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A Gaza, les médecins de PMRS sur le front

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Les équipes de PMRS se portent au plus près de la population, au cœur du chaos. ©PMRS / SPF

Mi-novembre 2023, nous rencontrions le Docteur Ayed, directeur dans la bande de Gaza de PMRS, notre partenaire en Palestine. Il dressait le bilan déjà dramatique du conflit à Gaza, une cinquantaine de jours à peine depuis le 7 octobre. La situation a aujourd’hui, sans surprise, empiré – la catastrophe humanitaire est consommée. Mais ce qui n’a pas varié, c’est la détermination de PMRS et ses équipes à permettre aux Gazaouis un accès aux soins dans le chaos. Cette mission, l’association peut l’honorer grâce au soutien des institutions internationales mais aussi de son réseau d’associations partenaires, dont le Secours populaire fait figure de soutien historique. Nous faisons appel à la générosité et la solidarité de toutes et tous : donner, c’est permettre à PMRS de continuer d’agir et, donc, de résister.

À Gaza, l’accès à la santé est un véritable défi, mais tout y est un défi. Boire, manger, se mettre à l’abri. Comment décririez-vous la situation actuelle ? 

Les différentes agences onusiennes, le Programme alimentaire mondial, tous s’accordent pour dire que le peuple gazaoui vit une crise inédite, terrible. Selon le PAM, 93% de la population à Gaza souffre de la faim[1]. La catastrophe est imminente. Avant le 23 novembre déjà, un peu avant que la trêve humanitaire ne soit prononcée, je me souviens avoir alerté dans les médias que si ce drame humanitaire se poursuivait, nous ferions rapidement face à une augmentation du nombre de maladies, qui seraient plus nombreuses encore que les morts causées directement par l’armée israélienne. Un rapport récent de l’OMS le confirme. Dans ce contexte de guerre dramatique, le souci des travailleurs humanitaires et des personnels soignants se concentre inévitablement sur les blessés. Mais les personnes souffrant de maladies chroniques sont oubliées. Je peux vous donner quelques chiffres ?

Bien sûr docteur.

Je parle de 71 000 patients diabétiques dans la bande de Gaza. De plus de 1100 patients souffrant d’insuffisance rénale ; parmi eux, on compte 38 enfants. Pour ces patients, il faut une dialyse rénale trois fois par semaine, à hauteur de séances de 4 heures. Le ministère de la Santé a réduit aujourd’hui le nombre de séance à deux par semaine et à 3 heures par séance. Nous n’avons plus les moyens de les soigner et ça ne fera qu’empirer. Je parle de 220 000 patients qui souffrent d’hypertension et ont besoin de médicaments. Je parle d’un demi-million de patients qui souffrent de problèmes psychosociaux et qui ont besoin d’être suivis… 
Plus d’1,9 million de Palestiniens survivent actuellement dans des camps de réfugiés qui sont surpeuplés. Aucune hygiène n’y est possible. Les maladies y prolifèrent. Les derniers chiffres dénotent plus de 152 000 cas de diarrhées – cela concerne 80 000 enfants. 230 000 personnes souffrent d’infection respiratoire aiguë. 44 000 cas de maladies de peau sont recensés. Il y a deux jours, l’OMS a annoncé qu’elle avait découvert 6700 cas d’hépatite A. C’est aussi là que se pose la catastrophe sanitaire. C’est aussi sur ce front qu’il nous faut intervenir…

« Nos équipes reçoivent tout le monde. La plupart des hôpitaux sont détruits : il faut pouvoir faire face à toutes les demandes, et elles sont immenses. »

Dans ce contexte, où interviennent, aujourd’hui, les équipes de PMRS dans la bande de Gaza ?

Notre travail est assuré par 32 équipes mobiles, qui se portent au plus près de la population partout sur le territoire, comme dans les zones de Rafah, Khan Younès, Deir-Al-Balah et Gaza City. Quand nous nous étions parlé mi-novembre, PMRS n’était plus en mesure d’intervenir dans la ville de Gaza. Depuis la semaine dernière, nous y sommes à nouveau présents : nous avons réussi à remettre en service l’un de nos centres d’accueil locaux. Une équipe mobile est également présente à Gaza City. Ces 32 équipes s’occupent bien sûr de soigner les blessures et les traumatismes liés aux attaques, mais elles prennent aussi en charge les maladies, les questions gynécologiques et pédiatriques. Certaines équipes sont spécialisées : ce peut être dans la santé de l’enfant, dans la protection des femmes victimes de violences, dans le soutien psychologique. Nous travaillons en ce moment à la remise en service d’une équipe dans le nord, à Jabalia. Nos équipes assurent d’autres missions, comme la distribution de kits d’hygiène aux familles, parfois même des vêtements, notamment des vêtements chauds pour les enfants, ainsi que des colis alimentaires. Enfin, nous distribuons des trousses de secours dans les camps de réfugiés, ainsi qu’aux travailleurs humanitaires et aux journalistes, qui travaillent au péril de leur vie.

