Antennes universitaires du SPF : « À la fac, la misère ne se voit pas »

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Lors de la permanence du mardi 17 septembre, François [à droite], bénévole de l’antenne universitaire Lille 1, reçoit un étudiant et l’inscrit au libre-service alimentaire.

Pour la rentrée, les bénévoles des antennes universitaires du Secours populaire français se mobilisent auprès des étudiants en difficulté.

Mardi 17 septembre à 11 h 30, François traverse d’un bon pas le campus de Villeneuve-d’Ascq et ouvre la permanence de l’antenne universitaire Lille 1 du Secours populaire située au premier étage de la maison des étudiants. Un peu avant midi, ce bénévole, qui a participé à la création de cette antenne en 2009, reçoit Moda dans un minuscule bureau pavoisé de drapeaux de différents pays. « Après avoir payé mon loyer avec mon travail d’été, je suis à sec : je me promène avec 10 €, ce sont mes seules ressources actuellement », précise l’étudiant, en 3e année de mathématiques appliquées, envoyé par l’assistante sociale du Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous). Inscrit au premier libre-service de la rentrée, le jeune homme de 27 ans, originaire du Sénégal, repart avec un kilo de pâtes, du riz, un paquet de céréales, un dessert chocolaté et des raviolis, des surplus du dernier libre-service qui servent à faire des colis alimentaires d’urgence.

« On fait des collectes pour varier afin qu’ils aient une alimentation équilibrée », détaille Yves, bénévole présent à la permanence du mardi et à la mise en place du libre-service, qui a lieu un lundi sur deux de 10 à 14 heures. À la rentrée lors de l’inscription, Yves et François prennent le temps de connaître la situation financière de chaque étudiant et leur donnent des conseils pour payer moins cher leur abonnement téléphonique, trouver un job, contacter l’assistante sociale… Ils leur expliquent comment préparer et agrémenter les conserves et les plats distribués en dépannage – certains étudiants ne connaissent pas la purée Mousseline !

« Une misère qui ne se voit pas »

« Les étudiants, pour la plupart étrangers, viennent essentiellement pour l’aide alimentaire. On aura environ 70 inscrits au premier libre-service : c’est beaucoup », relève François, qui, depuis 2009, constate une recrudescence de cette précarité (1). « À la fac, la misère, qui touche un jeune public, ne ressort pas forcément dans les vêtements, les traits : c’est une misère qui ne se voit pas. En cours d’année, on a accueilli jusqu’à 250 personnes à certains libres-services. » Au niveau national, le SPF a aidé près de 36 000 étudiants en 2018 et leur nombre ne cesse d’augmenter (2). « La lutte contre la précarité étudiante est une préoccupation forte pour l’association, qui se mobilise de plus en plus pour faire face à la détresse de la jeunesse », confirme Christian Lampin, secrétaire national à l’accès au sport et à la jeunesse.

« Certains étudiants sont en très grande difficulté, avec un reste à vivre de deux euros par mois, voire négatif », s’alarme Geneviève Ephritikhine, secrétaire générale de l’antenne Orsay-Saclay du Secours populaire (Essonne), une zone au sud de Paris qui accueille une grande faculté des sciences. « À Orsay, le plus gros problème, c’est le coût du logement : les étudiants sont très dispersés avec beaucoup de transport. Nous aidons majoritairement des étudiants d’Afrique du Nord et de l’Ouest, mais aussi des étudiants français, non boursiers, en rupture familiale, seuls sur Paris. »

Laura, 22 ans, étudiante colombienne au Département de l'enseignement du français à l'international de Lille 3

 

L’an passé, j’ai utilisé le libre-service une fois par mois, ce qui m’a permis de faire des économies sur mon budget que m’alloue ma famille. Je pense faire pareil cette année pendant laquelle je vais travailler [pour financer mes études]. Les bénévoles sont très gentils. L’année dernière, c’était très bien car une bénévole parlait espagnol : c’était ma première fois ici et je commençais à apprendre le français !

Laura, 22 ans, étudiante colombienne au Département de l’enseignement du français à l’international de l’université Lille 3.  

 

Des bénévoles aux côtés des étudiants

Venu se réinscrire au prochain libre-service, Seydina, 25 ans, quitte la permanence de l’antenne universitaire Lille 1 avec un colis de secours : « L’année dernière, cela m’a permis de faire beaucoup d’économies. Le contact est facile, souriant. Les bénévoles accueillent les étudiants indifféremment de leur origine et s’adaptent à leurs besoins : ils méritent qu’on leur tire un coup de chapeau ! » Une dizaine participe au fonctionnement de cette antenne, la première créée au SPF, qui en compte une quinzaine dans toute la France.

