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16e Baromètre de la pauvreté Ipsos / Secours populaire

Mis à jour le par Olivier Vilain
La 16e édition du baromètre Ipsos / Secours populaire met en lumière la difficulté pour une grande partie de la population de subvenir à ses besoins en pleine flambée de l’énergie et de l’alimentation.

Après deux ans marqués par la crise sanitaire, la 16e édition du baromètre de la pauvreté et de la précarité Ipsos / Secours populaire français met en lumière la difficulté pour une grande partie de la population de subvenir à ses besoins en pleine flambée de l’énergie et de l’alimentation.

Avec l’envolée des prix et la pression sur les revenus, pour beaucoup les conditions de vie se sont détériorées en 2022 ; et ce, dans des proportions rarement observées. Une situation d’autant plus dure qu’elle succède à deux années où les niveaux de vie avaient été marqués par le choc de la crise sanitaire et notamment la « récession historique » de 2020 (Le Monde, 29.01.21). Voici résumé en quelques mots le principal enseignement de la 16e édition du Baromètre de la pauvreté et de la précarité Ipsos / Secours populaire français de la pauvreté, qui scrute l’évolution de la perception de la pauvreté par les Français et les Françaises. Comme lors des vagues précédentes, ce baromètre a été élaboré à partir d’un questionnaire administré par téléphone auprès d’un échantillon représentatif de 1 000 Français âgés de 16 ans et plus, entre le 1er et le 5 juillet derniers.

Cet été, 41 % des Français étaient déjà en difficulté au moment de payer leur énergie domestique.

Transport, énergie et alimentation, c’est pour des postes de dépenses aussi essentiels que les difficultés ont le plus augmenté cette année, à en croire les personnes interrogées : près de 1 Français sur 2 (45 %) rencontre des difficultés pour payer de l’essence et les autres coûts liés au transport. Une augmentation de 15 points en un an ! A peu près autant de personnes (41%) sont fragilisées par le paiement de leurs dépenses d’énergie (chauffage, électricité…), un chiffre en hausse de 5 points par rapport au Baromètre de 2021. A noter que près de 6 millions de ménages étaient déjà dans une telle précarité énergétique en 2021, qu’ils recevaient le chèque énergie (Observatoire national de la précarité énergétique, janvier 2022).

Impossible de faire face aux dépenses essentielles

Si ces deux postes de dépenses engendrent des inquiétudes et des contraintes jamais vues depuis 2017, l’alimentation est également devenue un enjeu pour plus d’un tiers des Français : 37 % peinent à consommer des fruits et légumes frais tous les jours. « Maintenant l’alimentaire est devenu simplement hors de prix », témoigne ainsi Edith, une commerçante au chômage et qui élève seule ses quatre enfants. Il s’agit d’une augmentation de 5 points par rapport à 2021, année  marquée par une augmentation de 20 % des personnes à venir dans les libres services de la solidarité pendant et après les confinements, principalement pour recevoir de l’aide alimentaire.

Les étudiants et plus largement la jeunesse figurent parmi les catégories les plus affectées par la hausse des prix. Ici un libre-service alimentaire organisé par le Secours populaire sur le campus de Tours.


La flambée des prix dans le domaine du transport, de l’énergie ou de l’alimentation affecte l’ensemble des Français mais frappe particulièrement les ménages dont les ressources se trouvent dans le bas de l’échelle des revenus (moins de 1 200 euros net par mois pour un foyer). Les deux tiers de ces personnes ont du mal à faire face à cet ensemble de dépenses essentielles. Dans le détail, 67 % se déclarent fragilisés par les frais de transports et sont encore 65 % dans cette situation pour les dépenses d’énergie et à nouveau la même proportion quand il s’agit de consommer des fruits et légumes frais tous les jours. Par rapport à 2021, ces chiffres sont en forte hausse, de respectivement 18 points, 15 points et 13 points. Ces chiffres montrent le choc que subit un groupe, particulièrement vulnérable, qui représente pas moins de 20 % de la population française.

