendre un train pour Vienne, la seconde pour la ville polonaise de Wrocklaw, non loin de la frontière allemande. Mais pour l’heure, le temps est au repos après l’expérience de la terreur et un voyage harassant.

« Comment puis-je vous aider ? »

Marta Wisniowska est bénévole au sein de l’association PKPS, le partenaire polonais du Secours populaire français. Ses volontaires, comme les volontaires de nombreuses autres associations de Pologne, se sont tout de suite portés à la rencontre des centaines de milliers de réfugiés ukrainiens qui franchissaient la frontière, femmes, enfants et personnes âgées fuyant les combats et les bombes. Cinq semaines après l’invasion russe, le nombre de réfugiés ukrainiens a dépassé les 4 millions – plus de la moitié d’entre eux étant accueillis en Pologne. De la solidarité immense qui s’est exprimée dans le pays, Marta est le possible visage, l’expression déterminée. Elle ne compte pas son temps. Les soirs, elle se rend régulièrement à la gare de Przemysl, la ville où elle réside. Là, avec les bénévoles de PKPS, elle offre aux familles qui descendent du train de la soupe, du thé, des sandwiches et des friandises qu’elle prépare inlassablement. « Un jour, nous avons préparé avec ma voisine plus de 300 crêpes pour les enfants, se souvient-elle amusée. A la gare, je prépare les couchettes pour que les familles qui arrivent et repartent au petit matin puissent se reposer. On les accueille, on leur donne à boire et à manger, des petits pots et des couches pour les bébés… On nettoie bien les lieux et on prépare les matelas et les couvertures », précise-t-elle.

Le mari de Marta travaille en France, dans la maçonnerie et la réfection des murs des châteaux et anciennes bâtisses ; aussi est-elle francophone. Son français impeccable, à peine teinté d’un accent et de charmantes confusions de genre, est un bien précieux pour le Secours populaire. A l’occasion des différentes missions qui se sont succédées auprès de PKPS, elle s’est muée en interprète. Son concours est fructueux dans la mise en place du vaste programme engagé par le SPF et son partenaire polonais de soutien à l’hygiène, la propreté et la dignité des huit lieux d’accueil de la ville de Przemysl pour les réfugiés. Mais ce qui caractérise aussi l’engagement de Marta, c’est sa porte ouverte. Seul le dernier de ses quatre enfants, Karol, 14 ans, vit encore sous le toit familial : il y a donc de la place dans la maison. Les deux chambres en duplex qui occupent une aile de sa maison sont entièrement dédiées à l’accueil des familles ukrainiennes. Le jour où nous l’avons rencontrée, la guerre avait commencé depuis douze jours. Anastasia et Alena étaient arrivées la veille et resteraient une semaine chez elle. Marta se souvient : « Hier, avec PKPS, nous étions sur le quai de la gare. Un train arrivait de Kiev. J’ai aperçu deux jeunes mamans qui avaient froid, étaient épuisées, les enfants pleuraient. Je leur ai posé la question : “Comment puis-je vous aider ?” ».

Une famille éphémère

9 mars 2022. De l’étage parvient le son étouffé d’un téléphone mis sur haut-parleur. C’est le père de la petite Zlata, la fille d’Anastasia. Plusieurs fois par jour, il appelle de Kiev sa femme et leur enfant. « Mon bijou », « mon lapin », « mon trésor » : ces mots que dit le papa déchirent le cœur de Marta. Mais la plupart du temps, de l’étage fusent les rires et résonnent les courses de Zlata, 5 ans et Kirill, 4 ans, le fils d’Alena. Les deux sœurs ont tout quitté – leur foyer, leur famille, tout – pour mettre leur enfant à l’abri : « La vie de Zlata est ce qu’il y a de plus cher car elle est l’avenir », résume Anastasia. Dans les deux valises qui demeurent sur le palier, les deux sœurs ont jeté leurs vies à la hâte. Mais, telles Mary Poppins puisant dans son sac à main sans fond, elles parviennent à en extraire une quantité mirifique de jouets : la ménagerie en peluche de Zlata et le parc de véhicules de Kirill. Quelques voitures et camions, un tramway, un hélicoptère et un bus, sur le flanc duquel est inscrit le nom de la ville de Lviv sont autant de symboles de la route parcourue, de l’exil en cours.