Qu’en est-il de vos centres d’accueil répartis dans la bande de Gaza ? Ont-ils été détruits ?

Nous comptions, sur le territoire gazaoui, dix centres. Pour quatre d’entre eux, nous n’avons plus de contact. Nous sommes sans nouvelles de notre centre de soins de santé primaires situé à l’extrême nord de la bande de Gaza, dans un village près du poste-frontière d’Erez, depuis les derniers jours d’octobre. Pour nos deux centres situés dans la région de Khan Younès, dont un prodiguait physiothérapie et rééducation, c’est la même chose… Nous n’avons plus aucune nouvelle depuis début décembre, depuis que l’armée israélienne a investi Khan Younès. Nous ne savons pas si ces centres ont été totalement détruits, ou s’il en reste quelque chose. La seule certitude, c’est qu’ils ne fonctionnent plus. Le quatrième, situé dans la ville de Gaza, est probablement en ruines. Nous avons trois autres centres à Gaza City – le centre de rééducation pour les enfants et les grands blessés a été entièrement détruit ; le centre pour le suivi des maladies chroniques a été sévèrement endommagé mais est encore debout ; notre laboratoire fonctionne même si toutes ses fenêtres ont explosé. Nous avions, au nord de la bande de Gaza, à Beit Hanoun, un centre d’accueil pour les enfants souffrant de maladies mentales. C’est une zone totalement inaccessible aujourd’hui, mais savons de source sûre qu’il a été entièrement détruit. 

Les pertes sont terribles. Les destructions concernent les bâtiments mais aussi les routes… Comment se déplacent vos équipes mobiles, dans des conditions si extrêmes ?

Ça dépend des terrains. Dans le nord de la bande de Gaza, elles ne peuvent évoluer qu’à pied – en particulier à Jabalia et à Gaza City. Au sud, à Rafah et à Khan Younès, c’est aussi beaucoup en marchant, parfois même à vélo, mais certaines équipes s’y déplacent en voiture. Il nous reste quelques véhicules qui n’ont pas été détruits et nous en louons d’autres. L’essence nous est fournie par l’Organisation mondiale de la santé et l’UNRWA[2], ainsi que par certaines ONG partenaires. 

Les équipes mobiles de PMRS sillonnent le territoire de Gaza. Nombre de leurs ambulances ayant été détruites lors des bombardements, elles louent des véhicules et apportent à la population, outre des soins, de quoi se nourrir, se vêtir, une écoute chaleureuse. ©PMRS / SPF

« Chaque jour, les équipes se déplacent, au gré des bombardements. »

Ces équipes se rendent dans les camps de réfugiés où vit à présent l’essentiel de la population gazaouie, mais improvise aussi des cliniques de fortune, dans les cours, les halls, les écoles…


Oui, absolument. L’objectif, c’est d’apporter à la population un accès aux soins de base, leur permettre de consulter, d’obtenir des médicaments, d’être soigné. Ces équipes reçoivent absolument tout le monde : les enfants, les femmes y compris les femmes enceintes, les personnes âgées. La plupart des hôpitaux sont détruits, le système de santé est à l’agonie. Il faut pouvoir faire face à toutes les demandes, et elles sont immenses. Et en même temps, ces équipes mettent en place des activités de soutien psychosocial pour la population qui vit un véritable traumatisme. Pour les enfants, elles organisent des jeux, des activités récréatives, qui leur permettent de s’amuser et vivre une vie d’enfant. 

Combien de soignantes et soignants – docteurs, infirmiers, psychologues, etc. – constituent la trentaine d’équipes mobiles de PMRS ?

