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Marielle, l’esthéticienne au grand cœur

Mis à jour le par Olivier Vilain
« J’ai l’habitude de m’occuper de ma mère, qui est malade, et de mes deux enfants, mais je m’oublie. Chaque soir, je me demande comment sera la journée du lendemain…» Ruth a les yeux qui brillent. Ce soir, elle va bien dormir après la séance avec Marielle

Une fois par mois, les bénévoles de Villejuif organisent des séances de soins et de bien-être avec Marielle, une esthéticienne au grand cœur. Ces instants de détente sont très appréciés par les personnes qui luttent au quotidien pour ne pas se faire engloutir par la précarité. « Quand elles ressortent, elles ont les yeux qui brillent », souligne Brigitte, responsable du comité local du Secours populaire.

Encore un peu endormie, Ruth a les yeux qui brillent. « J’ai l’habitude de m’occuper des autres, de ma mère qui est malade et de mes deux enfants, mais je m’oublie au passage. Et je ne suis pas seule dans ce cas. Sans papier pour le moment, je ne peux pas travailler. Chaque soir, je me pose la question de comment sera la journée du lendemain… Ce soir, je vais bien dormir parce que Marielle s’est bien occupée de moi. » La jeune femme de 34 ans, originaire du Congo, sort d’une séance de près d’une heure de soins du visage et de massages prodigués par Marielle, une esthéticienne professionnelle qui donne quatre heures de son temps tous les mois au comité de Villejuif. Toujours attentive, toujours souriante, cette dernière y met tout son savoir-faire et sa bienveillance. Elle passe d’abord « une lotion micellaire pour nettoyer le visage », puis procède au « gommage pour éliminer les cellules mortes », et pose enfin « un masque pour nourrir la peau ».

Pendant ces trois phases, Marielle déploie tout son savoir-faire dans le massage, d’abord du visage, puis de la nuque et des avant-bras. « Assez pipelette », la jeune femme aime discuter pendant la séance. « J’aime bien savoir avec qui je suis, mais si elles ne veulent pas parler pour mieux se détendre, je les laisse tranquille car j’essaie avant tout de leur faire passer un bon moment. » La jeune femme travaille en libérale, chez ses clients et ses clientes, mais donne aussi des cours une fois par semaine auprès des Apprentis d’Auteuil, à Meudon, dans les Hauts-de-Seine.

Les personnes en précarité ont de moins en moins les moyens et le temps de se faire des soins

Une fois par mois, le mardi après-midi, Marielle gare sa voiture à proximité du comité, salue Brigitte qu’elle connait depuis toute petite, déplie sa table de massage et reçoit les 5 femmes aidées par le Secours populaire qui ont réservé leur séance. « Marielle s’occupe uniquement d’elles. Elles sont venues sans leurs enfants, sans leur mari. Ça les sort pendant une heure de leurs soucis, ça leur fait un bien fou. Quand elles repartent, elles sont rayonnantes », s’enthousiasme Brigitte, responsable du comité local du Secours populaire. L’initiative a tout de suite affiché complet, les bénévoles devant établir une liste d’attente ; et pour cause : 59 % des personnes percevant au maximum 1200 euros par mois ont déclaré lors du Baromètre Ipsos / Secours populaire 2022 « ne pas pouvoir prendre soin de leur apparence ». Une proportion qui a grimpé de 20 points en un an, encore plus vite que l’inflation.

Six personnes sur dix percevant au maximum 1200 €/mois ont déclaré « ne pas pouvoir prendre soin de leur apparence » lors du Baromètre Ipsos / Secours populaire 2022. C'est 20 points de plus en un an. Une hausse encore plus forte que celle de l’inflation.
Six personnes sur dix percevant au maximum 1200 €/mois ont déclaré « ne pas pouvoir prendre soin de leur apparence » lors du Baromètre Ipsos / Secours populaire 2022. C’est 20 points de plus en un an. Une hausse encore plus forte que celle de l’inflation.

