Protéger

  • Migrants-réfugiés

Hranush, réfugiée : « C’est mon endroit à moi »

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Hranush dans « son endroit à elle », le coin de verdure qui borde la résidence René Cassin où elle habite avec son mari et ses deux enfants, dans le village de Laguenne près de Tulle. ©Christophe Da Silva/SPF

Le Secours populaire vient en aide, de manière inconditionnelle, à tous les réfugiés, tous les migrants qui espèrent trouver, dans notre pays, un peu de paix ou une vie meilleure. A l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés, décrétée par les Nations Unies afin de rendre hommage aux réfugiés du monde entier, nous avons souhaité publier le portrait de l’une d’entre eux, Hranush Movsisyan, qui a dû fuir les persécutions dont elle et son mari étaient victimes en Arménie. En France, avec le Secours populaire, elle a reconstruit sa vie. Portrait.  

« Ici à Tulle j’ai trouvé des amis et j’ai fondé une famille. J’ai réussi à refaire ma vie. Pourtant quand je suis arrivée, j’avais peur que ce soit impossible. » Ces mots, parmi les premiers que nous livre Hranush Movsisyan quand nous la rencontrons chez elle, par une belle matinée de printemps, racontent l’ampleur du chemin parcouru par l’Arménienne ; son large sourire, l’énergie dans sa voix et ses yeux grand ouverts sur le monde témoignent quant à eux d’une détermination qui fut une compagne décisive pour avancer sur ce chemin. La jeune femme prend une grande inspiration et se lance : elle remonte en 2016, il y a six années, quand tout a basculé. Elle avait 24 ans. « J’habitais à Erevan et, avec mon mari Arman, nous nous occupions d’une petite école privée. Un jour, un enfant y a été kidnappé par un des groupes mafieux du pays contre une rançon. C’est ainsi qu’ont commencé les problèmes. Nous nous sommes fait harceler. Nous avons tenté de nous cacher mais ensuite ce sont nos parents qu’ils ont harcelés. Jusqu’au jour où ils ont attaqué Arman et lui ont donné quatre coups de couteau. Alors nous avons fui. » Tout va très vite ensuite : le jeune couple rassemble ses économies et paie des passeurs qui, contre 3000 euros chacun, les achemine jusqu’en France, à Limoges. L’état d’Arman, durant le voyage, empire ; ses blessures, infectées, provoquent une forte fièvre. Pris en charge par la Croix Rouge, le mari de Hranush est hospitalisé.

Deux bonheurs qui arrivent en même temps

« Les premiers temps ont été très durs, se souvient-elle. Nous avons dormi dehors avec Arman, une fois qu’il est sorti de l’hôpital. Nous ne trouvions pas de place dans les foyers d’hébergement car nous n’étions pas prioritaires : nous n’avions pas d’enfants, nous n’étions pas âgés. Alors nous trouvions refuge à la gare et nous marchions dehors quand elle était fermée la nuit de 1h30 à 4h00 du matin. » Hranush revit intensément ces nuits et son visage d’habitude si ouvert se referme un temps. Puis un timide sourire s’y forme à nouveau. « Une nuit où nous étions dans un parc, nous avons fait de la balançoire pour passer le temps, et à chaque fois que nous passons devant à présent, nous repensons à ces moments-là, songe-t-elle, se laissant aller à ce souvenir, avant que ses yeux ne s’assombrissent à nouveau. « Nous avons essayé de garder le moral mais au bout de trois ou quatre jours, nous n’y arrivions plus. C’était en décembre, il faisait très froid. Au total, nous avons passé 17 nuits dehors. » Il est des nombres qui ne s’oublient jamais. Une nuit – la dix-septième – qu’ils ont trouvé abri dans une église, ils rencontrent un prêtre qui leur offre une nuit d’hôtel et les met en lien avec la mairie. Ils vivent alors chez différentes familles d’accueil – « Douze familles au total ! On commençait à bien connaître la région, et à bien parler français ! » -, mobilisées par les réseaux de Welcome ou SOS Racisme. En juin 2017, Hranush et Arman trouvent une place dans un CADA, un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile, à Laguenne, à quelques kilomètres de Tulle.

« Je me souviens des temps difficiles que nous avons traversés et cela me fait plaisir de venir en aide. »

C’est alors que la rencontre avec le Secours populaire s’opère, tout d’abord dans le cadre d’une aide alimentaire. Le temps que leur dossier de demande d’asile est en instruction, le couple souhaite s’occuper et se rendre utile. « C’était fin août 2017, précise Hranush. Quand on commence au Secours populaire, je ne le sais pas encore, mais je suis enceinte de mon premier enfant, Arthur. Deux bonheurs qui arrivent en même temps ! J’ai commencé à faire le tri du linge et Arman faisait l’enlèvement des meubles. Mais j’ai décidé de faire mon bénévolat à l’alimentaire car il n’y avait que des garçons ! Alors je leur ai dit : vous avez besoin d’une fille pour vous aider à ranger ! », lance-t-elle dans un éclat de rire. Puis, reprenant son sérieux, elle poursuit : « Quand je suis arrivée au Secours populaire, ce que j’ai aimé, c’est qu’on nous fait confiance, on a la liberté d’avoir des initiatives. Quand je vois des familles en difficulté, je me souviens des temps difficiles que nous avons traversés et cela me fait plaisir de venir en aide. » Hranush s’engage totalement, prenant ses missions à cœur. « Je me suis arrangée avec Arman pour qu’il s’occupe des enfants quand j’étais au Secours populaire, lâche-t-elle avec une pointe de triomphe et d’amusement mêlés. Car les jours de distribution, je devais être présente toute la journée. » Tandis que ses deux enfants naissent, elle tisse des liens forts avec les bénévoles de l’association – « car c’est une véritable famille, le Secours populaire ».

