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Liban : Jihad Bouez, le porteur d’espoir

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Jihad dans l'entrepôt de DPNA, un matin à Beyrouth, confectionne les colis alimentaires qu'il apportera aux familles, chez elles, tout au long de la journée. ©Patrick Baz/SPF

Dix mois ont passé depuis l’explosion du port de Beyrouth, durant lesquels le Liban a continué de s’enfoncer dans une crise profonde. Depuis lors, le Secours populaire et son partenaire sur place, DPNA, multiplient les efforts pour venir en aide à la population qui a basculé, pour plus de sa moitié, dans la pauvreté. A travers le portrait de Jihad Bouez, jeune volontaire de l’association DPNA, retour sur les actions conduites jusqu’au programme d'aide alimentaire déployé ces derniers mois auprès de milliers de familles libanaises, telle celle d’Annie. Rencontre.

« Ça a été un moment terrible. Les fenêtres ont explosé, les portes se sont effondrées dans un vacarme immense. » Annie Houarian se repasse en boucle la journée du 4 août 2020 quand, en fin d’après-midi, l’explosion du port a ravagé Beyrouth. « Mais les volontaires de DPNA sont venus et ont tout réparé, nous ont permis de fermer à nouveau notre maison, faire que nous nous sentions chez nous, soyons protégés de la pluie et du vent… En tout, ils sont restés près de dix jours avec nous. Nous avons rencontré des gens honnêtes et gentils. Certains d’entre eux étaient très jeunes ! Je ne les oublierai jamais. » 

« Partout, des files d’attente… »

Dix mois après le drame, les volontaires de DPNA (Association pour le Développement de l’Homme et de la Nature), partenaire du Secours populaire au Liban, se tiennent toujours aux côtés d’Annie et sa famille. L’explosion a mis à genoux un pays qui était déjà rongé par une crise politique, sanitaire, économique et financière et nombreux sont les Libanais qui ont basculé dans la pauvreté. Ce matin de printemps 2021, deux jeunes volontaires de DPNA viennent apporter à Annie, chez elle dans le quartier populaire de Bourj Hamoud qui jouxte le port, un colis empli de produits alimentaires : sa famille est accompagnée dans le cadre d’un vaste programme d’aide alimentaire soutenu par le SPF et qui se destine à des milliers de foyers en grande difficulté de Beyrouth, Tripoli et Saida.

Jihad Bouez, l’un des deux volontaires, explique : « Avec la crise liée au coronavirus, la plupart des gens ont dû rester chez eux sans pouvoir travailler. Les salariés journaliers se sont retrouvés sans travail. Et puis il y a eu la crise économique, la livre libanaise a été dévaluée par rapport au dollar et les prix de certains aliments ont été multipliés par dix, tandis que les salaires stagnaient, voire baissaient. Ceux qui avaient des économies à la banque ne pouvaient plus y accéder. Il y a aujourd’hui au Liban pénurie de tout : d’électricité, d’essence, de médicaments, de nourriture. Et, partout, des files d’attente… » Le jeune homme de 28 ans, architecte de formation et originaire de la région de Chouf, à 40 km au sud de Beyrouth, poursuit : « Les personnes âgées, les personnes au chômage ne s’en sortent plus. C’est le cas pour Annie : son mari Bechara, qui est photographe, ne trouve plus de travail. Sa famille a besoin de notre aide. »

Si l’explosion a provoqué la rencontre entre DPNA et la famille d’Annie, elle est également le déclencheur de l’engagement de Jihad. Quand la déflagration détruit la maison d’Annie et de dizaines de milliers d’autres familles beyrouthines, Jihad est à Deir-El-Qamar, son village natal, où il a grandi, fait ses études et exercé son premier emploi. C’est une fin d’après-midi d’été, passée avec un ami dans le jardin à discuter paisiblement, qui est violemment interrompue. « L’explosion a retenti durant quinze longues secondes et le son en était assourdissant. Les premiers instants, on ne savait que penser. Était-ce un attentat ? Puis, quand on a su : de quelle partie de Beyrouth était partie l’explosion ? J’ai appelé ma sœur à Achrafieh, mais elle ne répondait pas. J’ai eu très peur puis j’ai appris qu’elle était indemne, même si en une seconde sa maison a été détruite. En une seconde, Beyrouth a été détruite ! »  Alors, sur le port, dans le cratère de 120 mètres de diamètre et de 10 mètres de profondeur creusé par l’explosion, ce sont les derniers espoirs de tout un peuple déjà meurtri par la crise qui s’engouffrent. Quelques heures suffisent à Jihad pour prendre sa décision : il lui faut agir.

Liban : Jihad, le porteur d'espoir
Annie, entourée de Houssam et Jihad (à droite de la photo). ©Patrick Baz.SPF

« Les bénévoles de DPNA arrivaient par bus entiers. »

« Quelques jours après la catastrophe, je me suis rendu à Beyrouth pour aider. Je voyais les bénévoles de DPNA arriver par bus entiers de Saida et, très vite, ils ont été présents partout ! Ils étaient des centaines. Dans toutes les maisons, les quartiers, les rues. Ils étaient auprès des gens, quelle que soit leur origine, leur religion. J’ai décidé de les rejoindre », se souvient Jihad et, tandis que le jeune homme revit ces instants, le débit de ses paroles s’accélère. « Nous avons commencé à nettoyer les trottoirs, les rues et les maisons, réparer les dégâts. On a fermé les portes et les fenêtres avec des planches : c’était une toute première intervention. Moi, j’étais dans l’équipe qui travaillait dans la zone 55, dans le quartier de Saifi. Puis j’ai travaillé dans les quartiers de Rmeil et Achrafieh, très touchés par l’explosion car situés près du port, à 400 ou 500 mètres à vol d’oiseau du lieu de l’explosion. » 

Le Secours populaire, lors de ces premières interventions d’urgence, est bien sûr aux côtés de son partenaire DPNA et c’est un premier fonds d’urgence de 300 000 € qui est débloqué, grâce à la mobilisation des bénévoles et des donateurs du SPF. Jihad, en même temps qu’il sillonne les rues de Beyrouth pour réhabiliter les logements, apporte ainsi à des centaines de familles démunies des produits alimentaires et d’hygiène. Puis, à l’automne, un programme financé, sur la demande du SPF, par le Centre de Crise et de Soutien du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, visant à reconstruire une centaine de logements, est initié. Jihad en est partie prenante ; depuis plus de trois mois alors, il fait plusieurs fois par semaine l’aller-retour entre Deir-El-Qamar et Beyrouth.

