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Pères Noël verts : les détenus au grand cœur de Poissy

Mis à jour le par Olivier Vilain
A Poissy, 90 détenus ont collecté 1 tonne de nourriture pour confectionner les colis de Noël des familles précaires. "Même à l'intérieur, nous restons des citoyens", confie Reda, l'un des organisateurs de l'opération.

Dans la maison centrale de Poissy, 90 détenus ont collecté des denrées alimentaires, malgré leur peu de revenus, qui garniront les colis de Noël des familles frappées par la crise.

« Une tonne saisie ! » Le slogan claque sur la banderole tenue par Reda, Samy, Kevin, José, et leurs amis, à la maison centrale de Poissy, située à deux pas du marché de centre-ville de cette commune à forte composante ouvrière des Yvelines. Les dix compères, jeunes pour la plupart, sont hilares et fiers. Cette fois, c’est eux qui ont saisi la marchandise ; et cela leur a demandé beaucoup d’efforts : avec quatre-vingt autres détenus, tous des longues peines, ils ont collecté une tonne de nourriture derrière les murs de la prison pour la donner au comité de Poissy du Secours populaire.


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« Cette initiative tombe au meilleur moment, explique Guy Le Stern, en charge du comité et venu remercier les captifs au grand cœur. Avec ces denrées, nous allons garnir les colis de Noël des familles frappées par la crise sociale actuelle afin qu’elles puissent passer de bons réveillons. » Les bénévoles du Secours populaire y ajouteront des produits festifs, comme de la volaille ou du saumon. L’initiative prise au sein de la centrale rend un fier service parce que « les collectes ont été très faibles en novembre et en décembre à cause du confinement », ajoute Guy.

Deux fois et demi plus qu’en 2019 

Les flashs crépitent. Devant le petit groupe qui prend la pose, les centaines de paquets s’étalent au sol, ordonnées de manière impeccable. Il y a des rangées et des rangées de semoule, de riz, de lentilles, de farine, de boîtes de sardines, etc. Les participants à la collecte ont aussi prévu des pots pour bébés, ainsi que des couches et des lingettes nettoyantes, des produits qui pèsent lourds dans le budget des ménages pauvres.

« Je suis très content, sourit Reda, 35 ans, au physique de marathonien. Que ce soient mes ‘‘colocataires’’, nos familles ou le personnel pénitentiaire, beaucoup ont joué le jeu ;  vraiment ! On a beau être enfermés entre quatre murs, nous restons des citoyens, nous portons un regard sur ce qui se passe à l’extérieur et nous sommes capables d’agir. Cette opération le démontre. » 


On a beau être enfermés entre quatre murs, nous restons des citoyens, nous portons un regard sur ce qui se passe à l’extérieur et nous sommes capables d’agir.

Reda, fier de ce qu’ils viennent d’accomplir


Incarcéré encore jeune, il a été l’un des piliers de cette initiative, convaincant, motivant, relançant tout autour de lui. Résultat des efforts, pour sa seconde édition, la collecte est deux fois et demie plus élevée que lors de l’année de son lancement. « Et alors même que le confinement nous a mis des bâtons dans les roues. Avec la fermeture des parloirs, les familles ne pouvaient plus s’impliquer autant », ajoute-t-il, très fier, en mettant dans des cartons des bouteilles d’huile que Guy range ensuite dans la camionnette du Secours populaire. Tout autour, Samy est les autres remplissent également de grands cartons. 

Enormément de détermination

Une heure plus tôt, les mêmes couraient un semi-marathon, sous la pluie, dans la cour de la centrale, sous les encouragements des autres détenus et des éducateurs sportifs. Ils couraient tous pour le Secours populaire. La détermination était visible sur tous les visages.. « C’est le point d’orgue de l’opération : ceux qui ne peuvent pas contribuer avec de l’argent le font à travers ce défi sportif », observe Irène, de l’association Champ libre, l’une des organisatrices de l’opération, avec l’association Robins des murs, dont le slogan est : « Privés de liberté, mais pas de cœur. » Reda et Samy ont terminé les premiers. Trempé et après avoir discuté un peu de la course, des sensations, Samy repart sur la piste improvisée pour accompagner durant son dernier tour son ami José, qui peine un peu plus mais n’a rien lâché.

