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Les bénévoles du Secours populaire n’oublient pas l’Ukraine

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Une femme ukrainienne et sa mère, au poste frontière de Médika, à la frontière polonaise. 9 mars 2022
Une femme ukrainienne et sa mère, au poste frontière de Médika, à la frontière polonaise. 9 mars 2022. ©Jean-Marie Rayapen/SPF

Ce 24 février 2024 signe un triste anniversaire : celui des deux ans de guerre en Ukraine. Sébastien Thollot, secrétaire national du Secours populaire, en charge des questions européennes, revient sur ces deux années où le Secours populaire et ses partenaires ont déployé la solidarité en Ukraine et à ses frontières pour près de 100 000 personnes exilées. Ainsi qu’en France, où les bénévoles ont accompagné les familles réfugiées.

Le 24 février 2022, l’Ukraine est envahie à grande ampleur par la Russie et la guerre y fait rage. Quelle est la première réaction du Secours populaire ?

Nous avons tenu un discours de solidarité pour montrer à l’ensemble du réseau de bénévoles et de donateurs que notre souhait était d’agir au plus vite et au plus près, quelles que fussent les conséquences engendrées par l’invasion de l’Ukraine. La mise en mouvement a donc été immédiate et des opérations de collecte se sont mises en place. En cette période forte d’incertitude, nous avons aussi assuré de notre solidarité nos partenaires en Ukraine, ainsi que nos partenaires frontaliers de celle-ci, tels que la Pologne.

Dès le premier jour de la guerre, des femmes, des enfants et des personnes âgées ont fui leurs villes et villages dans un total dénuement. Comment le Secours populaire a-t-il agi dans cette situation d’urgence ?

L’invasion et les bombardements ont fait fuir les populations, qui se sont déplacées ailleurs en Ukraine ou réfugiées dans les pays proches, principalement en Pologne. Là, nous avons un partenaire, PKPS, avec lequel nous avions noué de fortes relations à l’occasion de notre travail autour du programme d’aide alimentaire de l’Union européenne. PKPS est une organisation importante, présente sur tout le territoire polonais, et donc sur les villes frontières. C’est lui qui, le premier, a été présent pour accueillir des flots massifs de centaines de milliers d’Ukrainiens en fuite. Notre message de solidarité a aussitôt été confronté à la réalité des actes : notre première action d’urgence a été le soutien des équipes de PKPS dans l’accueil des réfugiés, notamment dans la ville de Przemysl, où transitaient énormément de familles. Très vite, nous avons fait partir des missions sur place, afin de témoigner de notre solidarité et coordonner avec PKPS notre action. En a découlé par exemple l’équipement des six centres d’hébergement d’urgence de la ville de Przemysl en produits d’hygiène, produits d’entretien, lave-linge et sèche-linge.

« Fidèles à nos valeurs, nos modes de faire, nous avons souhaité apporter des réponses globales. »

Des actions d’urgence ont-elles également été mises en place en Ukraine ?

Nous avions en effet un partenaire dans le nord du pays, l’hôpital-clinique de Kyiv. Nous avons pris contact pour voir comment nous pouvions apporter notre soutien dans la durée, car nous savions que la réponse médicale à cette guerre, dont nous n’avions alors aucune idée de l’ampleur qu’elle prendrait, serait une des réponses primordiales. Nous avons soutenu notre partenaire pour qu’il puisse continuer de mener à bien ses missions, notamment la prise en charge des blessés. Notre autre partenaire était présent quant à lui dans le sud, à Odessa. UAS Four-leaf clover travaille sur la question de l’enfance et s’est retrouvée aussi, plus encore qu’à Kyiv, sur les premières lignes de déplacement – des populations ainsi que de la progression de l’armée russe, puisque très proche des territoires déjà annexés. Des distributions de produits de première nécessité ont pu être effectuées aux populations les plus précaires grâce au soutien du Secours populaire sur cette zone.