Les chemins de la solidarité mènent à tous les possibles

La jeune maman, tandis qu’elle évoque son parcours, dispose sur la table un plateau empli de pâtisseries qu’elle a confectionnées pour l’occasion de notre rencontre. Une légère brise agite les rideaux d’une fenêtre ouverte qui donne sur un petit parc et le chant des oiseaux s’invite entre ses mots. La famille habite dans un des appartements de la résidence pour personnes âgées de Laguenne, un petit village qui jouxte Tulle. Au départ, la municipalité les y a logés gracieusement, charge à Hranush, en contrepartie, de créer du lien social avec les aînés. Rendre de petits services, organiser un goûter, tenir compagnie à ceux qui se sentent seuls, jouer aux cartes ou faire une teinture de cheveux : la présence solaire de Hranush est précieuse. Les baklavas dont nous nous régalons en discutant, les résidentes et résidents s’en délectent régulièrement. « Aujourd’hui, nous payons un loyer, car nous travaillons ! », éclaire-t-elle fièrement. « Mais je continue, pour le plaisir, d’aider les résidents, de m’occuper d’eux », continue-t-elle, revenant invariablement à cet impératif qui semble guider sa vie : tisser des liens avec les autres. Ce travail qu’elle a trouvé et qui complète le puzzle de cette vie nouvelle qu’elle a entièrement reconstruite ici en France, c’est au Secours populaire qu’elle l’exerce, depuis plus d’un an à présent.

« Je pleure quand j’y pense, car ça a changé ma vie. Je me suis sentie valorisée. »

Ayse Tari, secrétaire générale de la fédération de Corrèze du Secours populaire, est venue rendre visite à Hranush. Tandis que la jeune femme remonte le temps, Ayse, qui est née il y a une quarantaine d’années dans un petit village de Turquie, prépare le café. Qu’une Arménienne et une Turque préparent le café ensemble, se serrent les coudes et cultivent la solidarité fait rire les deux femmes. Les chemins de la solidarité mènent à tous les possibles. Quand Ayse Tari s’est démenée, durant le premier confinement, pour que des budgets soient votés par le Département et l’État afin de permettre aux associations d’embaucher du personnel quand la crise sanitaire précarisait plus encore les familles et empêchait de nombreux bénévoles d’être présents, elle a défendu l’idée que ces emplois devaient être confiés à des bénévoles déjà engagés. C’est ainsi que Hranush a commencé de travailler au Secours populaire le 4 janvier 2021 en tant que gestionnaire alimentaire. « Je pleure quand j’y pense, car ça a changé ma vie. C’était juste après les fêtes de Noël. Je me suis sentie valorisée, j’étais si heureuse, explique la jeune femme, traversée par une émotion intacte. Et puis, j’ai pu passer mon permis de conduire, car ainsi je pouvais effectuer les livraisons et la ramasse. Mon mari était un peu surpris au départ… Mais je lui ai expliqué que c’était important pour mon travail », souligne-t-elle avec facétie. « Et je vais aussi passer le permis pour être cariste ! Bientôt, je ne serai plus obligée de demander aux garçons de me chercher les palettes qui sont en hauteur. Je vais pouvoir me débrouiller toute seule ! » Décidément, Arman n’est pas au bout de ses surprises.

Un petit morceau de verdure, d’eau vive et de paix

La matinée touche à sa fin. Le café d’Ayse avalé – « En Arménie, on le fait pareil ; en fait, on mange la même culture ! », note Hranush dans un français qui hésite encore parfois et qu’elle émaille de trouvailles poétiques -, la jeune femme nous emmène dans un petit terrain arboré près de la résidence, là où coule la Saint-Bonnette, l’affluent de la Corrèze dans lequel se baignent parfois ses deux enfants, là où elle leur faisait faire la sieste les après-midi d’été quand ils étaient nourrissons, là où la petite famille pique-nique aux beaux jours. C’est ici qu’elle fait cuire le pain traditionnel arménien, le lavash, dans un âtre à même le sol. Hranush se sent bien ici, nous dit-elle, dans ce petit morceau de verdure, d’eau vive et de paix. Cet endroit, c’est là que devait finalement la mener le chemin qu’elle emprunta dans la tourmente à Erevan un jour d’automne 2016. « C’est mon endroit à moi », glisse-t-elle, le regard porté au loin, le sourire aux lèvres et les pieds ancrés dans le sol. Elle rêve un temps, légèrement absente, puis l’énergie qui la caractérise l’avive à nouveau. Hranush se met en mouvement. Elle nous dit au revoir. C’est l’heure pour elle de se rendre au Secours populaire. Ses amis bénévoles l’y attendent et des familles en difficulté comptent sur elle.