Pour la rentrée, les bénévoles sont aux côtés des étudiants, dont le coût de la vie repart à la hausse : de 1,96 % selon le syndicat Fage à 2,83 % pour son homologue l’Unef, soit près de deux à trois plus que l’inflation (+ 1,1 % sur un an, selon l’Insee). Contraints par un budget restreint (463 € par mois, en moyenne), ils consacrent en moyenne 8 € par jour à leur alimentation : près de neuf sur dix (86 %) sautent des repas, dont 17 % pour des questions d’argent. Au cours de l’année, 65 % d’entre eux déclarent avoir rencontré des soucis financiers et près de trois sur dix ont déjà été en difficulté plus de six mois par an (3). « Beaucoup d’étudiants doivent déjà choisir entre se nourrir et se soigner, déplore Mélanie Luce, présidente de l’Unef. Ce sera encore davantage le cas. »

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Lors de leur inscription à l’antenne universitaire Lille 1, les étudiants accueillis font le point avec les bénévoles sur leur situation financière. Contraints par un budget restreint, les étudiants consacrent en moyenne 8 € par jour à leur alimentation.

Du soutien matériel à l’accès aux droits et à la culture

En plus de l’aide alimentaire, qui comprend, selon les besoins, des produits d’hygiène, certaines antennes apportent un soutien matériel (paiement des frais d’inscription), comme celle de Nice située au sein du campus Carlone. Certaines proposent de l’aide vestimentaire à l’instar de celle d’Orsay-Saclay, qui met également du linge (couvertures, serviettes…) à disposition des étudiants arrivant en résidence universitaire. Les étudiants reçoivent aussi un accompagnement pour l’accès aux soins, l’ouverture des droits et un soutien administratif, notamment à la rentrée. « Pour ceux bloqués dans leurs démarches avec un risque de se retrouver à la rue, on peut activer la délivrance de la carte étudiant en allant au Crous », explique François, à Lille. Des antennes proposent des invitations au cinéma, au théâtre ou à des événements sportifs. À Lille, les étudiants peuvent pratiquer différents sports à l’association Spartak lillois – foot, basket, fitness…

Des étudiants impliqués dans la vie des antennes

Certains deviennent bénévoles et s’impliquent dans la vie des antennes. « Nous souhaitons que les étudiants de l’université Nice Sophia Antipolis, avec laquelle nous avons un partenariat, s’investissent dans le fonctionnement de notre antenne et montent leurs projets », précise Maryline Trabucatti, secrétaire générale de la fédération des Alpes-Maritimes. « Nouer un contact privilégié avec certains [étudiants accueillis] pour leur demander un coup de main fait sens avec nos missions », relève François. « Quand un étudiant qui s’est retrouvé dans la galère accompagne un autre jeune, cela permet de créer du lien et un partage d’expériences, souligne Christian Lampin, secrétaire national du Secours populaire. L’un des buts du SPF est de créer les conditions pour que les étudiants se mettent eux-mêmes en mouvement. »


1. Pour l’année universitaire 2018-2019, l’antenne comptait 394 étudiants inscrits.
2. Le Secours populaire a aidé 30 000 étudiants en 2017 et 28 310 en 2016.
3. Enquête Heyme, mutuelle étudiante, de juillet 2019.

Liens

Témoignages

L’année dernière, je suis venu deux-trois fois [au libre-service alimentaire de l’antenne universitaire Lille 1], environ une fois tous les deux mois et je vais me réinscrire [cette année]. Les bénévoles font un travail formidable : they do a very nice job!
Ils sont très gentils : j’aime toujours venir ici. Je suis végétarien et je repars à chaque fois avec ce qui me convient.

Dipen, 29 ans, étudiant indien originaire d’Ahmedabad (État du Gujarat) en master robotique.

Dipen,étudiant à l'école centrale de Lille-Polytech Lille

On aide tous les étudiants en difficulté. Pour ceux qui n’ont pas les 6 € de participation au libre-service, on fait des colis de secours avec les denrées que nous avons collectées.

Yves, retraité, bénévole à l’antenne universitaire Lille 1

L’année dernière, j’ai utilisé le libre-service deux fois par mois toute l’année : j’étudie à Lille depuis quatre ans, mais je ne savais pas que cela existait. Pour mon budget, cette aide est indispensable même si je travaille comme aide-soignante à Valenciennes auprès de personnes âgées pour financer mes études. C’est bien que [cette antenne] existe pour les étudiants, surtout étrangers qui n’ont pas d’aide familiale. [Cette année], je pense que je vais aussi faire la coupe de cheveux solidaire [à l’espace bien-être de la fédération]. C’est cher le coiffeur, surtout pour les cheveux longs !

Esmeralda, 38 ans, en logement privé, originaire de Cuernavaca (Mexique, État de Morelos).

Esmeralda, étudiante en master 1 (études hispaniques) à l’université Lille 3