Belgrade : une association conjure le spectre de la rue

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Dragana, coordinatrice du Centre d’accueil de jour, lors d’un atelier de création de bijoux.
Dragana, coordinatrice du Centre d’accueil de jour, lors d’un atelier de création de bijoux. ©JM Rayapen/SPF

A Belgrade, notre partenaire CYI (Center for Youth Integration) vient en aide aux enfants des rues, dans les bidonvilles où vivent les communautés Roms mais aussi dans les camps de réfugiés. Les équipes de CYI œuvrent pour leur scolarisation puis leur formation professionnelle. Reportage dans le Centre d’accueil de jour de Zvesdara puis le Café Bar 16, deux lieux dédiés à l’insertion dans la société serbe des enfants et des jeunes accompagnés par CYI. Cet article est publié en écho au volet européen du 18e baromètre de la pauvreté et de la précarité Ipsos / Secours populaire, dévoilé ce jour.

Hellena connaît le labyrinthe du bidonville de Vuka Vrcevica comme sa poche. Elle salue les familles, glisse un mot aux enfants qui viennent à sa rencontre, anticipe les poches d’eau stagnantes et les rigoles boueuses, semble indifférente aux odeurs pestilentielles que libère la canicule de ce jour d’été. 300 familles vivent ici, dans des cabanes assemblées de matériaux de récupération ou, pour les plus chanceuses, dans de petites baraques en agglo. Ni eau, ni électricité pour ces familles roms, qui « chaque jour, se battent pour survivre ». Hellena fait partie des équipes mobiles de CYI (Centre pour l’intégration des jeunes), une association partenaire du Secours populaire qui, depuis 2004, œuvre pour venir en aide aux enfants des rues de Belgrade. A ses côtés court Dahim, onze ans, l’un des neuf enfants de la famille Gasi. Les équipes de CYI accompagnent la fratrie depuis plus de dix ans. 

Un accompagnement global

« La première fois qu’ils nous ont aidés, c’était avec de la nourriture et des vêtements, se souvient son grand frère Nazim, 18 ans. Et puis après, ils ont inscrit les enfants à l’école. » Nazim, quant à lui, n’y est jamais allé et subsiste, depuis qu’il a douze ans, en effectuant des travaux de déblaiement sur les chantiers – les moins qualifiés et les plus pénibles, sans contrat de travail, comme c’est très souvent le cas pour les Roms, marginalisés en Serbie. Grâce à l’intervention de CYI, Dahim a pu être scolarisé. « Au début, des bénévoles de CYI venaient chercher les enfants du camp et les emmenaient à l’école chaque matin. C’est comme ça qu’on a fait connaissance », témoigne Nazim. A présent, Dahim, ainsi que trois de ses frères et sœurs, vont à l’école tout seuls. « On y va à pied ! J’aime beaucoup l’école et la maîtresse m’a dit que je travaillais bien », sourit le petit garçon. « Mes devoirs, je les fais au Centre d’accueil », poursuit-il. 

Dahim évoque le Centre de Zvesdara, l’un des deux lieux d’accueil de jour pour les enfants roms que CYI a installés dans le grand Belgrade – les « drop in shelters », comme tout le monde les appelle. Comme les 400 enfants qui les fréquentent, Dahim y bénéficie d’un accompagnement global. Les professionnels de CYI pourvoient aux besoins essentiels de ces enfants démunis : un petit déjeuner ou un repas chaud, la possibilité de prendre une douche, trouver des vêtements propres, être accompagnés dans leurs devoirs, participer à des ateliers créatifs, éducatifs ou ludiques, bénéficier d’un soutien psychologique. « J’y retrouve des copains, on joue au basket ! », s’anime Dahim. Mais ce qu’il préfère avant tout, c’est « être dans la nature » – en effet, CYI organise de nombreuses sorties en forêt ou dans des parcs, mais aussi dans les musées, au cinéma. Le Centre d’accueil se veut à la fois fenêtre ouverte sur le monde et foyer sûr et chaleureux. 

Dahim, 11 ans, est un des 400 enfants roms accompagnés par le CYI. ©JM Rayapen/SPF

« Quand ils viennent ici, ils sentent qu’ils sont entourés et peuvent faire les choses que font habituellement tous les enfants : jouer, rire, faire les devoirs, manger un goûter », témoigne Neda, assistante sociale au Centre. Autour d’elle, les lieux sont emplis de lumière et de couleurs, les murs sont couverts de dessins d’enfants, les meubles ornés de leurs créations artisanales. « Ici, c’est chez eux ! », ajoute-t-elle. Le sourire de Neda, comme ceux de la trentaine de salariés et volontaires qui œuvrent quotidiennement au sein des deux centres (soignants, avocats, éducateurs spécialisés, psychologues pour enfants et travailleurs sociaux), a dû guérir bien des blessures. 

