Le handicap, un facteur d’exclusion

Manque de structures adaptées, détresse et isolement des familles, exil en Belgique pour scolariser les enfants... Ces symptômes sont les révélateurs des inégalités qui frappent, en France, les personnes touchées par un handicap et de l’extrême difficulté pour elles à trouver leur place au sein d’une société souvent tournée vers la performance.

Musique, chant, danse... autant d’activités artistiques bénéfiques, voire nécessaires, à l’épanouissement des enfants handicapés.

20 octobre 2015. Devant l’Assemblée nationale, des dizaines de familles donnent de la voix, disent leur souffrance, celle de leurs enfants. Ce jour-là, l’Unapei (Union nationale des associations de parents d’enfants inadaptés), qui fédère 550 organisations et gère 3 100 établissements et services spécialisés, dépose son Livre noir du handicap en France, « Les bannis de la République ». Elle y dénonce le manque de places en France pour les gens souffrant d’un handicap. Thierry Nouvel, son directeur général, rappelle que 12 658 enfants attendent une place en institution, dans un Service d’éducation spéciale et soins à domicile (Sessad) ou un Institut médico-éducatif (IME).

Au total, près de 47 500 personnes handicapées restent à la charge de leur famille. Faute de structures d’accueil, 6 500 personnes, dont 1 500 enfants, sont actuellement prises en charge en Belgique. Cet exil forcé, qui génère 4 000 emplois chez nos voisins, coûte à la France 250 millions d’euros par an. Au-delà de la froide comptabilité s’imposent les difficultés quotidiennes endurées par les proches des personnes handicapées et leur sentiment d’abandon face à ces épreuves. Ainsi, l’Unapei demande la « création de places de proximité et donc d’emplois pour éviter les départs », synonymes de longues périodes de séparation pour les mineurs et les jeunes adultes qui ont particulièrement besoin de chaleur familiale. L’exil produit des effets négatifs sur les handicapés et leur entourage (stress dû à l’éloignement, fatigue du voyage, coûts élevés de transport assumés par la Sécurité sociale). Les familles qui doivent assumer l’accompagnement à domicile de leurs proches affectés de handicaps ou de polyhandicaps (association d’un handicap mental sévère et d’une déficience motrice entraînant une restriction extrême de l’autonomie) sont, elles aussi, durement éprouvées.

Des solutions inadaptées aux besoins

La plupart des 47 500 personnes handicapées non accueillies bénéficient d’une reconnaissance de leur handicap, d’une orientation et d’un accompagnement censés être financés par la solidarité nationale. Cependant, ces personnes, qui vivent dans leur foyer, ne bénéficient souvent pas de solutions adaptées à leurs besoins. « Ces situations, selon l’Unapei, ont des conséquences dramatiques et inextricables : régression et mise en danger par absence de soins et de l’accompagnement requis ; familles isolées, épuisées, désocialisées, mères ou pères souvent contraints d’abandonner leur activité professionnelle ; parents âgés dans l’incapacité d’assumer l’accompagnement de leurs enfants devenus adultes ; familles désespérées et à bout de forces, parfois au point de commettre l’irréparable. »

