Népal : une école de rêve

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
L'école népalaise "Shree Rudrayanee Secondary School ". ©Omar Havana/SPF

Le printemps 2015 restera dans la mémoire des Népalais comme celui des terribles séismes qui ravagèrent leur pays et bouleversèrent leur vie. Le Secours populaire, par l'intermédiaire de son partenaire UEMS, avait apporté aussitôt l’aide d’urgence pour que la population survive puis s’était lancé dans la reconstruction de deux écoles. Parce que l’aide à l’enfance et l’accès à l’éducation sont des combats de la toute première heure pour le Secours populaire. La seconde école, sise dans une banlieue déshéritée de Katmandou, a été prise entièrement en charge par la fédération de l’Essonne du Secours populaire. Son inauguration, après 4 années de travaux interrompus par la pandémie, a été fêtée en juillet 2022. Retour sur une aventure déclenchée par un drame, poursuivie dans l’opiniâtreté et achevée dans la fierté.

« A présent que vous nous avez reconstruit une nouvelle école, je me sens soulagé et heureux. Notre classe est spacieuse et lumineuse, avec du beau mobilier : ça nous donne encore plus envie d’apprendre ! Et puis, comme le bâtiment est fait pour résister aux tremblements de terre, je me sens en sécurité. » Yubraj Ale Magar a 14 ans quand, en avril 2019, il se réjouit de sa rentrée à Mahalaxmi, village très pauvre situé à quelques kilomètres de Katmandou au Népal. Grâce à la fédération de l’Essonne et son partenaire népalais l’association UEMS (Urban Environment Management Society), son école qui avait été détruite lors des terribles tremblements de terre de juin 2015 peut à nouveau accueillir plus de 500 élèves. Dans la cour, les jeunes filles du village chantent et dansent pour fêter cette renaissance, en même temps que pour donner aux ouvriers le courage d’entamer la deuxième tranche des travaux.  Ceux-ci se termineront au printemps 2022, « dans les temps », sourit le secrétaire général du Secours populaire de l’Essonne, Olivier Grinon. « L’école peut maintenant accueillir plus de 900 élèves, précise-t-il aujourd’hui. Elle accueille les enfants jusqu’au niveau lycée, donc un haut niveau d’éducation. Ça a été un long combat. Il nous a fallu, durant ces quatre années, réunir les moyens financiers par des efforts de collectes et accompagner notre partenaire népalais, en effectuant notamment de régulières missions sur place. Nous sommes aujourd’hui très heureux… et très fiers ! »

« Je ne veux pas me souvenir du printemps 2015. »

L’histoire commence tragiquement, en avril et mai 2015, quand une série de séismes fait trembler la terre au Népal. Routes éventrées, immeubles effondrés, puissantes avalanches : le pays est dépassé par l’ampleur du désastre et la population désespérée. Près de 500 000 maisons sont détruites, on compte 200 000 blessés et près de 9000 morts. « Je crois que, comme tous les Népalais, je ne veux pas me souvenir du printemps 2015 », confie Prem Singh Maharjan, président de UEMS. L’homme souhaiterait effacer de sa mémoire ces souvenirs douloureux, comme la catastrophe avait elle-même effacé de la surface de la terre toute trace de vie et d’espoir. « Quand la terre s’est mise à trembler, j’ai eu le sentiment que la route était soulevée par une immense vague. Puis tout s’est effondré autour de moi : les maisons, les temples multi-centenaires… Tout le monde criait et pleurait », continue-t-il néanmoins. La sidération passée, UEMS organise rapidement la solidarité, apportant de la nourriture et des capsules de purification d’eau dans les zones où l’association développe d’habitude ses programmes de développement et où la population survit à présent sous des tentes de fortune.

Au cœur du chaos, les volontaires d’UEMS savent pouvoir compter sur le soutien du Secours populaire qui débloque immédiatement un fonds d’urgence de 50 000 € puis s’engage dans la reconstruction d’une école dans le quartier de Khokhana. C’est lors d’une mission de l’association nationale du Secours populaire à Khokhana que se dessine le projet de réhabilitation d’une seconde école, cette fois-ci par la fédération de l’Essonne. L’équipe d’UEMS a identifié une école communautaire villageoise publique, détruite aux deux tiers, qui assurait toutes les classes de la maternelle jusqu’au secondaire et accueillait plus de 500 élèves : la Shree Siddhimangal Madhyamik Vidyalaya Secondary School, située dans un village historique de la vallée de Katmandou. « Ce projet nous a tout de suite touchés. Et nous nous sommes dit qu’il toucherait aussi les bénévoles dans les comités et antennes, se souvient Olivier Grinon, présent lors de la mission nationale du Secours populaire en 2016. Construire une école pour que les enfants puissent accéder à l’éducation et échapper à la misère, c’est un objectif fédérateur. Et bien sûr, c’est un sujet crucial au Népal. Ainsi qu’une des priorités du Secours populaire depuis toujours. »

« J’ai tant de rêves, mais j’ai peur que ma condition pauvre ne m’empêche de les réaliser. »

