L’aide alimentaire européenne en péril

Avec le soutien de la Politique agricole commune, l’Union européenne (UE) est devenue un très gros producteur agricole. Mais son modèle agro-industriel pose des problèmes de durabilité, des questions nutritionnelles et des enjeux de répartition.

Le Fonds européen d'aide aux plus démunis est vital dans la lutte quotidienne contre la pauvreté. Le SPF se mobilise pour qu'il soit à la hauteur des besoins.

Pour pallier le problème d’accès à la nourriture, l’UE a mis en place, en 2014, un mécanisme de solidarité, le Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD). Selon le choix de chaque État, il permet de fournir une aide alimentaire et matérielle ou de soutenir des actions d’accompagnement des personnes confrontées à la pauvreté. En France, il fournit à ces dernières quarante denrées différentes (céréales, produits laitiers et conserves).

« Nous sommes inquiets pour l’avenir du FEAD, alors que les États membres vont commencer à négocier le budget de l’Union européenne pour les années 2021- 2027 », alerte Julien Lauprêtre, président du Secours populaire. À l’image du SPF, les trois autres associations destinataires du FEAD, à savoir les Banques alimentaires, les Restos du Coeur, la Croix-Rouge, se disent soucieuses. La sortie programmée de l’UE du Royaume-Uni va diminuer le budget communautaire. Aucune recette nouvelle n’est pour le moment envisagée par les États membres et par la Commission de Bruxelles. Non seulement des coupes sont à craindre, mais une réallocation d’une partie des budgets sociaux pourrait être décidée pour répondre à de nouvelles priorités, comme l’emploi ou la sécurité sur le continent (Le Monde, 28.11.17).

« Une autre menace est à prendre au sérieux : la fusion du FEAD dans un autre budget, comme le Fonds social européen (FSE), ce qui lui ferait perdre à la fois sa spécificité, son autonomie et toute possibilité de pilotage », analyse Sébastien Thollot, secrétaire national du SPF. En effet, le FSE est destiné à la formation et à la création d’emplois. Les besoins sont importants : le FEAD vient en aide à 15 millions de personnes, c’est-à-dire que, malgré les efforts des associations, il couvre à peine plus d’un tiers de la population qui connaît de grandes difficultés à s’alimenter : 43 millions de personnes déclarent ne pas pouvoir faire plus d’un repas de qualité tous les deux jours.

120 MILLIONS D’EUROPÉENS FRAPPÉS PAR LA PAUVRETÉ

« Cependant, cet indicateur est fondé sur une définition étroite de ce qui constitue un régime alimentaire sain, et ne prend pas en compte si les ménages consomment d’autres aliments essentiels, tels que les fruits et légumes. Il omet également de spécifier la durée du manque d’accès à certains aliments, ou l’expérience de la faim (…) », signalent les chercheurs réunis autour d’Olivier De Schutter, ancien rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation (Rapport d’IPES Food, 08.11.17).

Plus d'un tiers des personnes accueillies par le Secours populaire ont moins de 15 ans, ce qui représente plus d'un million d'enfants.

Plus d’un TIERS
des personnes accueillies
par le Secours populaire
ont moins de 15 ANS,
ce qui représente plus
de 1.000.000 d’enfants.

 

Si ces aspects étaient un jour comptabilisés, comme ils le sont dans les enquêtes menées aux États-Unis, le chiffre se rapprocherait des 120 millions d’Européens actuellement frappés par la pauvreté, les privations et la précarisation de l’emploi car, ajoutent les mêmes chercheurs, « les régimes alimentaires (…) dépendent des ressources économiques des populations ; la mauvaise alimentation tend ainsi à coïncider avec la notion de pauvreté » sur un continent où les systèmes agricoles et alimentaires ne sont pas organisés pour être inclusifs.

En France, le FEAD a permis en 2016 de soutenir 4,3 millions de personnes dont les moyens sont trop faibles pour pouvoir acheter tout au long de l’année de quoi manger et respecter un certain équilibre nutritionnel. En 2015, le SPF d’Île-de-France avait mené une enquête auprès des familles venant dans ses libres-services de la solidarité. Résultat : 40 % dépendaient des associations pour se nourrir et souhaitaient, logiquement, continuer à disposer des produits du FEAD. Ils désiraient également recevoir davantage de produits frais.