Le gymnase de Przemysl en Pologne a été transformé en centre d’accueil d’urgence pour les réfugiés ukrainiens au printemps 2022. Les bénévoles de notre partenaire PKPS organisent l’accueil. Avec eux, le Secours populaire a équipé les lieux avec des lave-linge, des sèche-linge et assure la mise à disposition aux familles de produits d’hygiène ©J-M Rayapen / SPF

Après les premiers mois de chaos, des opérations de « post-urgence » se sont mises en place en Ukraine comme à ses frontières. Il s’est agi d’accompagner les personnes et les aider à se reconstruire. Qu’ont alors fait le Secours populaire et ses partenaires ?

Fidèles à nos valeurs, nos modes de faire, nous avons souhaité apporter des réponses globales. Nous avons pu le faire car nos partenaires en Europe ont la même approche que nous. Ainsi, nous avons pu nous inscrire dans la durée, prendre en compte la question de l’enfance, du traumatisme de cette guerre. Par exemple, en Moldavie, nous avons travaillé à la mise en place d’un centre éducatif pour la jeunesse qui envisage les enfants ainsi que les parents, le soutien psychologique comme l’aide à la scolarité et le maintien du lien social. Un autre centre d’accueil pour enfants a vu le jour à Odessa en Ukraine. Des lieux d’accueil et d’orientation se sont montés en Pologne, qui ont proposé une aide qui allait de l’accueil en urgence jusqu’aux cours de langue, pour favoriser l’insertion des familles.

« Ce que nous poursuivons, ce sont des moments d’humanité, qui se réalisent naturellement car notre vision n’est pas seulement celle d’une urgence matérielle. »

On sent, dans ces actions, un attachement à l’enfance et à la jeunesse. Il témoigne du souhait du Secours populaire de s’inscrire dans la durée à travers une approche éducative forte mais aussi en offrant des moments de bonheur. Comment s’incarne cette approche ?

Ce que nous poursuivons, ce sont avant tout des moments d’humanité, qui se réalisent naturellement car notre vision n’est pas seulement celle d’une urgence matérielle. Il est important de faire naître ces temps qui se situent hors de la stricte gestion de la crise. Ces temps de jeu et de fête pour les enfants, nous les avons organisés en lien avec les parents et imaginés comme des bulles d’humanité. Ce sont des jeux, des spectacles, des goûters à l’occasion de Noël. Des « journées bonheur » dans un parc de loisirs, d’attractions, un pique-nique, une balade dans la nature… Nous nous sommes appuyés sur notre expérience : de tels moments, nous en avons mis en place en France comme à l’étranger, parfois dans des pays en guerre. Ces moments sont fondamentaux, pour des familles qui ont quitté leur foyer et souvent tout perdu en quelques instants : ils sont une manière de se reconnecter au réel, à une possibilité de normalité durant quelques heures.

« Participer à la solidarité, c’est sortir du traumatisme ; passer du temps au Secours populaire, c’est évoluer dans un environnement serein, sécurisant, qui rompt avec la précarité et l’anxiété. »

Lilia, réfugiée ukrainienne installée à Grasse dans les Alpes-Maritimes, choisit des denrées au libre-service du Secours populaire. « C’est sûr, vous n’en voulez pas un peu plus ? », lui demande Samia, bénévole. ©JM Rayapen/SPF

Pendant ce temps, en France, les bénévoles du Secours populaire n’ont pas ménagé leurs efforts. Il y eut les opérations de collecte mais aussi une solidarité concrète apportée aux Ukrainiens réfugiés en France. En quoi a consisté cette solidarité ?