Dans un français impeccable, Jihad, qui a étudié dans les francophones carmel Saint-Joseph de Meshref et université Saint-Esprit de Kaslik, raconte : « Puis on a reconstruit, grâce au Secours populaire, les logements sinistrés : fenêtres, bois, aluminium, vitres, portes, peintures. On a travaillé dans les maisons mais aussi dans des lieux publics comme la caserne des pompiers et le conservatoire de musique. C’est à ce moment-là que j’ai été embauché par DPNA comme agent de terrain. J’étais chargé des relations avec les entreprises, je faisais le point avec elles sur l’avancée des chantiers et, grâce à mes études d’architecture, j’ai pu aussi apporter une expertise sur la conduite des différents travaux. » Aux fonds confiés par le Centre de Crise et de Soutien se sont ajoutés des fonds propres du SPF ainsi que de la Région Île-de-France ; au total, ce sont 175 logements qui ont été entièrement reconstruits par DPNA.

Liban : Jihad, le porteur d'espoir
Annie déballe le colis alimentaire que lui ont apporté Jihad et Houssam, volontaires de DPNA. ©Patrick Baz/SPF

« Les familles voient que nous sommes présents du matin au soir et cela leur donne de l’espoir. »

Les mois passent et arrive le printemps 2021. A présent, Jihad a cessé de faire les allers-retours, il a trouvé un petit pied-à-terre à Beyrouth. Malgré l’énergie déployée par les permanents et les volontaires de DPNA, le Liban continue de s’enfoncer dans une crise qui ne connaît aucun précédent. Tandis que les Nations unies annoncent fin mars que le pays intègre la liste des pays menacés « de niveaux catastrophiques de famine », le Secours populaire et DPNA imaginent un vaste programme d’aide alimentaire, afin de secourir les familles les plus en difficulté – la tâche est incommensurable, plus de la moitié de la population libanaise ayant depuis basculé sous le seuil de pauvreté. 

Les « tournées » de distributions alimentaires, qui quadrillent les différents quartiers de Beyrouth, s’effectuent toujours en binôme. Ce matin, quand Jihad frappe à la porte d’Annie, il est en compagnie de Houssam, la petite trentaine. Ils sont partis tôt le matin de l’entrepôt de DPNA où sont stockées toutes les denrées alimentaires et ont confectionné les colis en fonction de la composition des familles à visiter dans la journée – une dizaine en moyenne. La porte s’ouvre sur le sourire d’Annie ; ces dernières semaines, il est devenu rare… « Elle s’assoit et s’isole, elle ne parle à personne, reste silencieuse. Ça arrive de plus en plus souvent. La situation est dure et je crois qu’elle n’a plus d’espoir », confie la fille d’Annie, Elissa. 

Dans chaque colis, il y a des denrées alimentaires essentielles, qu’Annie s’active à ranger sur les rayonnages du réfrigérateur ou du placard, mais il y a aussi un peu de cet espoir qui vient de plus en plus souvent à lui manquer. « Les familles voient que nous sommes présents du matin jusqu’au soir et cela leur donne de l’espoir », songe Jihad. Il y a aussi, dans les colis de DPNA, beaucoup d’humanité : « Ce matin, il y a deux familles qui m’ont appelé, comme ça, juste pour dire bonjour, demander comment je vais, comment va Houssam… Ils ressentent que nous sommes très proches d’eux, il y a une relation familiale entre nous. » Annie témoigne quant à elle : « Les colis que nous offre DPNA permettent de nourrir la famille, il y a des spaghettis, du riz, de l’houmous, du sucre, du lait, de l’huile, des conserves… Quand ils viennent à la maison nous les apporter, à chaque fois, nous discutons. Ils s’assoient et nous demandent comment nous allons, ça fait beaucoup de bien de leur parler. »

Jihad et Houssam disent au revoir à Annie ; il leur faut poursuivre leur tournée : Léna les attend, à quelques rues de là et elle doit déjà avoir préparé le thé, comme elle fait à chaque fois. Sur le visage de Houssam et Jihad s’épanouissent des sourires : ces rencontres leur font, à eux aussi, du bien. Il en va ainsi de la solidarité : elle est inévitablement le lieu de la réciprocité. Jihad, soufflant ces derniers mots, le confirme : « Le soutien du SPF et mon action au sein de DPNA me donnent de l’espoir. Je crois que sans cela, j’aurais essayé de quitter le Liban pour tenter ma chance ailleurs. Mon engagement me donne la force de rester dans mon pays, de croire encore en lui. »

Liban : Jihad, le porteur d'espoir
Jihad fait une pause dans sa « tournée », sur le palier d’un immeuble qui découvre une vue sur le quartier de Bourj Hamoud, à Beyrouth. ©Patrick Baz/SPF
Liban : Jihad, le porteur d'espoir

«Mon engagement me donne la force de rester dans mon pays, de croire encore en lui.»

 Jihad Bouez, membre de DPNA (Development for People and Nature Association)

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