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Turquie, Syrie : des lueurs dans les ruines

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Les volontaires de DPNA chargent un des cinq camions qui partent pour Alep apporter la solidarité aux sinistrés du séisme. Saïda, Liban, le 14 février 2023.

Le 6 février, un séisme détruisait le sud-est de la Turquie ainsi que le nord-ouest de la Syrie. Les pertes humaines et les dégâts matériels sont historiques. Les survivants manquent de tout. Le Secours populaire débloque 100 000 € de son fonds d’urgence et initie des collectes afin d’offrir à ses partenaires sur place les moyens d’agir, maintenant avec eux un lien quotidien. Au milieu des ruines, les volontaires de Besme en Turquie et DPNA en Syrie apportent l’espoir et la solidarité.

Mokhtar travaille depuis trente ans dans un des quartiers populaires d’une des grandes villes du sud-est de la Turquie, Kahramanmaras. Il y est écrivain public et connaît toutes les familles qui vivent dans ses hauts immeubles, parfois sur deux générations.  Mais c’est un champ de ruines que foule Mokhtar. Ce quartier qu’il connaissait par cœur est à présent rayé de la carte ; ses habitants, avalés par le séisme. « Que vais-je devenir ? Comment vivre à présent ? », se lamente l’homme, invoquant les débris, les pierres et la poussière, ainsi que les disparus. Il s’adresse à Dieu. « Ramenez-les à moi ou emmenez-moi les rejoindre. » Cette scène se joue en boucle dans la tête de Gulshan Saglam, la directrice de Besme, association partenaire du Secours populaire. Elle a rencontré Mokhtar au lendemain du séisme qui a ravagé le 6 février une partie de la Turquie ainsi que du nord-ouest de la Syrie. Depuis, les pleurs de l’homme ne la quittent plus.

Agir au plus près des besoins des rescapés

« C’est la pire catastrophe qu’ait connu la Turquie en un siècle », tranche Madame Saglam. 51 000 morts, 100 000 blessés : les chiffres donnent le vertige. L’épicentre du séisme de magnitude 7,8 se situe dans la province de Kahramanmaras, tout près du quartier de Mokhtar, à 60 kilomètres environ à vol d’oiseau de la frontière syrienne. « Le lundi 6 février, je m’en souviendrai comme d’un jour très triste, poursuit-elle. Mais aussi comme du jour où nous nous sommes mobilisés pour les victimes. Du jour de la solidarité. » Dès l’annonce de la catastrophe, le Secours populaire prend contact avec ses deux partenaires au Liban : DPNA, basé à Saïda et possédant des attaches en Syrie et Besme, qui à une antenne très active à Istanbul. 100 000 euros sont aussitôt débloqués sur son fonds d’urgence pour soutenir ses deux partenaires, en même temps que ses bénévoles et son mouvement d’enfants « Copain du Monde » initient des collectes populaires partout en France. Le Secours populaire, DPNA et Besme ont, en 2020, déjà dû mettre en œuvre des programmes d’aide d’urgence pour des populations sinistrées, à l’occasion du précédent séisme qui meurtrit la Turquie dans la région d’Izmir et de l’explosion du port libanais de Beyrouth. Tout va donc très vite.

Nous avons aussi apporté du chocolat pour les enfants, pour leur apporter un peu de bonheur. 

« La première phase a été celle du sauvetage des victimes ainsi que leur mise à l’abri. Nos volontaires ont aidé à ces tâches en rejoignant le réseau d’associations présentes sur les lieux », résume la directrice de Besme, dont les équipes se déploient sur trois zones sinistrées ; d’abord Adana, puis Osmania et Hatay. Elles mettent en place des distributions de kits de produits alimentaires et d’hygiène, de couvertures, sacs de couchage et vêtements chauds, de produits pour les bébés, de petits chauffages et de lampes de poche pour plus de 1000 personnes. « Ainsi que du chocolat pour les enfants, pour leur apporter un peu de bonheur », précise Gulsham Saglam. Les opérations sont coordonnées par l’AFAD, l’organisme public turc de gestion des catastrophes. Chaque organisation y est mobilisée en fonction de son cœur d’activité, afin d’« agir au plus près des besoins des populations ». Aussi Besme concentre-t-elle ensuite son action sur les femmes et les enfants. L’objectif est que la dignité soit préservée, malgré les conditions difficiles dans lesquelles vivent les personnes rescapées. Les volontaires de Besme affinent donc la constitution des colis avec des produits spécifiques telles des serviettes hygiéniques, des crèmes hydratantes, des pilules contraceptives ou des foulards pour les femmes qui ont l’habitude de se couvrir les cheveux.

La solidarité, un réflexe universel

« Les gens ont tout laissé dans leur logement en ruines. Ils n’ont plus rien d’autre que ce qu’ils portaient sur eux au moment de la catastrophe », rappelle la directrice de Besme. « Nous sommes intervenus dans des contextes très difficiles, lors de nombreuses gestions de crises, notamment lors de la Guerre de Juillet, mais ce séisme a été pour moi une expérience traumatisante », concède-t-elle. Mais dans ce contexte extrême s’exprime, tient-elle à souligner, la solidarité et l’entraide populaires. « Deux couples de personnes âgées, qui avaient économisé toute leur vie pour pouvoir s’offrir le hajj, le pèlerinage sur les lieux saints de la Mecque, sont venus me voir avec l’argent de leur voyage. Ils me l’ont remis et m’ont demandé de l’utiliser pour les victimes du séisme. » Des histoires comme celle-ci, Gulsham Saglam en a de nombreuses. Telle celle de cette femme en grande difficulté, aidée par Besme pour se nourrir, qui a malgré tout assemblé dans un carton des aliments pour les sinistrés. Telle celle de ces enfants d’un quartier qui avaient réuni leurs jouets pour qu’ils soient offerts aux enfants sinistrés. « La situation atroce que nous éprouvons sur le terrain ne doit pas nous faire oublier ces petits gestes de solidarité, réfléchit-elle. Il va nous falloir demeurer auprès des familles sinistrées durant des années, aussi allons-nous devoir compter sur le soutien et la mobilisation de tout le monde. »

La solidarité nous permet aussi de guérir notre peine, de cicatriser nos plaies. 

