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Séminaire populaire : vers une justice climatique

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Le séminaire populaire a été ouvert par un témoignage de Kamal Abdoul Wahabi, président de l’association KNA, sur le passage du cyclone Chido et son impact sur les plus fragiles des Mahorais.
Le séminaire populaire a été ouvert par un témoignage de Kamal Abdoul Wahabi, président de l’association KNA, sur le passage du cyclone Chido et son impact sur les plus fragiles des Mahorais. ©Nelson Navin / SPF

Le 23 avril à 18h s’est tenu, en partenariat avec Courrier International, dans l’Auditorium du Monde à Paris, le 41ème séminaire populaire du Secours populaire. Sur les injustices climatiques et les solidarités à apporter, une juriste, une géographe et trois acteurs associatifs partenaires du Secours populaire ont partagé leurs expériences, offert leur regard et nourri la réflexion collective.

« Les tôles s’envolaient comme si c’étaient des feuilles. L’image qui m’a le plus marqué, c’est un container de 40 pieds* qui s’est soulevé et a déchiré une maison. » Kamal Abdoul Wahabi, président de l’association mahoraise Kaweni Nouvelle Aire, est très ému. Le cyclone Chido a ravagé son département il y a quatre mois et les images ne le quittent plus. « Dans trente ans, nous nous en souviendrons encore », déplore-t-il. L’homme revient sur les actions d’urgence puis d’accompagnement mises en place par son association, avec l’aide du Secours populaire, pour les sinistrés du bidonville de Kaweni, les plus pauvres de l’île. Son témoignage ouvre le 41ème séminaire populaire du Secours populaire, intitulé « Quand la crise climatique accentue les injustices sociales, quelles solidarités apporter ? ». L’auditorium du journal le Monde est, ce mercredi 23 avril, comble ; de nombreux spectateurs sont des lecteurs du Courrier international, partenaire du Secours populaire pour cet événement qui s’inscrit dans la campagne de solidarité internationale de l’association. Le témoignage de Kamal, bouleversant, incarne, en une expérience sensible et à la portée universelle, la question qui sera à l’œuvre deux heures durant lors de la table ronde.

Clés de compréhension, pistes de réflexion et exemples d’actions

« Votre témoignage, on le retrouve malheureusement dans toutes les catastrophes naturelles depuis des décennies. La différence, c’est que ce cyclone était d’une intensité exceptionnelle parce que le changement climatique est là », déplore la géographe Magali Reghezza-Zitt, l’une des expertes invitées. Comme tous les séminaires populaires, celui-ci propose de mettre en lumière une question de société qui traverse l’activité du Secours populaire, en croisant son expérience de terrain ainsi que celle de ses partenaires dans le monde avec des savoirs livrés par des experts. Sont ainsi, à chaque fois, offerts des clés de compréhension, des pistes de réflexion et des exemples d’actions, en un aller-retour entre théorie et pratique. Ces rendez-vous sont des rouages essentiels dans l’œuvre d’éducation populaire poursuivie par le Secours populaire. Comment faire face aux conséquences sociales du dérèglement climatique qui frappent d’abord, et de plein fouet, les populations les plus vulnérables de nos sociétés ? Comment réduire ces injustices climatiques ou combattre ce que Philipp Alstom, rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits humains, qualifiait en 2019 « d’apartheid climatique » ? C’est de cette question historique que le Secours populaire et ses invités ont décidé de s’emparer.

Injustices climatiques : la triple peine

Emma Feyeux, juriste, responsable de projets « injustice et santé environnementale » au sein de l’association Notre Affaire à Tous, circonscrit d’abord la notion d’injustice climatique, rappelant qu’elle résulte de l’intégration de l’éthique dans la question de l’égalité face au dérèglement climatique. « Nous devons questionner le postulat selon lequel nous sommes tous dans le même bateau », interpelle-t-elle. « Pour ce faire, il convient d’appliquer les théories de la justice au champ de l’écologie et de l’environnement, précise-t-elle. Selon nos caractéristique (économiques, territoriales, ou liées à notre identité), nous ne sommes pas tous exposés de la même façon au dérèglement climatique et aux impacts de la crise environnementale** de manière générale ». Ces effets inégalitaires de la crise climatique, éclaire Emma Feyeux, sont le résultat d’un cumul de vulnérabilités. Exemple : les personnes pauvres vivent de manière disproportionnée dans des zones inondables ou bétonnées, et sont donc enclines à subir plus fortement dégâts des eaux ou canicules. Autre exemple : les femmes ont 14 fois plus de risques de décéder dans une catastrophe naturelle…

Magali Reghezza-Zitt, ancienne membre du Haut-Conseil pour le climat, prolonge la réflexion d’Emma Feyeux, révélant la « triple peine » que subissent les plus pauvres face à la crise climatique. La première est que, émettant le moins de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, ils subissent les conséquences les plus violentes du dérèglement. De plus, ils sont les plus vulnérables face aux politiques de transition écologique – la hausse du coût de l’essence, par exemple, les frappe au premier chef. Voici pour la deuxième peine. Enfin, et c’est leur troisième peine, les plus fragiles des citoyens sont ceux qui ont le plus faible pouvoir d’agir : la géographe approfondit alors la notion de capabilité, c’est-à-dire « notre capacité à agir », qui peut malheureusement se cogner aux « limites dures à l’adaptation des sociétés ». Ces limites, analyse-t-elle, sont le niveau de réchauffement de la planète, l’érosion de la biodiversité et les limites sociales locales. « Ma capabilité dépend de qui je suis – homme ou femme, sain ou malade, jeune ou vieux, etc. -, des ressources auxquelles j’ai accès (financières mais aussi les solidarités familiales ou de la communauté) et, enfin, les politiques publiques. » Ces dernières sont un nœud du problème et, comme Madame Reghezza-Zitt le rappelle, « les catastrophes ne créent pas les fragilités d’un système mais les révèlent ».  « Et c’est ce qui s’est passé pour Mayotte », ajoute-t-elle, convoquant les paroles terribles de Kamal Abdoul Wahabi.