L'opération de collecte comprenait un défis sportif : une dizaine de détenus s'est lancée dans un semi-marathon, autour de la cours de la prison. Les participants se sont dépassés.

L’opération de collecte comprenait un défi sportif : une dizaine de détenus s’est lancée dans un semi-marathon, autour de la cour de la prison. Les participants se sont dépassés. 


Sur un total de 170 pensionnaires, 90 ont participé à la collecte, économisant sur l’argent qui leur sert à ‘‘cantiner’’, c’est-à-dire à améliorer l’ordinaire, achetant du café, des cigarettes, des timbres ou du savon, par exemple, mais aussi pour louer téléviseurs et réfrigérateurs ou simplement passer un appel téléphonique. L’argent mis, petit à petit, de côté allait dans une cagnotte commune, qui a servi à acheter les denrées auprès de l’institution carcérale. « Pour celui qui n’a rien, contribuer ne serait-ce qu’à un paquet de pâtes, c’est énorme », signale très justement Gilles, 70 ans, qui philosophe la clope au bec en regardant tourner les coureurs. « Celui qui n’a rien », l’expression est à prendre au sens littéral.

« ‘Populaire’, c’est pour tout le monde »

« Les détenus se recrutent encore massivement dans la partie la plus pauvre de la population », rappelait dans son rapport annuel le Contrôleur général des lieux de privation de liberté : huit personnes incarcérées sur dix ont quitté l’école avant 18 ans et près de la moitié est sans emploi au moment de franchir les murs de la prison. Leur précarité est si forte que près d’un sur dix est sans-logis au moment de l’incarcération et un quart se retrouve à la rue à la sortie, relève l’Observatoire international des prisons.


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Condamnée « aux secteurs périphériques de la sphère de l’emploi » (Punir les pauvres, Loïc Wacquant, 2004), plus du quart (27 %) de la population carcérale est « indigente », ne subvenant à ses besoins vitaux qu’avec les 20 euros attribués chaque mois par le ministère de la Justice. À Poissy, la plupart des détenus disposent de revenus modestes en travaillant. José évalue à 20 euros ce que lui aurait rapporté son après-midi en atelier. Gilles, lui, perçoit 600 euros de retraite. Sur le plan national, seul un quart des détenus travaille ; leurs rémunérations s’échelonnent de 20 % à 45 % du Smic horaire. Au total, les caractéristiques sociales et économiques des détenus les rapprochent des personnes que le Secours populaire aide à l’extérieur.

L’opération pourrait se généraliser 

Pourquoi les détenus ont-ils pensé au Secours populaire ? « Pour nous, ‘‘populaire’’ ça veut dire que c’est pour tout le monde », disent en cœur Reda et Samy. Ce dernier se souvient, « qu’enfant à Pau », il recevait de l’aide alimentaire des mains de ses bénévoles. « Ce coup-ci, c’est moi qui contribue », lance-t-il, jovial. Reda, lui, a gardé un bon souvenir de son passage dans l’association pour effectuer un travail d’intérêt général (TIG), alors qu’il était encore mineur.

Devant la réussite de l’opération et le plaisir pris à la réaliser, l’ancien adolescent turbulant a envie de généraliser cette opération de collecte sur tout le territoire. Les denrées iraient aux comités du Secours populaire les plus proches. « Ici, nous ne sommes qu’une petite structure, alors imaginez ce que pourrait donner des établissements énormes comme Les Baumettes ou Fleury, anticipe-t-il. Sans compter que l’émulation de site en site pourrait être très forte. » Avec ses amis, il travaille à réaliser ce rêve. 

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