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Grèce : l’irremplaçable solidarité populaire

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Tandis que la Grèce est frappée par une recrudescence de la pauvreté, les mains tendues des bénévoles de Solidarité populaire de Grèce (ici, celle de Katerina) sont irremplaçables. ©Alex Gasteratos / SPF

Des quartiers populaires d’Athènes aux camps de réfugiés alentours… Solidarité populaire de Grèce (SPG) apporte, jour après jour, son aide aux plus démunis dans un pays gravement touché par une recrudescence dramatique de la pauvreté. Le Secours populaire, partenaire de l’association, l’a suivie deux jours durant. Reportage.

On peine à circuler dans le local de Solidarité populaire de Grèce (SPG), tant le sol est occupé par les 250 sacs de nourriture qu’ont confectionnés les bénévoles. Chacun recueille « 7 kg de produits protéinés, pâtes, riz, haricots blancs, lentilles et pois chiches », précise Haïk Apamian, président de l’association. Certains aliments ont pu être achetés en gros grâce au fruit des braderies mises en place par SPG, d’autres grâce au soutien de son partenaire français, le Secours populaire. « Un soutien et un encouragement indispensables », souligne Haïk. Chaque coin est investi, chaque couloir, chaque étagère, chaque pied d’escalier. Le reste de l’espace accueille vêtements, jouets, produits d’hygiène et matériel scolaire, soigneusement triés et répartis en rayonnages. Le siège de SPG se situe dans le quartier d’Áno Patíssia, au nord-ouest d’Athènes. « Quand j’étais petit, il n’y avait ici que des champs ! » se souvient Haïk, septuagénaire aujourd’hui. À présent que les limites de la capitale grecque se sont étendues, c’est la solidarité qu’il y cultive avec ses amis.

Il est encore tôt quand, ce matin d’automne, ceux-ci s’activent. Xénophon, trésorier de SPG, prend le volant de la petite camionnette dans laquelle 130 des sacs confectionnés ont été entassés. Le véhicule ploie sous le poids insensé, le bas de caisse se rapproche dangereusement du sol. Les bénévoles soufflent après l’effort. « Pas besoin d’abonnement à la salle de sport ! Avec la crise, je n’en aurais de toute façon pas les moyens ! » plaisante Xénophon. La crise de 2010 est dans tous les esprits ici en Grèce, ainsi que la recrudescence dramatique de la pauvreté qui meurtrit le pays en raison de l’inflation. Selon le baromètre européen Ipsos / Secours populaire de la pauvreté et précarité, 88 % des Grecs déclarent ne plus savoir sur quelle dépense faire des compromis. Toutes les générations sont touchées, « des enfants qui ne connaissent plus l’insouciance de la jeunesse jusqu’aux personnes âgées qui sont privées des biens essentiels, éclaire Anastasia, secrétaire de SPG. La pauvreté a augmenté dans des proportions telles que je ne reconnais plus mon pays : je vois des gens fouiller dans les poubelles pour trouver de quoi se nourrir. Je pensais que ça ne se passait que dans les pays en guerre… C’est bien une guerre contre la pauvreté que nous menons aujourd’hui. »

Un monde devenu trop cher

L’équipe de SPG se retrouve dans le quartier de Kypséli Grava, « l’un des quartiers les plus populaires d’Athènes, précise Haïk. Y vivent de nombreuses personnes au chômage, des immigrés de première et deuxième générations, beaucoup de personnes âgées. C’est un quartier où la pauvreté frappe dur. » Sur une place entourée d’un complexe scolaire et d’un centre socioculturel, Haïk, Xénophon et Anastasia sont rejoints par Katerina, Rena, Helena et Christina et tous revêtent leur chasuble jaune vif. À l’ombre de petits oliviers, des personnes attendent déjà, tenant l’invitation qu’ils ont reçue de SPG. « L’association Solidarité populaire de Grèce, pleinement consciente des difficultés auxquelles de nombreuses personnes et familles sont confrontées, vous invite à accepter un sac de nourriture », peut-on y lire, entre autres lignes délicates. Une heure et demie durant, des hommes et des femmes, de jeunes mères de famille, mais surtout des personnes âgées, repartiront munis d’un sac de vivres ainsi que d’un litre d’huile de tournesol.