©Jean-Marie Rayapen

La résilience : un concept à manier avec vigilance

La mise en lumière du cumul des vulnérabilité, autant d’entraves à la capabilité, ainsi que l’exemple mahorais, conduisent inévitablement à évoquer le concept de résilience, régulièrement convoqué lorsqu’une catastrophe meurtrit une population. « La figure la plus résiliente, c’est le bidonville : le bidonville se reconstruira toujours », lâche, amère, Magali Reghezza-Zitt. Il nous faut veiller à ne pas laisser dériver ce terme, inventé par les sciences sociales pour « ne pas condamner les plus fragiles à demeurer des victimes », vers une injonction au système D, à l’autogestion. « On assiste, regrette l’experte, à un glissement progressif entre l’aide, la solidarité ou l’assistance à un discours sur l’assistanat, le reproche de la victimisation. » Mais de la résilience dans son essence, du caractère positif qu’il revêt initialement, les deux partenaires du Secours populaire présents à la table ronde vont offrir de beaux exemples. « Le problème du changement climatique peut être résolu », avance Lissette Fernandez Paramo, présidente de l’association cubaine ACPA et membre de la Convention des Nations unies sur les changements climatiques. Les moyens technologiques sont réunis, les politiques nécessaires sont claires, les coûts de transition peuvent être gérés. « La seule chose que nous n’avons pas, c’est le temps. Prendre le temps pour agir n’est pas une option », tranche-t-elle.

Chaque geste compte

La Cubaine expose l’action de l’ACPA pour des élevages respectueux de l’environnement, prenant en compte les effets du dérèglement climatique. Le secteur agricole est l’un des plus grands pollueurs et occupe plus de 30% des terres de la planète en pâturages, qui la dégradent. L’association, en lien avec les pouvoirs publics cubains, met en œuvre des solutions concrètes : alimentation du bétail adaptée afin de réduire l’émission de CO2, rotation des cultures qui fournissent ces aliments pour prendre soin de l’eau et des sols, plant d’arbres à croissance rapide et résistant aux faibles précipitations, utilisation systématique des énergies renouvelables, suppression des engrais chimiques au profit de biofertilisants. Chaque geste compte, rappelle Lissette Fernandez Paramo, en concluant sur la nécessité de former les paysans à ces techniques respectueuses de l’environnement et de sensibiliser les jeunes générations. C’est, confie-t-elle, l’objet du programme « Coopérer autrement en acteurs de changement », conduit avec le Secours populaire, qui fédère des paysans de Cuba, de Colombie, du Mexique ou encore du Salvador.

Tisser des réseaux d’acteurs

« Nous encourageons une alliance multi-acteurs », confirme Sagar Malé, de l’Association catalane pour la paix, un des partenaires historiques du Secours populaire. L’histoire qu’il conte à l’assemblée est édifiante. Au départ, commence le coordinateur de projets en zone Méditerranée, l’ACP a accompagné le renforcement de coopératives de paysannes palestiniennes, notamment dans l’introduction de l’hydroponie (la culture hors sol, économe en terre et en eau, sans engrais chimique), pour faire face à la pénurie d’eau. Des 60 paysannes de Tulkarem au début, le projet s’est élargi à toute la vallée du Jourdain, puis d’autres zones de Palestine, puis d’autres pays, tels la Tunisie et l’Égypte. Sagar Malé précise que ce projet soutenu par l’ACP n’est pas tant technique qu’organisationnel : il vise à tisser un réseau d’acteurs, afin qu’ils puissent partager leurs idées et expériences, ainsi que connecter le terrain et la recherche. L’aboutissement de la démarche est la création de l’Observatoire méditerranéen du changement climatique (OCC), qui fédère des paysans de toute la zone, notamment l’Union des agriculteurs palestiniens, aux universités de Barcelone, de Tulkarem et de Carthage. « L’OCC est notre instrument de recherche, de plaidoyer et d’expérimentation pour trouver des stratégies pour faire face au changement climatique », revendique Sagar Malé, pour conclure sa démonstration que l’union fait toujours la force.

L’indispensable outil du droit

Les échanges avec la salle confirment cette vertu du collectif et la confiance à nourrir quant à la résilience climatique. Tout en appelant à la vigilance. « Que les associations s’engagent est magnifique, mais cela pose la question de la responsabilité des politiques publiques et des stratégies industrielles », nuance Magali Reghezza-Zitt. Emma Feyeux appelle à s’emparer de l’outil du droit et rappelle le combat mené par Notre Affaire à Tous aux côté des « sinistrés climatiques ». Elle conclut le séminaire populaire sur ces mots : « Si l’on continue à mettre en œuvre des politiques publiques aveugles aux questions de vulnérabilité et d’inégalité, alors on ratera la cible. La justice climatique n’est pas un bonus moral mais un enjeu primordial et elle doit être mise au cœur de la lutte contre la triple crise environnementale. »


*Une douzaine de mètres de long

**La triple crise planétaire embrasse trois crises concomitantes : la pollution, le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité.

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