Émanciper

  • Culture et Loisirs

Palestine : « L’accès à l’éducation est vital »

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Mustapha Barghouti dans le centre de formation et d’accompagnement des jeunes de HDIP à Ramallah, le 4 décembre 2022. ©JM Rayapen/SPF

Répartis sur le territoire palestiniens, les sept centres de formation et d’accompagnement de la jeunesse sont des lieux de ressources pour les étudiants palestiniens, de l’école jusqu’à l’université. Animés par les volontaires de l’association HDIP, partenaire du Secours populaire, ils sont aussi des lieux de vie sociale et démocratique pour l’ensemble des habitants. Le Secours populaire a décidé de s’engager pour la pérennité de ces centres dont le fonctionnement est compromis. Rencontre avec M. Barghouti, membre fondateur de HDIP.

Mustapha Barghouti, médecin, militant pour les droits de l’homme, est le fondateur de HDIP (Health Development Information and Policy Institute), association plaidant et œuvrant pour l’accès des Palestiniens à la santé et à l’éducation. HDIP travaille main dans la main avec le partenaire historique du Secours populaire en Palestine, PMRS (Palestinian Medical Relief Society), que préside le même Mustapha Barghouti. Depuis les années 70, aux côtés de PMRS, le Secours populaire n’a cessé de soutenir de nombreux projets d’accès aux soins d’urgence et d’éducation à la santé. Avec HDIP, c’est sur le front de l’accès à l’éducation et à la culture que le Secours populaire se mobilise.

Nous rencontrons le docteur Barghouti en décembre 2022 à Ramallah, dans le Centre de formation et d’accompagnement des jeunes de HDIP. Des milliers de livres occupent les rayonnages qui l’entourent. Sur le mur qui lui fait face, des photographies témoignent des destructions causées par l’armée israélienne en 2002 dans ce même centre. Les ordinateurs y furent pulvérisés, les murs tagués, les étagères effondrées. Les portraits encadrés de certains des responsables du centre, dont celui de Monsieur Barghouti lui-même, bombés. Quand celui-ci évoquera l’enjeu crucial qu’est l’accès à l’éducation et au savoir, notre regard se lèvera irrémédiablement vers ces photos de désolation. La propreté des lieux aujourd’hui, le calme qui y règne et la force immobile des livres qui le peuplent pourraient être les symboles de la résilience et de la détermination des équipes de HDIP à préserver la vie de ces centres. Lieux de ressources pour les étudiants et de vie pour la population, leur existence est menacée faute de moyens financiers. Mustapha Barghouti en appelle à la solidarité du Secours populaire, dont la présence auprès du peuple palestinien n’a jamais failli.

Quel est l’objectif principal de ces centres de formation et d’accompagnement des jeunes ?

Ces centres sont au nombre de sept, répartis en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza[1]. Ils sont très importants car ils apportent une aide aux écoliers et aux étudiants. Leur objectif premier est un égal accès de toutes et tous – y compris les étudiants pauvres ou en situation de handicap – aux livres et aux ouvrages pédagogiques ainsi qu’à des photocopieurs, des ordinateurs avec connexions internet. Ces centres possèdent tous une bibliothèque qui en constitue en quelque sorte le poumon. Y sont également mis en place des accompagnements à la méthodologie de recherche ainsi que, pour les enfants, de l’aide aux devoirs ciblée dans les matières où ils sont en difficulté. Nous tenons en particulier à aider les filles à terminer leur scolarité et aller à l’université. Pour faire face au problème des mariages précoces, nous expliquons aux familles et aux filles l’importance de l’éducation. Nous tenons aussi à accompagner les étudiants dans la connaissance et la défense de leurs droits. Dans les centres se déroulent des ateliers et séminaires sur l’action non violente, l’exercice de la citoyenneté ou l’égalité femmes-hommes. Notre action doit concourir à rendre ces jeunes autonomes, en leur faisant acquérir les connaissances et compétences qui leur donneront les moyens de réussir dans leurs études mais aussi de s’organiser démocratiquement et se battre pour leurs droits.

« Ces actions d’accès à la connaissance et à l’éducation permettent de prévenir les violences et les souffrances. »

Ces centres ont donc, au-delà de leur seul rôle éducatif, un rôle social ?

Oui, absolument. Des partenariats sont tissés, localement, avec les universités, les écoles, les associations et toutes sortes d’activités y sont mises en place. Au-delà de l’accompagnement scolaire ou universitaire, de nombreuses activités quotidiennes y sont menées. Les ateliers concernent des domaines aussi divers que la cuisine, les premiers secours, la calligraphie, la musique, les arts plastiques, l’informatique, l’alphabétisation, le soutien psychologique, l’éducation aux médias. Ce sont des lieux ouverts, des lieux de vie et de rencontres, d’apprentissage tout au long de la vie, de circulation des savoirs au sein d’une communauté. Avec PMRS, nous sommes sur le terrain de l’urgence et de la santé. Avec HDIP, ces actions d’accès à la connaissance et à l’éducation nous permettent en quelque sorte de prévenir les violences et les souffrances.