Environ 160. Les équipes mobiles peuvent être constituées de deux personnes comme de cinq ou six, dans le cas des cliniques mobiles. Chaque jour, les équipes se déplacent, au gré des bombardements. A ces 160 professionnels, il faut ajouter plusieurs dizaines de volontaires. Mais ces chiffres varient, comme vous pouvez vous en douter.

PMRS improvise des cliniques dans les lieux où se réfugie la population, proposant consultations et soins. ©PMRS / SPF

Vous précisiez que l’essence vous était fournie par l’OMS et l’UNRWA. Comment vous approvisionnez-vous en médicaments et équipement médical ? 

Durant le mois d’octobre, nous avons tenu avec notre stock, que nous avions acheté à notre fournisseur local. Mais l’armée israélienne a bombardé le quartier de notre entrepôt et nous en avons perdu une grande partie. Grâce aux dons que nous recevons de nos partenaires, nous avons pu récemment racheter des médicaments et du matériel auprès de ce même fournisseur. Sinon, nous recevons des dons de médicaments et matériel qui sont acheminés depuis le point de passage de Rafah. Ces dons nous viennent de l’UNRWA, plus rarement du ministère de la Santé. Le Croissant Rouge nous approvisionne lui aussi en médicaments dans la bande de Gaza. Mais cela est loin d’être suffisant et nous faisons face à une pénurie constante. Malgré tout, nous parvenons, je me demande parfois comment, à poursuivre notre travail au plus près de la population.

« Nous ne pouvons pas garantir la sécurité de nos équipes. Aucun lieu n’est sûr à Gaza car l’armée israélienne tire absolument partout. »

Vos équipes sont exposées à un danger permanent. Comment faites-vous pour les protéger, vous assurer de leur sécurité ?

Nous ne pouvons pas garantir la sécurité de nos équipes. Nous ne pouvons garantir la sécurité de personne. Aucun lieu n’est sûr à Gaza car l’armée israélienne tire absolument partout. Elle cible même les camps de réfugiés. La seule chose que nous pouvons faire, c’est leur demander d’être le plus prudents possible. Vous savez, même les journalistes, qui prennent toutes les mesures de sécurité possibles, qui portent des gilets pare-balles, sont pris pour cible et se font tuer. Bien sûr, les membres de PMRS revêtent toutes et tous un gilet blanc. Mais l’armée israélienne ne leur accorde pas de protection, enfreignant par là même les lois internationales qui l’imposent.

Des membres de vos équipes ont été blessés ?

Certains d’entre eux, oui, et ce dès les premiers jours du conflit. Un de nos soignants a été sévèrement blessé et amputé d’une jambe. En ce moment même, il y en a qui sont hospitalisés. Ils font face à d’autres blessures profondes : certains ont perdu des membres de leur famille – un parent, un frère, une sœur, un enfant. 

« Nos équipes poursuivent leur mission : sans relâche, pourvoir au peuple de Gaza les soins essentiels. »

 Quel est l’état d’esprit de la population gazaouie ? 

Elle oscille entre la colère et le désespoir. Les habitants sont totalement déprimés. Comment ne pas l’être quand l’existence se résume à survivre, avoir faim, vivre sous une tente ? La vie est si dure que chaque personne essaie de sauver sa vie et celles de sa famille. C’est de plus en plus difficile de penser collectivement et c’est un véritable problème pour la société palestinienne.

Dans un tel contexte, quelle est selon vous le besoin le plus urgent ?

Le plus urgent, c’est que cette tuerie cesse, qu’advienne enfin le cessez-le-feu. Voilà l’urgence la plus absolue. Ensuite, nous continuerons d’apporter à la population une aide humanitaire : lui pourvoir de la nourriture, des soins, la sécurité. Et un toit car, une fois le cessez-le feu prononcé, peu de familles auront la possibilité de rentrer chez elles. 70% des maisons ont été détruites dans le nord de Gaza. Mais pour l’heure, il faut que le feu cesse. En attendant, nos équipes sont présentes et poursuivent leur mission : sans relâche, pourvoir au peuple de Gaza les soins essentiels.


[1] Le PAM avance le chiffre de 2,2 millions de personnes.

[2] L’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA) pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient est un programme de l’Organisation des Nations unies pour l’aide aux réfugiés palestiniens dans la bande de Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie, datant de décembre 1949. 

« Coûte que coûte, nous maintenons notre présence à Gaza » : relire le précédent entretien avec le Docteur Ayed, en date du 17 novembre 2023