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MilleniuM, une île dans la tempête

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Egor, jeune Ukrainien de 16 ans, vient chaque jour au Centre éducatif pour la jeunesse de l’association moldave MilleniuM, afin de suivre sa scolarité en ligne. Il y est accueilli par sa compatriote Evgenia.
Egor, jeune Ukrainien de 16 ans, vient chaque jour au Centre éducatif pour la jeunesse de l’association moldave MilleniuM, afin de suivre sa scolarité en ligne. Il y est accueilli par sa compatriote Evgenia. ©JM Rayapen/SPF

Le Secours populaire et son partenaire moldave MilleniuM conduisent ensemble de nombreuses actions en faveur de la jeunesse. Durant l’été ou les fêtes de Noël sont ainsi conduites des activités éducatives, de loisirs et de sensibilisation à la solidarité. En janvier 2023 a ouvert le Centre éducatif pour la jeunesse, qui permet aux jeunes Ukrainiens réfugiés de poursuivre leur scolarité et se reconstruire après l’exil, tout en tissant des liens avec les jeunes Moldaves. Reportage publié ce 20 novembre, Journée internationale des droits de l'enfant.

« Soyez les bienvenus », lance Vitalie, le directeur de l’Institut de formation et de développement MilleniuM, partenaire du Secours populaire en Moldavie. « Vous êtes ici chez vous », poursuit-il, enjoignant chaque visiteur à se déchausser et enfiler une paire de chaussons frappés du logo de l’association qu’il fonda en 2000. Un foyer, un endroit sûr et chaleureux, une famille : ainsi l’équipe de MilleniuM a-t-elle imaginé le Centre éducatif pour la jeunesse, qu’ont déjà fréquenté un millier de jeunes Ukrainiens et Moldaves, âgés de 12 à 17 ans, depuis son ouverture en janvier 2023 avec l’aide du Secours populaire. « Son objectif principal est d’apporter un soutien aux jeunes Ukrainiens qui ont fui la guerre et trouvé refuge en Moldavie », éclaire Vitalie. Ceux-ci peuvent y suivre leurs cours en ligne, grâce à des postes de travail confortables et silencieux et une connexion haut débit. Seuls 10% des jeunes Ukrainiens étudient dans des établissements moldaves : continuer, à distance, de suivre les programmes ukrainiens est une manière de garder un lien avec le pays, d’atténuer les affres de l’exil.

« Je ne vis plus dans le passé comme les premiers temps de mon exil. Je vis dans le présent et le futur. »

Du Centre, Evgenia est la responsable administrative. Elle accueille dès 8 heures ses jeunes compatriotes – elle est originaire de Poltava, « quelque part entre Kiev et Kharkiv ». Elle leur remet un ordinateur et un casque, les installe confortablement. La jeune femme de 35 ans, qui exerçait en tant que psychologue scolaire dans son pays, les entoure de sa présence discrète. « Je veille sur eux – je fais tout pour qu’ils se sentent bien dans le Centre » : ainsi résume-t-elle son travail. Elle s’assure qu’ils aient un en-cas le matin, un repas chaud le midi et un goûter l’après-midi. Elle supervise leur travail scolaire et fait le lien, dès que c’est nécessaire, avec leurs parents. « Les mamans sont souvent inquiètes », glisse-t-elle d’un air entendu. Elle l’est elle-même d’un petit garçon de 8 ans, Alexandr. Tous les deux ont fui la guerre dès les premières bombes et sont arrivés en Moldavie le 27 février 2022. Ces quelques jours ont fiché dans l’esprit du petit garçon une terreur profonde. Il a fallu du temps à Alexandr pour calmer ses angoisses. La première année, Evgenia n’a pas pu travailler. « Il avait vécu trop de stress et ne parvenait pas à sortir de la maison. Il avait besoin de moi », confie-t-elle. Aujourd’hui, il va mieux. Il va à l’école, se passionne pour le roller. « Il grandit ! », souligne-t-elle avec une pointe de fierté.

