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Les femmes, trop souvent laissées seules face aux violences

Mis à jour le par Olivier Vilain
Chaque année, près de 300.000 femmes sont victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leur conjoint ou de leur ex. Un nombre encore supérieur souffrent de violences psychologiques.

Elles font face. Les femmes mises à l’abri à l’Asfad, à Rennes, renouent avec la vie. Aux côtés des professionnels qui les entourent, le Secours populaire apporte son soutien matériel à un processus long et douloureux.

« Merci beaucoup », dit Marie* en refermant son grand sac sur les paquets de pâtes, les boîtes de thon, les desserts qu’elle vient de choisir à la distribution alimentaire organisée par le Secours populaire au centre social du Cleunay, un quartier populaire de Rennes. Dehors, pendant deux bonnes heures, la file ne désemplit pas.

Venue avec ses deux fils de 3 et 5 ans, elle finit son circuit devant le stand de Dominique, bénévole, qui a fixé une grande table, entre deux arbres, sur laquelle il a disposé des cagettes d’oranges gorgées de jus, de cédrats à la peau granuleuse, des bottes de carottes avec leurs longues fanes, sans oublier de superbes batavias. Une explosion de couleurs. « Tout est bio », dit-il fièrement alors qu’en contrebas les rires des enfants qui jouent dans la cour de la halte-garderie montent jusqu’à lui.

Un lieu d’hébergement pour être à l’abri

« Tous les mois, nous venons en camion, dans différents quartiers, pour rapprocher les distributions alimentaires des gens, explique Jean-Marie, membre du secrétariat départemental du Secours populaire. Ce mardi, nous avons donné rendez-vous à 130 familles au siège de la fédération d’Ille-et-Vilaine et à 40 autres ici. »

Un tel dispositif arrange bien Marie, 22 ans, qui rentre à pied, lourdement chargée. La jeune femme est hébergée à l’Association pour les familles en difficulté (Asfad), à quelques centaines de mètres de là, non loin du Stade Rennais, depuis qu’elle s’est séparée de son mari violent. Dans la structure, qui comprend une équipe de travailleurs sociaux, une équipe médicale et un psychologue, une quarantaine de femmes et leurs enfants sont bien entourés.

Séparée de son mari violent, Marie est hébergée par l'Asfad et va à la distribution alimentaire du Secours populaire.

 

Séparée de son mari violent, Marie est hébergée par l’Asfad et va à la distribution alimentaire du Secours populaire. 

 

Elles perçoivent plusieurs types d’aides financières, qui restent modestes, et se rendent donc aux distributions alimentaires de plusieurs associations. Les familles reçoivent parfois la visite de bénévoles du Secours populaire. « La distribution de cadeaux de Noël, en décembre dernier, a été beaucoup appréciée », relate Anne, l’une des travailleuses sociales qui les accompagnent.

L’Asfad est une institution à Rennes. Cela reste un cas de figure assez rare pour être souligné. « Les places d’hébergement d’urgence pour les femmes victimes de violences sont peu nombreuses. On en compte quelques milliers, dans des centres qui ne sont pas toujours non mixtes. Alors que près de 300 000 femmes déclarent subir chaque année des violences physiques ou sexuelles ; et encore bien plus font face à de la maltraitance psychologique, en tout premier lieu des insultes, qui ont pour effet de les détruire psychiquement », relève Magali Mazuy de l’Institut national des études démographiques (INED), qui vient de publier en janvier dernier avec trois autres chercheuses une enquête de référence intitulée ‘‘Violences et rapports de genres’’.

Près de 300 000 femmes déclarent subir chaque année des violences physiques ou sexuelles ;

et encore bien plus font face à de la maltraitance psychologique,

en tout premier lieu des insultes qui ont pour effet de les détruire psychiquement.

Magali Mazuy de l’Institut national des études démographiques (INED)

Mises à l’abri, les femmes hébergées à l’Asfad doivent encore tourner la page et se reconstruire après des mois, voire des années, de maltraitances de la part de compagnons se croyant tout puissants. Nono et Emma ne sortent du foyer qu’ensemble, pour poursuivre leurs démarches administratives ou pour aller aux distributions alimentaires : leurs ex-compagnons les harcèlent, cherchent à les voir, les insultent, leur envoient des SMS.

Pas dans son assiette, Emma vient d’obtenir cinq jours avant une ordonnance d’éloignement, qui interdit à son mari d’entrer en contact avec elle ou avec leur fille. Elle a peu dormi, la veille, il a envoyé une série de messages à sa fille dénigrant sa mère. « Il n’a pas arrêté entre minuit et sept heures du matin. Ma fille n’a pas pu dormir, elle avait mal à la tête et a dû prendre du Doliprane », dit-elle, dépitée. Elle ne va pas en rester là. Avec son avocat et l’équipe de l’Asfad, elle va faire sanctionner cette atteinte à l’ordonnance d’éloignement. Même si elle préférerait mettre son énergie dans la recherche d’un emploi.