Ce qu’ont imaginé UEMS et le Secours populaire, c’est la reconstruction du bâtiment principal de l’école, détruit lors du séisme, en un édifice de 4 étages : 3 étages en dur, accueillant les salles de classe et un dernier étage en bambou, dédié aux salles de réunion et au centre de documentation. Quand, en avril 2019, le petit Yubraj fait sa rentrée, c’est dans un bâtiment flambant neuf mais avec deux étages seulement. En raison de la pandémie qui est venue percuter le calendrier, la seconde tranche de travaux n’est commencée qu’à l’automne 2021 et c’est à la rentrée 2002 (en avril donc) que les deux autres sont inaugurés. Et l’école, totalement achevée. « Dans le projet, nous avions même prévu l’achat de tables, de chaises, de bibliothèques et d’ordinateurs. Les deux tranches de travaux ainsi que ces équipements nous ont amené à un projet total avoisinant un budget de 400 000 € », détaille Olivier Grinon. Une somme extrêmement importante pour la fédération, d’autant plus que c’était la première fois qu’elle prenait en charge seule et en direct un projet de solidarité internationale. Alors oui, les bénévoles peuvent être très fiers ! « Si nous avons pu respecter le budget et le calendrier que nous nous étions fixésc’est grâce à UEMS, reconnaît Olivier Grinon. Ils ont l’habitude de conduire de grands programmes de construction, notamment pour l’adduction, le traitement et le stockage de l’eau dont ils sont spécialistes. La pollution des eaux est un problème majeur au Népal, qui est la cause d’une importante mortalité infantile ».

A l’école, les enfants népalais bénéficient d’un repas gratuit. © Omar Havana / SPF

Les enfants sont toujours les premiers à souffrir des catastrophes et des crises ; c’est pourquoi, depuis sa création, ils sont au cœur des préoccupations du Secours populaire. Le projet qu’a soutenu, quatre années durant, la fédération de l’Essonne, leur est tout entier dédié. « C’est une école publique gratuite, c’est-à-dire qu’elle est fréquentée par des enfants de familles très pauvres, souvent des travailleurs à la journée, notamment dans la fabrication des briques ou le nettoyage, éclaire Prem Singh Maharjan. Ils ne pourraient pas envoyer leurs enfants dans une école privée. Il était donc crucial de reconstruire cette école. Sinon, ces enfants n’auraient plus pu étudier. Ils seraient retournés travailler… Et passer sa journée à l’école, c’est aussi pour eux la garantie d’avoir un bon repas. » Aussi, construire une école dans ce pays, un des plus pauvres du monde, c’est œuvrer pour l’accès à l’éducation et c’est bien plus encore : c’est offrir aux enfants un avenir, les préserver de la misère et du travail, voire de l’esclavage qui sévit au Népal. C’est rendre aux parents la possibilité d’élever dignement leurs enfants et d’espérer pour eux de meilleurs lendemains. « Je travaille bien à l’école et j’ai tant de rêves, témoigne Yubraj. Mais j’ai aussi tellement peur que ma condition pauvre ne m’empêche de les réaliser. » Amit Sunar, une élève de l’école, songe quant à elle : « Mon père a pu nous construire une maison mais depuis, il fait face à tant de dettes qu’il ne peut pas les payer. Il travaille dur mais malgré ses efforts, nous ne parvenons pas à sortir de la pauvreté. »

« Il y a quelques années, une telle école n’aurait été qu’un rêve ! »

Des filles comme elle, dans l’école de Mahalaxmi, il y en a beaucoup – autant que de garçons. Et c’est là un autre de ses effets vertueux. « Nous avions prévu la construction de toilettes spécifiques pour les filles, qui respecteraient leur intimité, résume le président de UEMS. Nous voulions créer les conditions d’hygiène et de propreté qui rassureraient les parents. Aujourd’hui, il y règne une véritable mixité. » Les parents sont d’autant plus rassurés qu’ils contribuent au bon fonctionnement de l’école en participant à son comité de gestion communautaire – « et c’est chose rare dans notre pays », souligne Prem Singh Maharjan. « Dans cette banlieue très pauvre de Katmandou, l’école est devenue une sorte de phare, avance le secrétaire général du Secours populaire de l’Essonne. C’est un bâtiment neuf, repeint, propre, solide – un bâtiment qui rassemble et rassure la population. C’est un bâtiment qui résiste ! » Depuis la rentrée en avril 2022, puis l’inauguration officielle de l’école achevée en juillet, les bénévoles de l’Essonne sont déjà à pied d’œuvre pour organiser un projet qu’ils espèrent depuis plusieurs années – la pandémie, une fois encore, s’étant chargée de le repousser. Il s’agit d’un programme d’échanges entre des enfants népalais de l’école de Mahalaxmi et des enfants français dont les familles sont aidées par le Secours populaire. Ce sont les petits Népalais qui viendront les premiers : une dizaine d’entre eux devraient arriver en France en février 2023 – une manière tendre et singulière de continuer l’aventure, commencée par un drame, continuée dans l’opiniâtreté et achevée dans la fierté. « Je me sens fière d’étudier dans l’école Siddhimangal, confirme Manisha Bhujel, 15 ans. Il y a encore quelques années, une telle école n’aurait été qu’un rêve ! »

L’école Shree Siddhimangal Madhyamik Vidyalaya, située à Mahalaxmi à quelques kilomètres de Katmandou, accueille les enfants de la maternelle au lycée. La moitié sont des filles. © Solène Guittonneau / SPF