« J’aime mes collègues et me sens en accord avec les valeurs de MilleniuM, analyse Evgenia. Je fais partie d’une communauté, je m’inscris dans une histoire collective – avant tout, je me sens utileLa vie continue : je ne vis plus dans le passé comme les premiers temps de mon exil. Je vis dans le présent et le futur. » Evgenia circule dans la vaste pièce baignée de lumière, penche sa longue silhouette sur chaque enfant. Elle s’attarde auprès de Miroslava, dont le handicap demande une grande attention puis vient aider Egor. Le garçon de 16 ans, originaire d’Odessa, semble enfermé dans sa coquille mais il faut peu de temps pour que celle-ci ne se fendille et révèle un caractère enjoué. « Je fréquente le Centre depuis 7 mois et je m’y suis tout de suite senti bien. Ici, il y a toujours quelqu’un pour t’aider, à qui confier tes problèmes. Avant de venir, j’étais seul. J’avais encore très peur. Puis j’ai franchi le pas : j’ai d’abord suivi les cours en ligne et un mois plus tard, j’ai commencé à m’ouvrir aux autres. Ce que m’a donné le Centre de plus précieux, ce sont des amis ! » Egor prépare cette année ses examens finaux de 11ème année (l’équivalent de la 1èreen France), un moment important pour tous les jeunes Ukrainiens : pour cela aussi, il sait pouvoir compter sur l’appui du Centre.

« Je tente à ma mesure de leur montrer qu’il demeure, en ce monde, une part lumineuse. »

Après le repas méridien, les professeurs arrivent. Chaque après-midi, ils viennent aider les jeunes à faire leurs devoirs, réviser leurs leçons ou préparer leurs examens. La plupart d’entre eux sont des réfugiés ukrainiens – ainsi en va-t-il d’Anna, visage rond barré d’un large sourire, yeux grands ouverts. Pour chaque enfant, elle a un geste tendre. Comme Egor qu’elle rejoint, elle habitait, avant que tout ne bascule, à Odessa. « J’y ai vécu 17 ans mais j’ai grandi dans le village de Sergiyevsk. J’ai quitté mon pays le 1er juillet 2022, quand la première bombe est tombée sur mon village d’enfance. » L’engagement d’Anna prolonge en quelque sorte ces mots : l’enfance ne saurait s’accommoder d’une telle violence, il faut l’en préserver, en sauver la part précieuse. « Le plus grand défi pour ces jeunes, c’est leur état psychologique, la peur qui les noue, songe-t-elle. Leurs pères, leurs frères sont restés en Ukraine ; une part de leur âme est toujours là-bas. J’essaie de les aider à vivre ici et maintenant. Et tente à ma mesure de leur montrer qu’il demeure, en ce monde, une part lumineuse. » Anna enseigne l’histoire mais propose aussi des exercices de renforcement de la mémoire, de concentration et de logique. « Le cerveau est un muscle, il doit s’adapter aux situations nouvelles ». Regarder devant sans oublier d’où l’on vient : à sa manière, Anna résume ce à quoi chacun des jeunes Ukrainiens du Centre est confronté.

Jeunes Ukrainiens et jeunes Moldaves se retrouvent au Centre et participent à des activités éducatives ou artistiques. Ils sont très attachés à ces temps de rencontres. ©JM Rayapen/SPF

Au fur et à mesure que l’après-midi avance, les lieux se remplissent. L’ukrainien cède imperceptiblement la place au russe : c’est la langue que parlent entre eux les jeunes Ukrainiens et les jeunes Moldaves, roumanophones. Étrange paradoxe que la fonction de concorde que revêt pour les jeunes cette langue qui, à d’autres égards, incarne le chaos de leurs existences. « En fin de journée, quand les écoles sont fermées, nous ouvrons nos portes aux jeunes Moldaves, explique Vitalie. Avec leurs amis ukrainiens, ils participent à différentes activités extrascolaires. Ils passent du temps ensemble, participent à des ateliers ou des jeux que l’équipe de MilleniuM organise afin qu’ils puissent développer de nouvelles compétences et savoir-être. » Ces activités sont d’une remarquable diversité : apprentissage de la musique, du dessin ou du chant, soirées cinéma, ateliers lecture mais aussi art-thérapie et séances de soutien psychologique. Cet après-midi, la petite vingtaine de jeunes présents participent à un jeu de rôle imaginé par l’équipe de MilleniuM, intitulé « Idea Market ». A la clé : un bon d’achat pour s’offrir un livre. Au programme : l’émergence de propositions collectives et argumentées pour améliorer le fonctionnement du Centre. Les rires et les idées fusent de toutes parts. C’est bien un foyer que MilleniuM a imaginé, où il fait bon vivre, où chacun prend sa part.