Grèce : l’irremplaçable solidarité populaire
Une habitante du quartier de Kypséli Grava se voit offrir par Rena, bénévole de l’association Solidarité populaire de Grèce, un colis de denrées alimentaires. ©Alex Gasteratos / SPF

Au fur et à mesure que s’allège la camionnette de Xénophon s’allègent les cœurs. « C’est inespéré ! Je vais pouvoir cuisiner tout ça avec des tomates et des oignons, se réjouit Eleni, 82 ans. Ce sac, il m’assure à lui seul presque 30 repas ! Ça va peut-être aussi me permettre d’économiser quelques euros pour mes petits-enfants. Ne jamais pouvoir leur offrir un petit cadeau me brise le cœur. » Nikos, lui, ne parvient pas à sourire. Cet ancien instituteur de 79 ans souffre de la pauvreté depuis plus de dix ans et toute joie semble l’avoir abandonné. « Ce monde est devenu trop cher. Je ne peux m’en sortir qu’en demandant de l’aide. Ma retraite est trop maigre. Une fois payées l’eau et l’électricité, il ne reste que 120 euros pour vivre chaque mois. » C’est la première fois qu’il est aidé par SPG et les bénévoles l’entourent : ils ne le lâcheront plus. Nikos ne sera plus seul et rendez-vous est pris au local dans les jours qui viennent, pour choisir de bons vêtements et continuer d’être soutenu sur le plan alimentaire.

Meilleure que l’ONU

Pour Catarina, c’est aussi la première fois. Elle a été invitée via le cercle des personnes âgées, un des collectifs du quartier sur lequel SPG s’appuie pour identifier les personnes pauvres et précaires. « Je me sens soulagée et reconnaissante. Et heureuse de voir qu’il y a encore des êtres humains prêts à tendre la main aux plus démunis. »Catarina a beaucoup hésité avant de venir, « mais les circonstances l’imposaient. Les prix dans les supermarchés ont trop augmenté, ma retraite de 500 euros fond vite, regrette la sexagénaire. Je ne fais plus qu’un repas par jour. Le soir, je ne bois plus qu’un thé… Trois repas par jour ? Cela fait longtemps que ce n’est qu’un rêve ! » Tels Catarina, 41% des Grecs interrogés dans le cadre du baromètre Ipsos / Secours populaire admettent avoir dû récemment sauter un repas même s’ils avaient faim… Nombreuses sont les personnes qui s’attardent. C’est dans l’épaisseur humaine et la chaleur de ces moments que réside la raison d’être de SPG. « J’aide, de tout mon cœur. Ce que je veux voir coûte que coûte, ce sont des sourires sur les visages », résume Katerina. Ce matin, elle a invité à la distribution des personnes qu’elle sait être aux abois, comme ce père accidenté et handicapé qui peine à communiquer et est venu avec son enfant, dont l’évocation lui fait monter les larmes aux yeux. Dans ce quartier où elle habite depuis longtemps, Katerina aide tout le monde : les femmes victimes de violences, les aînés esseulés, les enfants désœuvrés. Elle y est connue par son surnom : United Nations. « Tu es encore meilleure que l’ONU, Katerina », lui glisse tendrement Anastasia.

Dans la convivialité de ces discussions, s’il n’y avait les chasubles jaunes des bénévoles, on ne saurait distinguer qui aide de qui est aidé. Parmi les bénévoles, la pauvreté frappe aussi : Rena, bénévole depuis la création de l’association en 2013, n’y arrive plus. « Je limite toutes mes dépenses et tous mes besoins. Je me prive parfois de nourriture, n’achète plus de vêtements. Ceux que je porte aujourd’hui, c’est SPG qui me les a donnés », révèle la gorge serrée cette femme engagée de 62 ans, avant d’aller accueillir un vieil homme qui s’approche. Catarina exprime son désir de rejoindre l’équipe de bénévoles et Haïk reçoit ce souhait comme un immense cadeau : « Notre objectif, c’est de soutenir les plus démunis et leur permettre, par notre action, de se relever et devenir eux-mêmes solidaires », rappelait-il encore le matin même. Du sac de Catarina se détachent les couleurs vives de deux primevères en pot. « Comme vous m’avez offert de la nourriture, j’ai pu m’acheter des fleurs, confie-t-elle. Je les mettrai sur mon balcon : les petits plaisirs, ça donne la force d’avancer. »

