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En piste pour les sports d’hiver

Mis à jour le par Olivier Vilain
Les filles font leurs premiers pas sur la neige. Des débuts difficiles, qui laissent place à l'amusement et au plaisir.

Trente enfants et adolescents viennent de découvrir la montagne et les joies du ski en Haute-Savoie, lors de deux séjours échelonnés du 16 au 22 février. « Nous intégrons les vacances et la vie en collectivité dans une démarche globale d’accompagnement visant à lutter contre l’isolement et l’exclusion », explique Noëlle Biyadi, responsable des vacances à la fédération de Côte-d’Or du Secours populaire français.

« Le Mont-Blanc, c’est magnifique ! », dit Sabrina, 14 ans, les joues rouges, un sourire jusqu’aux oreilles. Toute emmitouflée dans son blouson blanc et son casque orange, elle a pris deux télésièges pour atteindre le sommet de la station de Bellevaux, à 25 km du lac Léman. L’air est vif, le ciel d’un bleu presque opaque. Floriane et Alissar, qui ont le même âge, se sont arrêtées elles aussi. « Je n’avais jamais vu ça », confie cette dernière balayant du regard le panorama qui s’étend devant elle du point culminant des Alpes, à l’Est, au massif du Jura, au Nord.

Une première, à la montagne

Ce moment, un peu suspendu, les trois adolescentes le partage avec un groupe de copains réuni par la fédération de Côte-d’Or du Secours populaire et l’Aroéven de Bourgogne*, une association d’éducation populaire qui organise des séjours de vacances. « C’est beau, s’exclame Ryad en retirant ses lunettes de soleil, un brin incrédule : ça me fait bizarre quand je me dis que j’habite Dijon et que les 4800 mètres du Mont-Blanc se dressent devant moi ! » C’est la première fois que ce collégien de 12 ans, qui vit avec sa mère et ses trois frères et sœurs, part à la montagne.

Les familles de ces 30 enfants et adolescents vivent dans les quartiers populaires de Dijon et dans les villages environnants. Elles sont aidées toute l’année par l’association pour les loisirs, les vacances, le sport, l’alimentaire et parfois pour les vêtements. « Le Secours populaire propose des sorties et des vacances abordables, relève Abdé, l’un des garçons les plus grands. Sinon mes parents ne pourraient pas nous y inscrire, mon frère et moi. » Chaque famille s’est acquittée d’une participation symbolique.

Les deux chalets sont situés en bas des pistes, à quelques mètres des premiers tires-fesses, portes d'entrées vers les sommets enneigés.

Les deux chalets sont situés à quelques mètres des premiers tires-fesses, portes d’entrées vers les sommets enneigés.

 

A Bellevaux, il y a des plus jeunes comme Ryad, toujours très enthousiaste, et son copain Ryan ; mais aussi des plus grands comme le frère d’Alissar, Ali, 16 ans, à qui le séjour a apporté un peu de légèreté. Tous deux ont fui sur un bateau la guerre et la répression en Syrie. « Il fallait tenir le moteur pour ne pas le perdre durant la traversée entre la Turquie et la Grèce… » Au milieu, se tient Hugo, jeune mais grand en taille. Il se sent à l’aise avec tout le monde. Une certaine générosité s’exprime chez ces adolescents. Sabrina veut devenir radiologue ou assistante sociale, Alissar rêve d’être médecin et Floriane compte accueillir des enfants chez elle, quand elle sera adulte et assistante familiale. Leur choix s’est effectué parce que des métiers « qui rendent service, qui apporte de l’aide ».

A la fin de la matinée, tous les adolescents prennent la direction des deux chalets de l’Aroéven, reliés par une passerelle couverte, au bas des pistes. L’ensemble ressemble à une grosse ferme d’alpage, avec ses murs couleur crème, son armature en bois et les toits pentus matelassés par un demi-mètre de neige. Les jeunes se racontent leurs descentes. « On vient du haut de la station ! On est allé vite, on a pris des bosses ! » Liam est tout excité par ses 600 mètres de dénivelés. Il fait partie des débutants. Aucun n’est tombé aujourd’hui. Même Sabrina, qui d’habitude aime à se plaindre – des « pieds », « du froid », des chutes –, pour marquer sa présence, est impatiente : « On remonte après le déjeuner ? »

Se relever après être tombé

Les débuts avaient été laborieux. « On rentre bientôt ? », demandait la même Sabrina le premier jour sur les pistes, soupirant et en faisant la moue, malgré les efforts d’Arnauld, le responsable du séjour pour l’Aroéven, d’Agathe et de Rémi, qui animent l’activité ski et assurent l’encadrement dans la vie quotidienne. Les premières heures, les débutants ronchonnaient : enfiler les chaussures de ski, garder les pieds parallèles pendant la glisse, maîtriser leur vitesse, tourner en fléchissant les genoux, se relever après chaque chute… Confrontés à leurs limites, ils se décourageaient rapidement. « C’est la pire journée de ma vie », a même lancé Alissar, la plus rebelle.