Quelle est la situation de la jeunesse aujourd’hui en Palestine, et en particulier des étudiants ?

C’est une situation très triste. Les jeunes ne voient pas de perspectives, pas d’avenir clair. Le problème est que tout le peuple, les jeunes y compris, est sous une occupation militaire qui dure depuis 65 ans. Il y a 642 points de contrôle militaires en Cisjordanie, et les jeunes doivent traverser ces checkpoints pour se rendre dans leurs écoles et universités. Nous sommes entravés dans nos déplacements. Par exemple, les étudiants de Cisjordanie ne peuvent pas aller à Jérusalem ; ceux de Gaza ne peuvent pas venir en Cisjordanie. Les jeunes sont de plus soumis à une violence continue : depuis le début de l’année, nous avons perdu environ 211 jeunes, dont 47 enfants, qui ont été tués par balle. De plus, les jeunes souffrent d’un chômage massif. Dans les centres, nous menons avec eux un travail d’orientation, afin de leur offrir le maximum de chances de trouver un travail après leurs études. Enfin, il y a bien sûr le problème de la pauvreté. Il y a généralement plus d’un enfant qui va à l’école ou à l’université dans une même famille et pour la plupart des foyers, c’est une charge insoutenable. L’accès à l’éducation est une véritable gageure aujourd’hui – mais plus que jamais, il est vital.

« Si nous n’aidons pas ces jeunes, ils pourraient abandonner leurs études et leur avenir serait détruit. »

L’éducation est plus importante que tout ?

Je le pense, oui. L’histoire du peuple palestinien est émaillée de grandes souffrances. Depuis la Nakba[2], 70% de la population est constituée de réfugiés. Ce qui a sauvé les familles palestiniennes, c’est qu’elles ont consacré toutes leurs forces à l’éducation de leurs enfants. C’est pourquoi il est si important maintenant de poursuivre cet effort, de donner aux jeunes les mêmes opportunités que nous avons eues, que nos pères et nos mères nous ont données, d’accéder au savoir. Les centres de formation de HDIP poursuivent cet effort. Parce que si nous n’aidons pas ces jeunes, ils pourraient abandonner leurs études et leur avenir serait détruit.

Mais ces centres, malgré leur importance, sont aujourd’hui en difficulté…

Il y avait au départ douze centres mais cinq ont récemment fermé, en raison de la situation économique qui ne cesse de se dégrader en Palestine. Nous devons à tout prix préserver les sept restants. Nous possédons les infrastructures, l’expertise, l’expérience ; des centaines de volontaires sont mobilisés. Mais ce qui nous manque aujourd’hui, ce sont les finances indispensables au fonctionnement de ces centres. Nous devons pouvoir rémunérer chacun des sept coordinateurs, payer les loyers et les factures courantes, financer des sorties et des activités culturelles, rembourser à nos volontaires leurs frais de transports. Sans soutien, nous devrons fermer ces centres. Ils sont pourtant vitaux : les enfants en ont besoin, les écoliers et les étudiants en ont besoin, les communautés en ont besoin. C’est une question de justice sociale.

Le Secours populaire a donc un rôle à jouer ?

Nous espérons un soutien du Secours populaire pour les trois prochaines années. Si les sept centres pouvaient être soutenus par une fédération départementale chacun, ce serait formidable. Et si d’autres fédérations souhaitent se mobiliser, alors nous pourrions rouvrir des centres que nous avons dû fermer faute de moyens. Nous sommes liés au Secours Populaire depuis 1983. La première fois qu’un partenaire étranger est venu nous voir sur notre terre afin de nous aider, c’était le Secours populaire français. Depuis, nous n’avons cessé de travailler main dans la main. Non seulement parce qu’il nous soutient mais surtout parce que nous partageons les mêmes valeurs, le même souci de justice. Pour nous, il n’est pas un donateur mais un partenaire. Le Secours populaire nous a aidés à financer des cliniques mobiles, des ambulances, des formations aux premiers secours ; il a toujours été présent dans les situations d’urgence au fil des décennies. Aujourd’hui, nous faisons appel au Secours populaire afin de pouvoir pérenniser et développer nos centres de formation et d’accompagnement pour les jeunes. Il faut sauver notre jeunesse.

 

[1] Ils sont situés à Tulkarem, Bethléem, Ramallah, Jénine, Naplouse, Jérusalem et Khan Younis.

[2] L’exode palestinien de 1948 est appelé, dans la mémoire collective, « Nakba », c’est-à-dire la catastrophe, le désastre. A l’issue de la guerre israélo-arabe de 48, entre 700 000 et 750 000 Arabes palestiniens sur les 900 000 qui vivaient dans les territoires qui sont passés sous contrôle israélien durent fuir ou furent chassés de leurs terres.

 

Palestine - l’accès à l’éducaiton est vital

Les étudiants sont partie prenante de la gestion des centres de HDIP. A Hébron, ils s’investissent dans l’achat, le référencement et le classement des livres universitaires.