En même temps que Besme apporte la solidarité en Turquie, les volontaire de DPNA, le partenaire historique du Secours populaire au Liban, se mobilise lui aussi.  « Nous avons vécu l’explosion du port de Beyrouth il y a peu de temps : elle ressemblait à un grand séisme », confie Hiba Antoun, directrice des programmes de DPNA. « Quand on a subi une catastrophe, on cultive une empathie pour ceux qui traversent de tels moments. La solidarité nous permet aussi de guérir notre peine, de cicatriser nos plaies. L’humanisme ne connait pas de frontière. » Les séismes non plus. « Au Liban, nous avons ressenti les secousses jusque dans nos maisons, témoigne Alissar Aziz, jeune volontaire de DPNA. J’ai tout de suite pensé aux familles qui avaient perdu leur foyer. Puis s’est imposée la volonté d’aider les peuples. » Un premier convoi de cinq camions part le 14 février de Saïda, où est sis le siège de l’association, jusqu’à la ville syrienne d’Alep. Dans les véhicules a été chargés le matériel acheté grâce au soutien du Secours populaire et coïncidant avec les besoins exprimés par les sinistrés syriens. 3000 couvertures, des vivres secs , des produits d’hygiène, des couches pour les bébés, conditionnés avec soin par les volontaires, incarnent la solidarité exprimée par un peuple pourtant lui-même aux prises avec une crise épouvantable, un pouvoir d’achat réduit à peau de chagrin. Or, les cartons contiennent également de nombreux vêtements chauds et couvertures collectés par DPNA auprès de la population libanaise.

L’espoir semé au coeur des ruines

Le trajet dure cinq heures. A Alep, les 25 jeunes volontaires de DPNA ressentent un terrible choc qui, très vite, cède la place à une tristesse sourde. « Nous étions entourés de ruines et de gens démunis, qui s’abritaient sous des tentes sommaires. Ils manquaient de tout ; il n’y avait ni sanitaires ni eau potable », se souvient Alissar Aziz. « C’est comme si tout Alep s’était effondrée ; à perte de vue, on ne voyait que des débris. » Grâce à leurs contacts sur place, particuliers et associations syriens, DPNA peut organiser la solidarité dans différents centres d’accueil pour familles rescapées et sans-abri. Durant une journée entière, les volontaires de DPNA apportent à plus de 1000 familles de quoi survivre. « Nous avons passé du temps avec elles, écouté leur histoire, entendu leurs besoins, poursuit Alissar. Ce sont des besoins essentiels : se mettre à l’abri, boire, s’alimenter, rester propre. Avoir une couverture sur soi pour lutter contre le froid. »

Alors qu’autour tout est détruit, nous sommes parvenus à faire renaître des sourires sur les visages. 

« La réaction des familles m’a bouleversé : elles étaient soulagées de savoir qu’elles n‘étaient pas abandonnées ». Kareem Salameh est lui aussi un jeune volontaire de DPNA. Il a participé au deuxième convoi, parti le 1er mars à destination d’une autre cité syrienne dévastée, Latakia. « Les personnes que nous avons rencontrées sont plus vulnérables que jamais. C’est un drame qui s’ajoute aux nombreux drames qu’ils traversent, songe le jeune homme. Au-delà de l’aide matérielle, qui est pour elles indispensable, elles ont aussi besoin de soutien psychologique. » Les volontaires de cette deuxième mission en Syrie font face à la même détresse, évoluent dans de semblables paysages de désolation. Ruines à perte de vue. Égouts défoncés, cours d’eaux souillées serpentant sinistrement. Quand Kareem ferme les yeux, une scène le visite immanquablement. « Dans une maison effondrée à moitié, j’ai vu une chambre d’enfants à ciel ouvert, éventrée. J’ai pensé à la terreur qu’ont dû ressentir ces enfants, à leurs dernières pensées. »

Les enfants qu’elle a rencontrés, c’est ce qui a le plus marqué Alissar Aziz. Leur incompréhension de ce qu’ils sont en train de vivre, la peur qui les saisit encore, la tristesse de ne pas trouver le réconfort de leur foyer, la perte de tout repère – tout cela, elle sait que les enfants en souffrent. Leurs sourires disparus en sont les stigmates. « La toute première chose que j’ai faite, c’est de jouer avec eux, explique-t-elle. Avec d’autres volontaires, nous leur avons proposé des activités, des petites chansons. Nous voulions redonner un peu de sens dans leur journée, les divertir, leur permettre de se défouler, les réconforter aussi ». Alissar fait alors une longue pause dans son récit ; à ce moment précis, on sait qu’elle est retournée là-bas, à Alep, auprès d’eux. Qu’elle se demande certainement s’ils s’en sortent, comment ils vont. A notre tour, nous l’imaginons avec eux, chanter et jouer au milieu des ruines, ce jour de février, où tout espoir semblait enseveli. La voix d’Alissar se fait jour à nouveau. « Alors qu’autour tout est détruit, nous sommes parvenus à faire renaître des sourires sur le visage de ces enfants et je me suis dit, à ce moment-là, que c’était peut-être le but de mon travail humanitaire : réveiller ces sourires. »

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