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Ghia, 21 ans : «Si nous nous unissons, tout ira mieux au Liban»

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Ghia Zaatar en mai 2023, à l’occasion d’une présentation des projets de DPNA à Saïda, où elle réside et où DPNA est basée. ©Jean-Marie Rayapen / SPF

A 21 ans, Ghia Zaatar vient d’être diplômée de l’université de Damour en Administration et gestion des entreprises. Quand on lui demande de se présenter, elle répond qu’elle est « une jeune femme engagée, une citoyenne active ». Elle est bénévole dans deux associations : La Croix-Rouge libanaise, où elle est investie dans la gestion des catastrophes et, surtout, DPNA (Development for People and Nature Association), le partenaire du Secours populaire au Liban. Elle y est liée à plusieurs programmes centrés sur la jeunesse et l’enfance. Rencontrer Ghia, c’est parler de la crise qui frappe le peuple libanais, ses conséquences sur les jeunes générations mais c’est aussi parler de la solidarité qu’elle déploie avec DPNA et être assurés que l’espoir peut perdurer.

Le Liban traverse la pire crise économique au monde depuis plusieurs années. Quel regard portez-vous sur cette situation ?

Le Liban souffre. Nous n’avons pas eu de gouvernement depuis longtemps. La corruption, les pertes d’emploi ont conduit les gens à se révolter. Aujourd’hui, le problème crucial est la crise économique. Le Liban est dépendant des aides internationales et la guerre en Ukraine les a limitées. L’inflation a augmenté terriblement, les salaires sont extrêmement bas. Au Liban, nous avons aujourd’hui du mal à nous nourrir, ainsi qu’à nous soigner. Une de mes amies souffre d’un cancer. Nous ne parvenons plus à trouver ses médicaments. Nous avons dû les acheter à l’étranger. La livre libanaise est si dévaluée par rapport au dollar que ça a coûté une somme énorme. Se déplacer est aussi devenu un défi : le carburant est rare (il nous faut parfois attendre 24 heures à la station pour en obtenir) et de toute façon, il est devenu hors de prix. L’électricité est aussi devenue un problème car le gouvernement n’en fournit pas. Nous utilisons donc des générateurs. Certains Libanais parviennent à en acheter mais la plupart d’entre nous les louons à des prix très élevés. L’électricité est une denrée inaccessible pour les familles les plus pauvres : elles passent la plupart de leur temps dans le noir.

« Les jeunes ressentent un sentiment de culpabilité vis-à-vis de leurs parents. »

Quelles sont les conséquences sur la jeunesse de votre pays ?

Le problème majeur pour la jeunesse, c’est l’éducation. Les jeunes ressentent une grande pression et un sentiment de culpabilité vis-à-vis de leurs parents. Étudier coûte cher car les écoles publiques ferment les unes après les autres. Il y a les frais d’inscription mais aussi le transport, les livres. Pour obtenir mon diplôme, j’ai eu besoin d’un ordinateur portable : ça a été une grande charge pour mes parents. J’ai un petit frère ; ses frais de scolarité ont augmenté de 50%, ils s’élèvent à environ 2000$. Comment faire quand les salaires avoisinent zéro ? J’ai travaillé pour aider mes parents, j’ai réduit au maximum mes dépenses. J’étudie dans une université normale, pas une de ces universités prestigieuses. En raison de mes réussites académiques, j’ai obtenu une bourse. Pourtant, cela reste très stressant. C’est ainsi pour la plupart des jeunes. Ajouté à cela, nous n’avons plus accès aux sports et aux loisirs. Tout est devenu cher et il n’y a pas au Liban de parcs gratuits, de jardins publics ouverts à tous – les études sont tout ce qu’il nous reste.

Au sein de DPNA, vous êtes particulièrement investie dans un projet qui s’attache justement à la jeunesse, « Youth Resolve ». Pouvez-vous en parler ?