Sur le site de l’Association des paralysés de France, on trouve ce témoignage édifiant : « Je suis Isabelle, j’ai 39 ans, deux filles polyhandicapées, une de 19 ans et une de 8 ans, je connais très bien ce phénomène d’épuisement car je suis seule à élever mes filles depuis huit ans. Bien sûr, je m’entoure d’aides à domicile, j’ai une maman très aidante et une pêche d’enfer, mais mon dos n’en peut plus, j’ai une névralgie au bras gauche et je suis souvent épuisée. » Le non-recours aux droits, notamment dans les foyers pauvres, augmente la précarité, provoque un isolement croissant et un repli social, tant pour la personne handicapée que pour sa famille : les séances spécialisées, comme celles liées à la psychomotricité, sont mal prises en charge par la Sécurité sociale et peuvent atteindre plusieurs centaines d’euros par mois. Le maintien forcé à domicile oblige les familles à choisir des solutions qui déstabilisent leur vie. On connaît peu la situation de ceux qu’on appelle les « aidants ». Une enquête, menée en 2014 par la Fondation de l’université Paris-Descartes avec l’Unaf (Union nationale des associations familiales), nous apprend cependant qu’ils représentent 15 % de la population active, les deux-tiers travaillant à temps plein. Le milieu familial est sollicité dans la grande majorité des cas : 46 % sont les parents de la personne handicapée, 25 % les enfants. La limitation de l’activité professionnelle touche 48 % d’entre eux. La moitié de ceux qui travaillent à temps partiel déclarent y être contraints et souhaiteraient pouvoir travailler plus. La majorité des aidants est employée dans les secteurs bancaire, social ou associatif, qui offrent plus de souplesse. Dans tous les cas, ces derniers sont obligés de « bricoler » des solutions : 50 % d’entre eux utilisent leurs RTT et leurs congés, 13 % les congés maladie. Conséquence : ils déclarent que cette situation est néfaste pour leur santé (67 %), leur carrière (58 %), leur salaire (54 %). Par ailleurs, 73 % d’entre eux ne recourent pas aux dispositifs légaux, notamment par méconnaissance. Mais, parmi ceux qui les connaissent, seulement 5 % ont recours au congé de soutien familial, 12 % au congé de solidarité familial, interruptions non rémunérées qui peuvent devenir sources de problèmes financiers.

Être porteur d’un handicap soumet souvent à des discriminations sur le plan de l’accès à l’éducation, en dépit de la législation, fondée sur la loi handicap de 2005 et la ratification de la Convention internationale des personnes handicapées de 2007, souvent non appliquées de manière satisfaisante. Selon un rapport du Sénat, rédigé en 2012, environ 5 000 enfants handicapés, ayant entre 6 et 16 ans et vivant au domicile familial, ne fréquenteraient pas l’école, chiffre largement sous-estimé selon les associations. Si l’on prend en compte les groupes d’enfants à domicile et ceux placés en établissement, 20 000 jeunes soumis à l’obligation scolaire ne seraient pas scolarisés ; les trois quarts qui sont accueillis en établissements spécialisés bénéficient du soutien d’un éducateur ; les autres, qui vivent chez leurs parents, sont pour l’essentiel dans l’attente d’une solution adaptée à leurs besoins éducatifs. On notera que l’emploi du conditionnel prévaut dans les communiqués des associations, faute de données statistiques fiables. Alors, combien d’enfants handicapés compte la France ? Combien sont en âge d’être scolarisés ? Combien d’entre eux ne le sont pas ? Le chiffre de 20 000 jeunes privés totalement ou en partie d’éducation est toutefois suffisamment élevé pour interpeller : le comptage précis de l’Unapei, qui répertorie 12 658 enfants dans l’attente d’une place en institution spécialisée, en septembre 2015, donne une idée de l’ampleur du problème. Déjà en butte à une forme de discrimination administrative, à cause de ce manque de structures d’accueil, les jeunes handicapés doivent souvent subir des atteintes discriminatoires de la part de leurs camarades.

Selon l’enquête « Les discriminations liées au handicap et à la santé », réalisée par l’Insee en 2010, 45 % des 10-24 ans présentant une déficience cognitive disent avoir été l’objet de moqueries, 64 % de mises à l’écart, chiffre s’élevant à 11 % chez les handicapés moteur. L’apparence physique (72 %), les préjugés (21 %), les limitations liées au handicap (20 %), les attitudes inhabituelles (9 %) sont sources de vexations. Ces formes de maltraitance ne disparaissent pas à l’âge adulte : une personne sur quatre déclare avoir eu à souffrir de discriminations. Or, les difficultés d’accès à la scolarisation, aux institutions, se doublent de véritables courses d’obstacles dans l’espace public : absence d’ascenseurs dans certaines gares et de plates-formes pour fauteuils dans les transports, manque de signaux oraux aux carrefours et implantation anarchique des mobiliers urbains pour malvoyants, etc.