Compte en banque vide pour un Français sur deux

Avec la hausse des coûts du quotidien, seul un peu moins d’un Français sur deux déclare réussir à mettre de l’argent de côté (48 %). Ce chiffre est en baisse de 2 points par rapport à 2021. Par un jeu de vases communicant, plus d’un Français sur trois (36 %, +2 points) réussit à peine à boucler ses fins de mois, désormais. La part de la population qui vit à découvert est restée stable, à 15 %, mais pour les foyers dont le revenu mensuel net est inférieur à 1 200 euros, cette proportion est trois fois plus importante (44 %). Pour ces foyers se situant en bas de l’échelle des revenus, la solvabilité se dégrade encore : à force de découverts, plus du quart (26 %) redoute de basculer directement dans la précarité.

En un an, cette crainte s’est répandue comme un feu de forêt : la hausse par rapport à 2021 atteint 14 points ! Et encore, les gens font tout un tas de sacrifices dans leur vie quotidienne pour continuer à avoir pieds tant bien que mal. Ainsi, le premier poste de dépenses sur lequel les familles rognent est celui du départ en vacances. Près d’une famille sur deux s’en prive totalement cette année (47 %, +7 points). Une proportion jamais atteinte depuis 2017.

85 % des personnes interrogées considèrent que le risque de voir leurs enfants connaître un jour une situation de pauvreté est plus élevé que pour leur génération.


Le mouvement d’inflation sans précédent depuis 1985, selon les données Insee, pousse à un nouveau record le niveau de revenus nécessaire pour faire face aux besoins d’un individu vivant dans notre société en 2022 : les Français portent désormais le seuil de pauvreté subjectif à 1 263 euros par mois, soit un bond de 88 euros par rapport à la valeur qu’ils avaient retenue l’an dernier. Désormais situé à 161 euros au-dessus du seuil de pauvreté officiel (1102 euros par mois en 2022) et à un jet de 41 euros du Smic *, c’est le plus haut niveau jamais enregistré par le Baromètre Ipsos / Secours populaire.

Des mois à venir instables et très sombres

Le niveau record du seuil de pauvreté subjectif indique que, dans leur vie quotidienne, les Français ont une perception plus pessimiste que la vision purement statistique du nombre de personnes pauvres dans le pays.  La raison ? Ils y sont de plus en plus confrontés, à la fois dans leur propre vécu et dans celui de leur proche : 65 % des Français déclarent constater qu’une personne dans leur entourage leur semble être aujourd’hui confrontée à la pauvreté. Un chiffre qui bondit de pas moins de 10 points par rapport à 2021. Les gens sont bien plus nombreux à avoir connu la pauvreté que ne peuvent le laisser penser les chiffres produits chaque année sur le seuil officiel de pauvreté : 38 % de la population y ont déjà été confrontés (+3 points par rapport à 2021). Cet ordre de grandeur est proche de celui livré par le baromètre d’opinion que dresse chaque année la Direction de la recherche du ministère des Solidarités. Ce niveau se situe très près du record de 41 % enregistré en 2013 au plus sombre de la crise déclenchée par la spéculation sur le crédit immobilier aux Etats-Unis.

65 % des Français connaissent au moins une personne de leur entourage confrontée à la pauvreté.

Compte tenu de la dégradation rapide de leur niveau de vie ainsi que de celui de leur entourage, les Français se montrent surtout très inquiets pour les plus jeunes, qui ont déjà beaucoup souffert avec la crise sanitaire : 85 % des personnes interrogées considèrent que les risques de voir leurs enfants connaître un jour une situation de pauvreté sont plus élevés que pour leur génération. Un chiffre en augmentation de 7 points. Avec les pénuries qui se profilent (énergie et matières premières) et un contexte international instable, le panorama dressé par le baromètre risque encore de s’assombrir dans les mois qui viennent.

Les Français plébiscitent la solidarité : ils sont toujours aussi nombreux (65 %) à être disposés à s’impliquer pour aider leurs proches, leurs voisins, leurs concitoyens en situation de pauvreté.

Les Français plébiscitent la solidarité : ils sont toujours aussi nombreux (65 %) à être disposés à s’impliquer pour aider leurs proches, leurs voisins, leurs concitoyens en situation de pauvreté.