C’est un projet financé par l’Union européenne. Il a été mis en œuvre dans plusieurs régions du Liban, dont Saïda. Son objectif est de renforcer l’insertion des jeunes, de les responsabiliser en tant qu’acteurs de premier plan dans la société – la jeunesse libanaise mais aussi les réfugiés syriens et palestiniens. On a créé des comités de jeunes et, en lien avec les municipalités et les décideurs, ils ont pu mettre en place des initiatives pour apporter du changement dans leur communauté. Les jeunes participent d’abord à des formations sur la conduite de projet, la citoyenneté active, la résolution de conflit. Puis ils organisent une étude des besoins auprès de la population. A Saida, nous avons mené une longue enquête auprès de 350 personnes. Ensuite, les comités de jeunes présentent à la population un projet et, après des réunions publiques de concertation, accompagnent sa mise en œuvre. Grâce à ce projet, les jeunes ont fait construire un terrain de foot à Mghayrieh, installer des panneaux solaires pour les pompes à eau de Bqosta. A Saida, nous avons initié la construction d’un centre de formation pour la jeunesse.

« L’explosion de Beyrouth a aussi été un séisme intérieur. »

On ressent chez les jeunes volontaires de DPNA un très fort engagement. Comment a-t-il commencé pour vous ?

Tout a commencé avec l’explosion du port de Beyrouth. Les gens mouraient, paniquaient, luttaient pour survivre et moi, je me sentais impuissante. J’étais bouleversée, dévastée : Beyrouth, le Liban, le peuple : plus rien n’était comme avant. Si je voulais agir pour mon pays, c’était maintenant ou jamais. J’ai d’abord donné mes vêtements. Puis je me suis renseignée partout pour aider bénévolement. C’est comme ça que j’ai rencontré DPNA et que j’ai commencé à m’engager. Je me suis rendue à Beyrouth avec une équipe de jeunes volontaires. Nous avons aidé à nettoyer les rues et les maisons, notamment le verre brisé, et nous avons distribué des kits de produits alimentaires et d’hygiène aux sinistrés.

L’explosion de Beyrouth, vous l’avez ressentie comme une explosion intime ?

Oui, un séisme intérieur. Ça m’a réveillée. J’ai pris conscience de ma responsabilité. Et du fait que nous sommes liés dans les épreuves. Avec les autres jeunes volontaires de DPNA, nous nous écoutons, nous nous soutenons, nous luttons ensemble et œuvrons à notre résilience.

« À DPNA, nous sommes écoutés avec bienveillance, aussi mon implication ne cesse de se renforcer, mon énergie de grandir. »

DPNA a été comme une famille, un cocon ?

Mon engagement auprès de DPNA a été renforcé par cette atmosphère chaleureuse. Je m’y suis tout de suite sentie en sécurité. Avant, j’étais une fille très timide. DPNA m’a donné confiance et m’a offert l’espace pour m’exprimer. J’y ai reçu des formations qui me permettent aujourd’hui d’être force de proposition. Si je ressens le désir de venir en aide aux orphelins par exemple, DPNA me dira : « D’accord. De quoi as-tu besoin ? Présente-nous ton projet, travaillons-le et mettons-le en œuvre ensemble. » Nous y sommes toujours écoutés avec bienveillance, aussi mon implication ne cesse de se renforcer, mon énergie de grandir.

Parmi les projets que DPNA et le Secours populaire conduisent ensemble, il y a le mouvement Copain du Monde. Vous êtes très impliquée dans les camps d’été « Copain du Monde » de DPNA…

Nous sommes en pleine préparation ! Je suis membre de l’équipe dirigeante d’un camp d’été. Outre la préparation logistique (trouver un endroit que notre budget restreint nous permettra de louer, prévoir les activités, etc.), nous identifions les enfants qui y participeront. La plupart d’entre eux ne vont plus à l’école, traînent dans la rue. Beaucoup vont mal, en particulier ceux dont l’école a fermé depuis longtemps. Je suis également animatrice et m’occuperai des enfants cet été. J’ai suivi une formation en protection de l’enfance ainsi qu’une formation en soutien psychosocial. Ce qui m’anime, nous anime tous, c’est le bien-être des enfants. Tout le reste est secondaire !