« LES GENS VIENNENT NOUS VOIR, ILS N’ONT PLUS RIEN »

Le dispositif a une grande importance pour les personnes accueillies. Sur le plan qualitatif mais aussi quantitatif : 40 % de la nourriture distribuée dans les permanences du SPF proviennent du FEAD. L’essentiel est peut-être ailleurs. « En 2016, nous avons répondu à cette urgence auprès de plus de 1,8 million d’hommes, de femmes et d’enfants. Mais, le FEAD est aussi, voire surtout, un outil de lutte contre l’exclusion car une fois que le contact est établi dans nos permanences, les bénévoles du SPF accompagnent ensuite les personnes en demande dans leur accès aux droits, à l’emploi, au maintien dans le logement, à la culture, aux vacances. Le FEAD permet d’être en contact avec tous les publics, quels que soient leur âge et leurs lieux de vie », précise Sébastien Thollot.

Ancien conseiller d’orientation, Jean-Claude Michel est devenu le responsable de l’accueil à la permanence de Valence, dans la Drôme. Il confirme : « Les gens viennent nous voir quand ils n’ont plus rien dans le réfrigérateur. Ils ont besoin d’être rassurés alors le plus important, c’est de les écouter. Au fond, ils n’ont pas tellement d’endroits où ils peuvent avoir une écoute bienveillante. » Cet accueil permet d’établir une relation de confiance. De là, personnes accueillies et bénévoles étudient ensemble la situation et font un tour d’horizon des droits (CMU, minimum vieillesse,…) et des envies (vacances, sorties, sport,…). Dans l’Ain, Christiane Marmont s’apprête à développer dans sa fédération l’accès à la culture, car les familles lui demandent de l’aide pour inscrire les enfants aux cours de musique et de chant, à côté des vacances et des randonnées, deux activités qui, elles, sont bien rodées : « Ces familles ont droit aux mêmes sorties et aux mêmes loisirs que les autres. C’est pourquoi, nous nous attachons à leur présenter tout ce qui est possible quand elles viennent à l’accueil. »

La quarantaine de produits fournis par le Fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD) représente 40 % de l'aide alimentaire distribuée par le SPF aux personnes accompagnées.

La quarantaine de produits
fournis par le Fonds européen
d’aide aux plus démunis (FEAD)
représente 40 % de l’AIDE
alimentaire distribuée par le SPF
aux personnes accompagnées.

 

 

 

RÉSEAU EUROPÉEN POUR LA DÉFENSE DU FEAD

Décidés à peser en faveur du maintien du FEAD, voire de l’augmentation de son enveloppe à la hauteur des besoins, le SPF et ses homologues ont rendu public une déclaration commune à l’automne dernier : « Le Fonds européen d’aide aux plus démunis est absolument indispensable dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion en Europe. Nous en appelons à une mobilisation de tous pour qu’il puisse être pérennisé et augmenté après 2020. »

Pour sa part, le Secours populaire cherche à nouer de nouveaux partenariats avec le plus grand nombre possible d’associations européennes pour peser dans les discussions à venir à Bruxelles. Il en a d’ailleurs fait le thème de son congrès à Bordeaux, fin novembre. À l’automne dernier, une délégation a rendu visite aux associations d’aide alimentaire polonaises. De fermes soutiens du dispositif européen : « Nous avons, nous aussi, besoin du FEAD sans lequel nous ne pourrions pas répondre aux besoins des 1 500 personnes que nous aidons », affirme Marzena Pienkosz-Sapieha, qui dirige la Banque alimentaire de Lublin, l’une des villes les plus pauvres de Pologne.

Régulièrement, le SPF rencontre les autres membres de la plateforme FEAD, qui réunit les principaux acteurs associatifs et administratifs du fonds européen. « À travers ces rencontres, nous tentons de constituer un réseau européen pour défendre ce mécanisme de solidarité et d’en accroître les moyens pour qu’il réponde encore mieux aux besoins de la population », affirme Jean-Louis Durand-Drouhin, responsable du SPF d’Île-de-France et du Réseau européen d’actions sociales (ESAN). Une force qui pourrait, le moment venu, mobiliser les personnes aidées, notamment à travers l’organisation d’Air food.

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