Notre combat: préserver la dignité

Nourrir le corps tout comme l’âme, cultiver l’espoir : Catarina n’aurait su mieux résumer l’objectif que poursuivent les bénévoles de SPG. « Nous souhaitons permettre aux gens de rester debout, de continuer à espérer une vie meilleure. Notre combat, c’est de préserver leur dignité », résume, tandis qu’elle referme les portes du coffre vidé de la camionnette, avant de lâcher, regard intense et grand sourire : « La solidarité, c’est la meilleure manière d’être heureux tout en se rendant utile à l’autre. » Les actions de SPG embrassent large : aux distributions alimentaires et repas solidaires s’ajoutent le don de jouets et fournitures scolaires, l’organisation de week-ends créatifs et camps d’été pour les enfants, de sorties au théâtre ou escapades à la mer pour les familles. Lors de ces dernières, les bénévoles invitent toujours les réfugiés qui vivent dans les camps d’Athènes dans des conditions extrêmement difficiles. Depuis sa création, SPG a soutenu les réfugiés du camp d’Eleonas, construit dans une ancienne oliveraie, puis de Skaramangas, édifié sur un chantier naval abandonné ; à présent, c’est auprès des familles du camp de Malakasa que les bénévoles se portent.

Grèce : l’irremplaçable solidarité populaire
Reza et Katerina, bénévoles de Solidarité populaire de Grèce, distribuent des colis alimentaires aux familles réfugiées du camp de Malakasa. ©Alex Gasteratos / SPF

Le lendemain après-midi. Les bénévoles de SPG se dirigent vers le camp de Malakasa, à trente minutes de route au nord d’Athènes. La camionnette de Xénophon, alourdie par une nouvelle centaine de sacs, précède la voiture d’Haïk où siège Katerina. Sur le parking de terre les attend Reza, jeune Afghan de 21 ans, bénévole très actif de SPG et résidant du camp. C’est lui qui fait le lien avec ces familles réfugiées d’Afghanistan, du Pakistan, d’Iran ou encore d’Irak, pour les distributions mais aussi les sorties au théâtre et à la mer. Il est accompagné de sa mère et son frère, ainsi que de son ami Samim. Tandis que tous quatre, ainsi qu’Haïk, Xénophon et Katerina revêtent leurs chasubles, les familles commencent à sortir du camp par petits groupes. Comme hier, un grand calme règne, la sérénité est d’aloi. Dans ce monde à part, à l’écart du cours ordinaire de la vie, les habitudes se recréent néanmoins : des enfants tapent dans un ballon, des femmes discutent à l’ombre d’un arbre en berçant leur bébé, de jeunes hommes rient entre eux. Les mêmes invitations passent de main en main, les mêmes sacs délestent la camionnette pour retrouver l’abri des cabas – c’est le travail discret, opiniâtre et irremplaçable de la solidarité.

« La tristesse m’envahit souvent, en raison des conditions de vie dans le camp qui sont très dures et de la pauvreté qui est la nôtre, confie Reza. Venir en aide aux autres, cela me redonne de la force. Voir le sourire sur le visage des enfants, je ne connais rien de meilleur pour me guérir de la dépression. » Reza, en effet, rit à présent. Dans le voyage incertain qui est le sien et celui de sa famille, il semble avoir trouvé le refuge d’une patrie – la solidarité. Au loin, Katerina s’est isolée. Entre deux voitures, elle pleure et sa silhouette, d’habitude si dynamique, s’affaisse. « J’aimerais tant pouvoir faire plus pour tous ces gens. Je me sens impuissante », avoue-t-elle. Mais elle se reprend vite – il y a tant de travail à faire ! Elle revient vers ses amis de Solidarité populaire de Grèce et la mère de Reza lui serre le bras. C’est un geste furtif mais il semble gonfler Katerina d’énergie. Elle reprend sa place près de la camionnette et se saisit d’un sac. Elle a chassé la peine à présent et est toute à sa tâche. La solidarité se poursuit.


Grèce : l’irremplaçable solidarité populaire
Une partie des bénévoles de SPG (de gauche à droite et de haut en bas) : Haïk Apamian, Rena Delagramatica, Xénophon Koutsaftis, Katerina Stamopoulou, Reza Hosseini et Anastasia Kyriakopoulou.

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