« Ici, c’est chez eux ! »

« Certains font un travail de médiation entre les familles des enfants et les différentes institutions afin de leur faire accéder à leurs droits », précise Dragana, coordinatrice des deux centres d’accueil. C’est une des clés, selon cette petite femme déterminée, pour lutter contre « la triple discrimination que ces enfants vivent parce qu’ils sont roms, pauvres et vivent dans des bidonvilles ». Les conditions extrêmes dans lesquelles se débattent leurs familles font que ces enfants sont parfois contraints de travailler ou de mendier. « Aussi, le temps qu’ils passent avec nous, c’est un temps où ils ne sont pas dans la rue, ne souffrent pas de la faim, ne risquent pas d’être victimes d’abus ou de violences, note Dragana. C’est un temps préservé, où ils sont en sécurité. » 

Un oiseau sur le point de déployer ses ailes

A quelques kilomètres de là, dans un des quartiers branchés de la nouvelle ville de Belgrade, le Café 16 se mêle aux galeries d’art et restaurants tendance. Dans une cour aux murs recouverts des œuvres de Jana, l’une des street artists les plus fameuses de la capitale, le toit de bambou de sa terrasse et son enceinte végétale tranchent avec le béton. A l’intérieur, le calme rompt lui aussi avec l’agitation urbaine. L’un des murs est recouvert d’une fresque de Jana – un oiseau, sur le point de déployer ses ailes. Guéridons et chaises hautes, tables basses et canapés : les clients lisent ou travaillent, dégustant une boisson, dans cet endroit prisé de la ville – oasis de sérénité dans la journée, adresse où faire la fête le soir. Rien n’indique que ces lieux sont un établissement d’insertion : en l’occurrence, le café-école de l’association CYI. Derrière le comptoir, Viktor, 20 ans, accueille les clients avec un sourire chaleureux.

Viktor, serveur et barman, au Café 16 où il travaille et accompagne les jeunes apprentis. ©JM Rayapen/SPF

L’histoire que nous conte Viktor fait écho à l’histoire de Dahim : il a grandi dans la pauvreté d’un bidonville et la rencontre avec CYI, la fréquentation de son centre d’accueil de jour, l’accompagnement de ses équipes, le chemin trouvé de l’école furent un tremplin pour le jeune garçon. « J’y ai toujours trouvé quelqu’un pour m’écouter, pour m’aider », précise-t-il. Quand Viktor a 16 ans, CYI lui propose d’intégrer le Café 16 et d’apprendre le métier de serveur. « J’ai dit oui tout de suite car c’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire et je voulais rester avec les personnes de CYI qui avaient toujours été là pour moi, souligne-t-il. Le Café 16, pour les jeunes qui comme moi vivent des parcours de rue, est une chance formidable de trouver un travail mais aussi de vivre un nouveau départ dans la vie. » Le jeune serveur passe de table en table, son large plateau rond dansant au-dessus de sa tête. Il sert trois thé glacés maison, une des spécialités du Café 16 – une préparation de son invention.

« Je suis heureux aujourd’hui »

Viktor prend aussi le temps de prodiguer des conseils ou de rassurer les deux jeunes Roms, apprentis, qui s’activent derrière le bar. « Pour les jeunes qui arrivent, je m’efforce de n’être pas qu’un collègue mais aussi un éducateur et un formateur : ce que j’ai appris, je le transmets, sourit-t-il. C’est le rôle que mon confère CYI et j’en suis très fier. » Tandis qu’il nous parle, il resserre un percolateur, rajuste un col de chemise, vérifie une commande, glisse un encouragement. Jasna, robe rouge et voix douce, coordinatrice du programme d’insertion de CYI, est venue saluer la petite équipe. « Avec le Café 16, nous proposons aux jeunes une formation de serveur au sortir du collège, détaille. Ensuite, nous pouvons les embaucher ou les recommander auprès d’autres cafés ou bars de Belgrade. Nous pouvons aussi leur proposer un emploi à temps partiel afin qu’ils puissent avoir du temps et de l’argent pour continuer leurs études. »

« Si je suis heureux aujourd’hui, c’est parce que CYI m’a toujours soutenu et ne m’a jamais laissé tomber, depuis mon entrée à l’école primaire jusqu’à aujourd’hui, tient à préciser Viktor. Aujourd’hui, je peux louer mon propre appartement loin du bidonville et passer mon permis de conduire car je touche chaque mois un salaire. » La porte du café s’ouvre : un homme jeune, la vingtaine, entre. Jasna se dirige vers lui pour le saluer. « Bonjour Maksut ! » Qui est Maksut ? « Il est un enfant grandi en bidonville, il est passé par le drop in shelteret le Café 16 lui aussi », confie-t-elle avec tendresse. Aujourd’hui, c’est un des barbiers le plus réputés de Belgrade ! »

Sans-logis Saint-Petersbourg
Voir le 3e baromètre européen par Ipsos et le Secours populaire français : « La précarité, une réalité préoccupante« 

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