À côté de Villejuif, des ateliers bien-être sont aussi organisés un peu partout, comme à Angers, La Rochelle ou encore Souillac (Lot).

Le Secours populaire opère à partir d’une superbe maison de maître des années 30, prêtée par la mairie. La façade est décorée par des briques émaillées autour des fenêtres décorées, qui tranchent avec les autres de couleur terre cuite. Bénévoles comme personnes accueillies entrent en passant par l’imposante porte ornée d’un auvent Art déco, en verre et en métal. « Nous recevons 600 familles. C’est 200 de plus qu’avant le Covid-19 et ça continue en permanence d’augmenter. Les gens viennent, soit parce qu’ils n’ont pas de boulot, soit parce qu’ils n’arrivent plus à payer le loyer, les courses, les factures », indique Brigitte, qui souligne que plus de 200 familles sont logées par le 115.

« Nous sommes fiers de cet atelier bien-être, de leur sourire, de ces yeux qui pétillent à la fin d’une séance »

À l’intérieur, sur toutes les portes ont été disposées des affiches faites par une amie graphiste : à l’étage, Rosa Parks, figure Afro-Américaine du mouvement pour l’égalité, fait face à Olympe de Gouges, pionnière du féminisme pendant la période de la première révolution. Des présences rassurantes. Au rez-de-chaussée, on peut voir le sourire de la résistante Marie-Claude Vaillant-Couturier sur la porte que vient de passer Ruth. Cette dernière s’est rapprochée du salon où l’on peut voir, sur la porte, Julien Lauprêtre, l’ancien président du Secours populaire, cheveux au vent et regard gouailleur, le jeune résistant de 17 ans n’avait pas encore été emprisonné à Fresnes, aux côtés du groupe Manouchian. « Nous sommes fiers de cet atelier bien-être, de ces yeux qui pétillent à la fin d’une séance, de leurs sourires ; tout ça rejaillit sur nous », souligne Brigitte, qui note qu’après, les bénévoles nouent une relation différente avec les personnes aidées, grâce « à ce moment de délicatesse ».

Alternant cotons, gants, massages, Marielle, l’esthéticienne au grand cœur, multiplie les arabesques à chaque séance. Une tâche qui nécessité l'implication de son corps et une très grande concentration pour s'adapter à chaque tension, à chaque moment.
Alternant cotons, gants, massages, Marielle, l’esthéticienne au grand cœur, multiplie les arabesques à chaque séance. Une tâche qui nécessité l’implication de son corps et une très grande concentration pour s’adapter à chaque tension, à chaque moment.

Ruth a voulu remercier Brigitte et Dominique, venues pour accueillir les personnes qui avaient rendez-vous avec Marielle : « S’offrir des moments comme ça, ce n’est pas facile alors vraiment je ressens beaucoup de gratitude. » Elle a croisé Elsa, qui était arrivée une heure plus tôt. La jeune femme de 35 ans, originaire du Maroc, s’est allongée sur la table de massage. « Le matelas est chauffant, pas question qu’elle attrape froid », signale Marielle, qui, pour la séance, a tamisé les lumières et mis une musique organique, enveloppante, avec parfois l’écho lointain de la mer. L’esthéticienne au grand cœur commence sa chorégraphie. Avec deux cotons, elle nettoie délicatement la peau dans un long geste partant des deux extrémités du front. Les arabesques se poursuivent autour des yeux, avant que ses mains se rejoignent à la pointe du menton. Après des va-et-vient entre coton, gants de toilette, crèmes, c’est le moment des massages. Le visage, les avant-bras, les paumes des mains, puis la nuque. « C’est là que s’accumulent les tensions. »

La peur du lendemain, les procédures qui n’avancent pas: les personnes en précarité ont besoin de souffler