Il y a eu un véritable élan de solidarité et de mise en place d’une organisation pour répondre aux besoins. Des régions ont été particulièrement concernées : l’Île-de-France bien sûr, mais également Strasbourg et Nice. Le Bas-Rhin et les Alpes-Maritimes sont historiquement des régions d’accueil de la diaspora ukrainienne. Ces départements ont été fortement sollicités. Ils ont d’abord accueilli avec chaleur les familles et répondu aux besoins essentiels (l’aide alimentaire et en produits d’hygiène, en vêtements et en moyens de communication) puis ont adapté leur solidarité dans un contexte assez inédit : une prise en charge globale, précise et rapide mise en place par le gouvernement, notamment quant à l’obtention du statut de réfugié. Le Secours populaire a joué son rôle d’orientation et d’accompagnement à l’obtention des droits. Puis il s’est concentré sur ce qu’il sait si bien faire : des temps de loisirs, de vacances, de sorties culturelles. Les bénévoles du Secours populaire ont aussi aidé les réfugiés ukrainiens à mieux comprendre un pays dans lequel ils n’auraient jamais pensé venir : des temps de discussions et de rencontres, de socialisation, d’apprentissage de la langue. De nombreux réfugiés sont devenus bénévoles à leur tour. Participer à la solidarité, c’est sortir du traumatisme ; passer du temps au Secours populaire, c’est évoluer dans un environnement serein, sécurisant, qui rompt avec la précarité et l’anxiété.

Aujourd’hui, des besoins immenses demeurent. Notamment dans le domaine de la santé, où le Secours populaire s’est très investi, n’est-ce-pas ?

Quand une guerre s’éternise, la question de la prise en charge des blessés, mais aussi du bon acheminement du matériel médical, se pose pour les structures hospitalières. Avec nos partenaires à Kyiv et Odessa, nous avons éprouvé ces questions difficiles et avons souhaité y apporter des réponses en y travaillant avec eux. L’acheminement de matériel à haute valeur ajoutée a permis aux médecins de l’hôpital de Kyiv de pratiquer leur métier de soignants dans des conditions adéquates. Dans le même esprit, au Centre de consultation et de diagnostic pour enfants Reznyk d’Odessa, nous avons fourni des médicaments et des équipements.

« Même si l’Ukraine n’est plus en haut des fils d’actualité, la situation y est toujours aussi dramatique et les bénévoles ne l’ont pas oubliée. »

Outre le champ de la santé, où se concentreront les efforts du Secours populaire dans les mois à venir ?

Dans le champ de l’enfance ! Car derrière les enfants, il y a les familles et en particulier les mères, ainsi que l’enjeu de l’éducation. Nous avons pérennisé dans ce sens le centre éducatif pour la jeunesse de Chisinau avec notre partenaire moldave MilleniuM. Nous observons aussi un développement fort des villages d’enfants « Copain du Monde » où se rencontrent enfants d’Ukraine, de Pologne, de Roumanie, de Moldavie… Dans les pays d’accueil, il faut bien sûr venir en aide aux plus fragiles, qui sont les réfugiés ukrainiens. Mais il convient aussi de ne pas oublier les enfants en difficulté de ces pays, afin de ne pas créer d’opposition ou d’isolement. Toute solution de solidarité se fait nécessairement pour toutes les populations en difficulté, quelles qu’elles soient. Dans nos projets avec nos partenaires, cette volonté d’actions incluant réfugiés ukrainiens et populations locales a été présente dès le début.

Quand vous regardez ces deux années de solidarité avec les Ukrainiens, quels éléments vous semblent marquants ?

Avant tout, la volonté collective des bénévoles du Secours populaire de trouver des solutions, de faire leur part. Que ce soit dans l’accueil des personnes dans les permanences d’accueil ou dans l’organisation de collectes pour donner à nos partenaires européens les moyens financiers d’aider les personnes réfugiées et déplacées d’Ukraine. Ce que je craignais, c’est que la guerre s’installant dans la durée, l’émotion s’estompe et la solidarité décroisse. Même si l’Ukraine n’est plus en haut des fils d’actualité, la situation y est toujours aussi dramatique et les bénévoles ne l’ont pas oubliée. Des initiatives continuent aujourd’hui d’être montées en faveur des familles ukrainiennes. On a l’habitude de dire qu’une catastrophe en chasse une autre ; dans ce cas, ce n’est pas vrai. La présence de réfugiés ukrainiens dans notre pays, dans nos permanences d’accueil et relais santé, et dans nos équipes bénévoles, y est peut-être pour quelque chose. Mais dans tous les cas, les bénévoles du Secours populaire n’ont jamais oublié, jamais relâché leurs efforts.

Brochure "Urgence Ukraine – Février 2024, 2 ans après"

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