Un phénomène qui traverse toutes les classes sociales

Si ce matin du début du mois de mars, les femmes présentes étaient en général peu diplômées, il ne faut pas se faire d’illusions : les violences conjugales sont le fait d’un système général et sont exercées dans toutes les strates de la société. « Le phénomène des violences conjugales traverse toutes les catégories sociales, rappelle Magali Mazuy de l’INED. Mais on observe que par l’isolement qu’elles induisent, les phases d’inactivité, l’absence de travail soit de la personne qui subit les violences soit pour leur auteur, augmentent les violences. C’est flagrant dans la période de crise actuelle et avec le confinement.»

La précarité peut être l'un des facteurs d'emprises d'un compagnon violent. Avec d'autres associations, les bénévoles du Secours populaire aident les femmes victimes de violences à reprendre pieds.

La précarité peut être l’un des facteurs d’emprise d’un compagnon violent. Avec d’autres associations, les bénévoles du Secours populaire aident les femmes victimes de violences à reprendre pied. 

 

Maria apprécie de n’avoir à se déplacer qu’au centre social du Cleunay, à proximité. « Avant, je devais traverser toute la ville. Je ne pouvais pas après mon opération à l’épaule. » La femme de 39 ans est venue du Congo, il y a deux ans, avec son fils de 8 ans pour se faire opérer. Elle a habité avec un homme qui a abusé d’elle. « Nos deux familles se connaissent. Il m’avait dit qu’il allait m’aider dans mes démarches auprès de l’hôpital. Il avait l’air gentil, calme ; mais ensuite, son comportement a changé. Puis, il m’a fait du chantage. »

Les violences conjugales ont triplé avec le confinement

Ce sont d’abord les insultes, les cris, les humiliations, puis les interdits – « interdit de toucher à la télécommande, de faire la cuisine ; de manger, même pour mon fils ! » -, puis les coups. « Je n’en dormais plus, je n’en pouvais plus. Je m’obligeais à supporter tout ça car je n’avais nulle part où aller. » Elle est très diminuée physiquement par le manque de sommeil et par son atèle. « La police ? Il me disait qu’elle me renverrait. »

Pendant le confinement, « cela a dégénéré », insiste-t-elle. Comme elle, des milliers de femmes ont vu leur situation empirer. Entre le 16 mars et le 10 mai 2020, le nombre d’appels au 3919, le numéro d’aide aux femmes victimes de violences, a bondi, selon la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences : « Les appels pour violences conjugales ont triplé par rapport à la même période de 2019 » pour atteindre 25 % des appels. Et si le ministère de la justice a enregistré moins de féminicides, les tentatives de meurtre, elles, étaient plus nombreuses. Ces violences dégradent la santé des victimes, ainsi que leur espérance de vie et celle des enfants, qui bien souvent peuvent prendre des psychotropes pour gérer leur stress.

La plainte a été classée sans suite, malgré le viol et les violences 

En mars 2020, une nuit, il la bouscule sur le lit, lui déchire sa robe et la viole. « Je me suis battue. Je lui ai annoncé que j’allais porter plainte. Je me suis souvenue que j’avais rencontré une étudiante. Je l’ai appelée. Elle est venue nous chercher mon fils et moi le lendemain. C’était ça où je me serais suicidée », dit-elle avant de fondre en larmes. À l’hôpital, les médecins lui prescriront 15 jours d’interruption temporaire de travail. Les séquelles sont nombreuses : problèmes cardiaques, tassement des vertèbres cervicales, interruption de son traitement pour l’épaule… « Le pire est que le parquet de Rennes a classé la plainte sans suite, malgré cela et malgré les menaces de mort. Je n’en dors pas. »

Dans la plupart des cas, les femmes ne peuvent compter que sur leur entourage, faute de moyens et de structures ; les auteurs des faits sont très insuffisamment pris en charge, même après le mouvement massif de prise de parole #Metoo, alors qu’il faudrait un plan de prévention très ambitieux incluant la formation de tous les professionnels. « Il y a urgence, estime la chercheuse Magali Mazuy, car les études montrent que les violences les plus graves, comme les tentatives de meurtre ou les violences de la part d’un ex, n’ont pas diminué. »

* Les prénoms ont été modifiés


Merci aux femmes hébergées à l’Asfad, qui ont bien voulu nous rencontrer ; merci aux équipes de l’Asfad, à celles de l’Ined, en particulier Magali Mazuy, et aux bénévoles du SPF à Rennes.

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