Détendue, les yeux fermés, Elsa se lance dans les confidences : « Avant, j’avais l’habitude de faire des soins. Maintenant, je n’arrête pas de courir, je n’ai plus le temps. C’est un peu cher aussi, donc j’ai d’autres priorités. Ça fait du bien quand on prend soin de nous. » Entre les deux femmes, la discussion continue, ponctuée par les soins de Marielle, qui s’emploie à rassurer la jeune femme allongée devant elle et littéralement enveloppée de bien être : « Vous avez une peau magnifique. » Elsa ressort au bout d’environ une heure, non sans avoir reçu un pack de produits de beauté et de soins pour, comme l’explique Marielle, « continuer chez elle ». Ces produits ont été donnés au Secours populaire par des entreprises de cosmétique. La jeune femme ne part pas tout de suite, elle souhaite remercier Brigitte et lui expliquer tout le bien que la séance lui a fait.

« Vous savez, on court tous les jours, la journée ne se termine pas, sans jamais penser à nous occuper de nous », relate Elsa avant de décrire son quotidien : il faut courir derrière les transports en commun, les rendez-vous impossibles à prendre avec la préfecture pour juste faire enlever son nom marital de ses papiers, alors qu’elle est divorcée depuis plus de deux ans.

« J’ai passé un bon moment. Je me suis sentie si bien que j'ai dormi », confie Fatima à Dominique, bénévole, et Brigitte, secrétaire générale du SPF à Villejuif. « On établit une relation totalement différente grâce à ces séances », assure cette dernière
« J’ai passé un bon moment. Je me suis sentie si bien que j’ai dormi », confie Fatima à Dominique, bénévole, et Brigitte, secrétaire générale du SPF à Villejuif. « On établit une relation totalement différente grâce à ces séances », assure cette dernière

« On est obligé de prendre rendez-vous sur internet, mais tout est bloqué. Il n’y a aucun créneau de disponible. » Devant les bénévoles présentes, la jeune femme décrit l’énergie dépensée pour tenter d’avoir une vie normale : pour faire avancer un dossier, cela suppose d’en débloquer en même temps beaucoup d’autres. « Tout est rendu compliqué, c’est épuisant. » Cette mise à jour de sa situation administrative est nécessaire pour toutes ses autres démarches et en premier lieu pour faire une demande de logement afin de quitter la chambre d’hôtel que lui a fourni le 115 mais qui nécessite de chasser les souris la nuit. « Un logement, ce sera aussi mieux pour ma fille, car avec tous nos déménagements d’une chambre d’hôtel à une autre, avec le 115, elle a raté une année scolaire. » La petite a du mal à rester concentrée sur ses apprentissages dans ces va-et-vient permanents.

Handicapée par un disque déplacé à la suite d’une chute à la cantine dans laquelle elle travaillait en intérim, Elsa doit aussi s’assurer du suivi médical de sa fille qui doit suivre un régime strict. « Donc un moment comme ça [passé avec Marielle], ça fait du bien », répète-t-elle aux bénévoles, attentives. Autant de bien que les sorties à l’opéra Garnier, au parc d’attractions ou à la grande mosquée de Paris. « On rencontre d’autres familles, on échange, on s’amuse avec les autres mamans. »

Fatima, Elsa et Ruth font face à la maladie

Le handicap est un point commun avec Fatima, 65 ans, qui vit du RSA depuis la mort de son mari, en 2015. Elle a arrêté son travail de nettoyage dans une maison de retraite de Paris pour s’occuper de son fils unique de 19 ans qui suit des études dans un institut spécialisé, en raison de plusieurs handicaps. À la fin de la séance, Fatima les yeux encore endormis, un peu déboussolée, et le tain éclatant a cherché un grand miroir pour voir le résultat du travail de Marielle : « C’est vraiment bien, c’est magnifique ! » dit-elle devant le grand miroir en pied qui trône au premier étage de l’escalier. « J’ai vraiment passé un bon moment. Je me suis endormie, tellement je me suis senti bien. »