« La santé mentale des enfants va mal. »

La santé mentale des enfants libanais est alarmante ?

Lorsque nous observons les enfants en vue des inscriptions, nous percevons parfois des signaux d’alarme. Ils peuvent être victimes de violence, de harcèlement, avoir subi un traumatisme, souffrir de solitude. Ils sont peut-être obligés de travailler. Lors des camps, nous organisons des séances de soutien psychosocial pour tout les enfants. Nous mettons en place des activités qui permettent aux enfants d’exprimer leurs émotions. Nous les aidons à y faire face de manière saine, et leur évitons de tomber dans diverses dépendances tel l’alcool. Quand les cas sont critiques, nous orientons les enfants vers des psychologues professionnels qui travaillent avec DPNA. Nous nous rendons compte que la santé mentale des enfants va mal. Beaucoup ne vont plus à l’école, leurs parents sont sans cesse occupés dehors à trouver du travail pour survivre, ils sont seuls à la maison ou dans la rue. Ils se sentent abandonnés, livrés à eux-mêmes.

Comment, selon vous, pourrait-on améliorer la situation du Liban ?

Si la jeunesse en avait les moyens, elle remettrait dans les mains du pays tout ce qui est lié aux besoins de base de la population. Nous veillerions à ce que le gouvernement offre les moyens de vivre à son peuple. De la nourriture, des hôpitaux, des médicaments. Ce que je ferais en premier lieu, si j’avais les rênes du pays, c’est travailler à l’amélioration des écoles et universités publiques. Les enfants passent 15 années de leur vie à l’école ! Ils y grandissent et elle doit être un environnement sain, où ils peuvent s’épanouir, se cultiver, pour devenir enfin de formidables citoyens. Alors, ils n’auront plus besoin de Ghia, plus besoin de DPNA ou de qui que ce soit, car ils seront indépendants. Ils sauront comment conduire un Liban heureux et prospère.

« Je suis convaincue de la force de la solidarité. Mon engagement à DPNA a fait renaître en moi l’espoir en des jours meilleurs. »

Vous gardez donc espoir en un changement positif pour votre pays ?

Oui ! Même si ça ne se fera pas tout de suite. Les plus âgés d’entre nous sont fatigués car ils ont beaucoup souffert. Ils se sont sentis abandonnés. Mais la jeune génération a de l’énergie. Je sens en elle la détermination de changer les choses. Si nous nous unissons, tout ira mieux au Liban. Je suis convaincue de la force et de l’importance de la solidarité. J’ai pris conscience que malgré tous les obstacles, quand on parle d’une seule voix, on peut faire progresser les choses. Il y a toujours un chemin. Mon engagement à DPNA a fait renaître en moi l’espoir en des jours meilleurs. Si les valeurs que défendent DPNA et le Secours populaire étaient plus partagées, le monde serait un meilleur endroit ou vivre.


EN BREF

Le Secours populaire et le Liban

Le Secours populaire apporte la solidarité au Liban depuis les années 70. Depuis vingt années, c’est en partenariat avec DPNA (Association pour le Développement de l’Homme et de la Nature) que cette solidarité s’exprime. Les explosions du port de Beyrouth, survenues le 4 août 2020,  ont accéléré les effets des crises multiples qui rongent le pays. Avec le soutien du Secours populaire, les bénévoles de DPNA se sont mobilisés dans les heures qui ont suivi pour apporter une aide d’urgence aux sinistrés. Trois ans plus tard, dans les régions de Beyrouth, Saïda et Tripoli, ce sont plus de 100 000 personnes vulnérables qui ont été accompagnées par DPNA sur le plan alimentaire en partenariat avec le Secours populaire. Aujourd’hui, un programme global commun se met en place à Saïda en direction des familles pauvres. Il vise à permettre aux enfants de suivre leur scolarité et aux parents de vivre de leur travail, tout en assurant une aide alimentaire d’urgence.

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