À ce propos, Nils Muižnieks, commissaire aux Droits de l’homme du Conseil de l’Europe, a déclaré, à l’issue d’une visite effectuée en France en septembre 2014 : « Il est urgent de remédier à une situation qui contribue à perpétuer de facto l’exclusion sociale et la marginalisation des personnes handicapées. Les importants retards en matière d’accessibilité des lieux publics ainsi que les défaillances des dispositifs d’orientation et d’accompagnement doivent être traités en priorité. » Lydie, dont la fille Anaïs est accueillie dans un établissement spécialisé privé, préconise de « privilégier l’humain à l’administratif, car les handicapés ont besoin de temps pour apprendre à apprendre », concluant : « Dans notre société, on a tendance à voir le handicap plutôt que le potentiel, les difficultés plutôt que les ressources. » Trop souvent, en France, l’attitude d’une majorité de personnes, voire d’institutions, pourrait tenir dans la formule : « Cachez ces gens qu’on ne saurait voir. » Il est toutefois des actes qui traduisent une solidarité envers les personnes handicapées, en particulier quand elles sont dans une situation de pauvreté (1 million de personnes handicapées vivent, en France, sous le seuil de pauvreté, selon l’Association des paralysés de France), et doivent vivre une sorte de double peine. Ainsi, en Haute-Garonne, depuis octobre 2015, le comité de Portet-sur-Garonne, avec l’hôpital de jour de Muret, intègre deux fois par mois un groupe d’adolescents autistes à son activité. Les jeunes préparent fruits et légumes proposés aux personnes accueillies.

En plus de la préparation des étals, ils assistent les bénéficiaires qui effectuent leur marché. Ce contact, source d’appréhension pour tous au départ, s’est si bien passé que ces jeunes gens ont souhaité continuer à venir. Comme le dit Joël, bénévole engagé dans l’opération : « On peut faire des choses ensemble, malgré les difficultés. Il y a une grande attention de la part des bénévoles à leur égard. » À Clermont-Ferrand, depuis 2012, le SPF a intégré aux équipes de bénévoles des handicapés, en partenariat avec le Centre de rééducation pour déficients visuels. Une dizaine de ces jeunes participe, une fois par semaine, aux activités : tri, conditionnement d’aliments et de vêtements, distribution, standard téléphonique. Cette expérience s’est révélée positive et a été étendue à des adultes handicapés mentaux qui participent aux diverses actions, notamment aux collectes dans les grandes surfaces. Christelle avoue « avoir eu des craintes au départ ». Aujourd’hui, « devant le plaisir que ces bénévoles ressentent en se sentant utiles », devant « leur motivation », cette responsable du secteur alimentaire et vestimentaire, souligne que « tout le monde » voit ces personnes « non plus comme porteuses d’un handicap, mais comme des bénévoles à part entière ».

Convergence 346, sport et handicap

Football, rugby…
les sports d’équipe ou individuels,
comme ici l’aïkido,
permettent aux personnes handicapées
de s’affirmer et même de représenter
leur pays en compétition,
par exemple aux jeux Paralympiques.
 

 

En savoir plus
Unapei : www.unapei.org
Association des paralysés de France : www.apf.asso.fr
Défenseur des droits : www.defenseurdesdroits.fr
Association française des aidants : http://www.aidants.fr
www.sante.gouv.fr
Sport : www.capsaaa.net
Photographier le handicap : www.rocher-photographe.com

Témoignages

Philippe Cabirol, père d’un enfant de 14 ans handicapé

Trouver un établissement public ou privé, constitue un parcours du combattant. Le manque de formation ou d’intérêt des enseignants peut aggraver un handicap : exil au fond de la classe, non prise en compte du fait que ces élèves ont besoin de plus de temps pour apprendre. Je dois donc reprendre les cours le soir ; cela m’a obligé à passer professionnellement à 32 heures. Le problème tient à une trop grande méconnaissance de ce que doit être l’inclusion des handicapés alors que la loi le préconise.

Philippe Cabirol, père d’un enfant de 14 ans handicapé

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