« C’est ma deuxième maison ici. Je crois que suis heureuse en Moldavie. »

Nastia espère des cours de danse hip hop – elle est prête, quant à elle, à transmettre ses connaissances en danse classique. « Danser, c’est ce qui m’anime ! », assure la jeune Ukrainienne de 14 ans qui fréquente le Centre depuis son ouverture. « C’est ma deuxième maison ici. Il y a des professeurs et des éducateurs avec qui je peux parler de choses très personnelles, ça me fait du bien. » Elle connaît tout le monde, court de groupes en groupes. « C’est étrange ce que je vais te dire, confie-t-elle, soudain plus grave. Je crois que je suis heureuse ici en Moldavie. Plus heureuse encore que quand j’étais en Ukraine. Je me suis fait des amis, je participe aux activités du Centre, je me sens en sécurité ici. » Une bonne partie de l’équipe de MilleniuM est présente. Parmi elle, il y a Petru. Le jeune éducateur revient de l’école d’un village à l’est du pays, Coshnitza : membre de l’antenne mobile de l’association, il sillonne la Moldavie et se pose dans les établissements scolaires, les centres sociaux, les mairies, les centres d’hébergement pour conduire des ateliers sur les thématiques citoyennes chères à MilleniuM : la lutte contre les violences faites aux femmes, les stéréotypes ou encore le harcèlement. « Ces activités éducatives sont primordiales, mais il ne faut pas sous-estimer l’importance des loisirs et de la culture, confie Petru. Ils permettent de lutter contre le stress ; ce sont des moments où l’on se sent pleinement humain, où l’on peut être vraiment ensemble. » Petru n’est jamais aussi heureux que lors de ces moments passés au Centre avec les jeunes car, dit-il, « ils vivent intensément leur jeunesse et le moment présent ; les soucis sont chassés au loin. » 

Petru est également professeur de guitare. Certains, parmi les jeunes présents ce jour, suivent les cours qu’il offre un soir par semaine. Il y a par exemple Elisa, 14 ans, originaire de Soumy, à la frontière russe. Elle rencontre chaque vendredi Sacha, la psychologue de MilleniuM – « Ça me fait un bien fou, on parle de tout, du mal du pays comme de l’automutilation ». Elle fait une pause puis, montrant le casque qui ceint son cou et ne la quitte jamais : « Quand j’écoute ou je joue de la musique, je me sens en sécurité. Cela adoucit ma vie. Je préfère la musique aux bruits du monde », prolonge-t-elle. La guitare, c’est son grand frère Feodosiy qui avait commencé à lui apprendre, avant que la guerre n’éclate. Il est resté là-bas, en Ukraine, pour se battre. « Je veux continuer d’apprendre, explique Elisa. C’est ce que je fais grâce au Centre. C’est une façon pour moi de rester proche de mon frère et de mon pays. » Il y a aussi Oleg, renfermé et débordant de colère quand il est arrivé, à qui son père manque terriblement, mais qui s’est aujourd’hui ouvert aux autres et participe activement aux débats et aux activités. « Je suis heureux d’avoir trouvé MilleniuM sur ma route. C’est une île au cœur de la tempête. »

Elisa suit les cours de guitare de propose le Centre. Elle y prolonge, ici à Chisinau, l’apprentissage initié par son frère, resté en Ukraine. ©JM Rayapen/SPF
Elisa suit les cours de guitare de propose le Centre. Elle y prolonge, ici à Chisinau, l’apprentissage initié par son frère, resté en Ukraine. ©JM Rayapen/SPF.

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