Les adolescents ont profité d'un séjour à la montagne pour faire du sport tous les jours et se faire des amis.

Les adolescents ont profité d’un séjour à la montagne pour faire du sport tous les jours et se faire des amis.

 

C’est alors qu’Arnauld s’est posté devant le groupe pour le recadrer, d’une voix douce : « Savez-vous combien de Français pratiquent les sports d’hiver ? Un sur dix. Un sur dix, pas plus. Cette semaine vous êtes des privilégiés. A votre place, j’en profiterai. » Expérimenté, il laisse le temps aux informations de faire leur chemin ; puis trace une perspective : d’abord maîtriser la vitesse en bas des pistes, pour ensuite découvrir celles du haut de la station. Le groupe écoute sans broncher. « En procédant par étapes, je vous promets que l’on va s’amuser toute la semaine. » La leçon vaut pour tous les apprentissages.

Certains ont déjà été à la montagne en hiver, en classe de neige. La plupart découvre les Alpes. « Mon père m’a inscrit au séjour parce que je ne sors jamais. J’étais mécontent qu’il ne m’en ait pas parlé avant », raconte Ali, en guettant par-dessus ses lunettes la réaction de son interlocuteur. Ces jeunes vivent dans des familles marquées par les fins de mois difficiles. Souvent, ils n’habitent qu’avec leur mère et leurs frères et sœurs.

Vulnérabilité des familles monoparentales

Les familles monoparentales sont les plus exposées à la pauvreté et aux privations. Après avoir payé leurs dépenses incompressibles (loyer, charges, énergie…), une sur deux vit dans la pauvreté et, même, avec moins de 400 euros de ressources par mois pour un quart d’entre-elles, selon le ministère des Solidarités et de la Santé. Au niveau du Secours populaire, près d’un tiers des 3,3 millions de personnes aidées en 2017 appartiennent à un foyer de ce type. Interrogés à Bellevaux, les adolescents ne ressentent pas les privations de la même manière : « Moi, je ne manque de rien », se défend Ryad, alors que les revenus de sa mère sont suffisamment modestes pour ne pas être imposables.

La station familiale de Bellevaux était idéale pour le bien être des adolescents et des enfants emmenés par le Secours populaire et l'Aroéven.

La station familiale de Bellevaux était idéale pour le bien être des adolescents emmenés par le Secours populaire et l’Aroéven.

 

Corinne était venue à la gare accompagner son fils aîné. Pour celui-ci, « la vie n’est pas toujours drôle quand l’argent manque ». Sa mère a récemment recommencé sa vie à zéro en s’installant à Dijon. La jeune femme suit une formation d’aide-soignante, un métier qui embauche mais dont les salaires restent peu élevés (voir La puissance insoupçonnée des travailleuses). Pour le moment, elle subvient à ses besoins et à ceux de ses deux garçons avec le RSA, des allocations familiales et des aides au logement. « Je ne supporte pas que les gens puissent penser que je suis feignante. J’ai hâte de travailler à nouveau, de retrouver un rythme de vie professionnel. »

« On prend du plaisir et les animateurs prennent soin de nous », souligne Abdé, en se rendant dans la salle d’activités, au premier étage, pour faire une partie de ping-pong. Les animateurs de l’Aroéven organisent aussi des jeux pour les veillées et une soirée astronomie, où petits et grands ouvraient de grands yeux ébahis. Chaque soir, tout le monde peut évoquer ce qu’il a aimé ou ce qu’il a moins aimé. « Nous faisons le point sur les règles de vie commune, le respect. Nous leur demandons leur point de vue. C’est aussi ça grandir », relate Arnauld.

Les vacances, c’est toute l’année

Le dernier matin, Ali ouvre une fenêtre du réfectoire. « L’air des Alpes. Ça va me manquer. J’aimerais revenir l’année prochaine. » « Moi aussi, dit en écho Ryad. Ma mère est impatiente de savoir ce que j’ai fait. Je vais en avoir des choses à lui raconter. » Les vacances, c’est toute l’année. Le Secours populaire et ses partenaires emmènent des enfants et des familles à la plage ou à la campagne, mais pas seulement.

*Association régionale des œuvres éducatives et de vacances de l’Éducation nationale

Liens

Témoignages

Quand je suis sur le télésiège, je vois en bas les pistes les plus faciles que nous avons pratiquées les premiers jours. Quand je pense que ça me paraissait compliqué. Je m’emmêlai les skis, je tombai. C’est drôle maintenant, on descend des pistes beaucoup plus grandes et on s’éclate !

A Dijon, ma mère  va chercher de la nourriture au Secours populaire. Il nous propose aussi des sorties et, l’été dernier, nous sommes partis quatre jours en vacance grâce à lui. Maintenant, c’est au sport d’hiver, c’est la première fois. Je découvre les Alpes et je m’amuse énormément.