Pologne : Marta, à coeur ouvert

Marta, chez elle à Przemysl, en compagnie de Alena et son fils Kirill, qu’elle accueille le temps qu’ils organisent la suite de leur voyage – 10 mars 2022

Anastasia fait la vaisselle tandis que Marta prépare des fraises : les enfants adorent ça, avec de la crème et du sucre. Ils l’appellent « babouchka » (« grand-mère »). Sur les genoux de cette dernière a grimpé Kirill. C’est une famille éphémère, des gestes quotidiens et tendres qui, le temps de souffler, mettent à distance l’horreur de la guerre. Alena regarde son téléphone et assiste, impuissante, à le destruction en direct de Marioupol. Elle regarde les photos d’ « avant » : avant que l’impensable ne se produise, que ne s’effacent les moments d’insouciance, cette « vie simple, normale et heureuse » qui était la leur il y avait deux semaines encore. Puis s’affichent les dernières photos d’avant la fuite, celles du bunker de fortune construit par Alena où, avec Kirill, ils ne pouvaient tenir qu’allongés, quand les bombes et les alarmes avaient tout remplacé. « Tous les jours, je la vois pleurer », confie Marta. Alena passe du rire aux larmes ; Anastasia, quant à elle, est en proie à une tristesse plus sourde, une mélancolie qui ne la quitte pas. Zlata caresse avec application la tête de Doudouche, le petit chien de la maison : « Il a des bébés dans tout le quartier ! », lance Marta. Et tout le monde rit.

« Si quelqu’un a besoin d’aide, je l’aide »

Anastasia, Alena, Zlata et Kirill sont restés sept jours chez Marta : après leur départ, le 13 mars, elle le concède volontiers : la maison lui a semblé bien vide. Mais elle est heureuse de savoir la petite famille arrivée à bon port, après un second voyage, qui les a conduits en Italie puis, après une longue attente, au Portugal, où les deux sœurs se sont fixées à Cascais, près de Lisbonne, le 30 mars. « Là-bas vit depuis longtemps un de nos amis ukrainiens. Nous allons trouver du travail, les enfants iront à l’école, il va falloir survivre. Nous nous y ferons une petite place en attendant de pouvoir rentrer à la maison », présageait Anastasia. Tous les jours, Marta a de leurs nouvelles : au téléphone, par Whatsapp ou par SMS, dans des messages où se mêlent photos des enfant, souvenirs et projets, gravité et légèreté, émaillés de cœurs colorés et de drapeaux d’Ukraine. « Hier, elles m’ont envoyé des photos au bord de la mer, exprime Marta le 4 avril. Elles avaient décidé d’oublier la guerre pour quelques heures et de vivre heureuses avec leurs enfants comme toute les familles, le temps d’une promenade sur la plage. »

Anastasia et Alena lui racontent que depuis leur arrivée au Portugal, les journées sont bien remplies : il a fallu initier les démarches pour pouvoir résider dans le pays, inscrire les enfants à l’école, trouver un logement. C’est, un mois après le départ de Kiev, la possibilité de reprendre le cours de la vie ; dans ces journées de chaos, la parenthèse chez Marta fut une île et un baume. Le 5 avril, de Cascais, Alena témoigne : « Les enfants parlent souvent de Marta. Ils disent qu’elle et Doudouche leur manquent, ils se souviendront toujours de ces journées chez Babouchka ». Alena songe encore : « Mon âme pleure de ce qu’endure ma bien aimée Ukraine, mon cœur souffre pour notre famille et nos proches. Mais nous prenons un jour après l’autre. La vie n’est pas finie ; nous nous adaptons et faisons tout notre possible pour que nos enfants sourient, qu’ils n’aient plus peur et qu’ils aient la possibilité de vivre heureux ! » C’est, à plus de 3500 km de là, loin dans les terres et par-delà les frontières, tout ce que Marta leur souhaite. Dans sa maison à Przemysl, à la porte toujours ouverte, qui dort ce soir ? Tandis qu’Alena et Anastasia rêvent, au son des vagues, d’une vie à reconstruire, qui a trouvé refuge chez Marta ? Quelle famille, qui a fui la guerre, se repose pour tenter de reconstruire une vie possible ? « Depuis toujours, j’ouvre mon cœur à tout le monde, explique simplement Marta. Je ne pose pas de questions : si quelqu’un a besoin d’aide alors je l’aide. Je lui offre tout ce que je peux pour qu’il se sente mieux, à tout prix. »

Regarder le témoignage de Marta

Regarder le témoignage d’Anastasia

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