Une note d’espoir néanmoins : les Français plébiscitent la solidarité, aussi bien institutionnelle, qu’associative ou informelle : ils sont toujours aussi nombreux (65 %) à être disposés à s’impliquer personnellement pour aider leurs proches, leurs voisins, leurs concitoyens en situation de pauvreté. Une volonté qui se renforce par le fait de connaitre directement une personne confrontée à la pauvreté : dans ce cas, la proportion atteint 70 %. Ceci encourage les animateurs du Secours populaire à inviter toutes celles et tous ceux qui le souhaitent à agir avec eux y compris là où ils sont – dans leur village, quartier, lieu de travail ou d’étude –, pour faire barrage aux situations de pauvreté et de précarité.

* Le Smic est un salaire horaire qui représente l’équivalent de 1 304 euros net mensuels pour un temps plein.


FOCUS Enfants :

Un enfant sur deux est conscient de la pauvreté

Les enfants considèrent désormais la pauvreté comme quelque chose de présent, alors qu’elle était souvent considérée comme lointaine et même parfois absente de leur univers.

Dix ans. Cela fait dix ans que le Secours populaire français et Ipsos interrogent les enfants sur leurs perceptions de la pauvreté. Cette année, pour la quatrième fois en une décennie, 500 enfants âgés de 8 à 14 ans ont été interrogés, du 17 au 22 juin derniers. L’enseignement principal ? Les enfants considèrent la pauvreté comme quelque chose de présent, alors qu’elle était souvent considérée comme lointaine et même parfois absente de leur univers. Désormais, loin de l’insouciance proverbiale de l’enfance, 50 % d’entre eux pensent « qu’il y a beaucoup de personnes pauvres en France ». C’est 11 points de plus qu’en 2012. Où l’observent-ils ? Principalement, et de plus en plus, dans leur famille (44 %, contre 20 % en 2012), mais surtout à l’école (66 %, contre 40 % en 2012). Des résultats en forte hausse alors que l’envolée des prix n’avait pas fini de monter au moment de l’enquête.

Ces mêmes enfants déclarent, au minimum à 80 %, qu’ils ne connaissent pas de difficultés pour se soigner, manger de manière variée en quantité suffisante, etc. Une perception très stable sur dix ans, sans doute liée à la protection dont leurs parents les entourent, en dépit des difficultés. En revanche, ce voile protecteur disparait lorsqu’ils observent leur école : 67 % des enfants interrogés estiment que certains de leurs camarades de classe ne vont jamais au cinéma, au musée ou dans un parc d’attraction ; 57 % que leurs amis habitent dans un logement trop petit et en mauvais état. Ils sont encore un sur deux à remarquer que d’autres écoliers « n’ont jamais de nouveaux vêtements ou de nouvelles chaussures ».

Beaucoup d’angoisse et une grande envie de soliarité

Dans ce contexte, neuf jeunes sur dix souhaiteraient agir à leur niveau pour aider les enfants pauvres, que ce soit en France ou dans des pays étrangers. Ils relient en effet ce qui se passe autour d’eux et les échos que l’actualité leur renvoie sur des situations plus lointaines : un enfant sur trois se dit particulièrement inquiet à l’égard de la guerre qui se déroule en Ukraine, ainsi que de la situation climatique (avant même les mégas-feux et les vagues de canicule de cet été). Un quart d’entre eux se préoccupe aussi de la faim dans le monde, alors que s’accumulent les informations sur le manque d’approvisionnement en céréales des pays pauvres.

Conscients de ces enjeux, les enfants aimeraient agir pour « protéger l’environnement, la planète » (94 %, contre 98 % en 2019), « aider des personnes qui ont fui leur pays » (79 %) ou encore « lutter contre le racisme » (85 %). Ayant affiné leur envie, ils sont encore plus d’un sur deux (54 %) à vouloir rejoindre un mouvement de jeunesse comme Copain du Monde, qui offre aux enfants la possibilité d’agir pour la solidarité.

44 % des enfants pensent qu’il y a des personnes pauvres dans leur famille.

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