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« Coûte que coûte, nous maintenons notre présence à Gaza. »

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Malaak, soignante de PMRS, spécialiste en santé féminine, échange avec une patiente.
Malaak, soignante de PMRS, spécialiste en santé féminine, échange avec une patiente. ©Victorine Alisse/SPF

Le 7 octobre 2023 a enclenché une nouvelle escalade des violences au Proche-Orient. Les équipes de PMRS (Palestinian Medical Relief Society), organisation médicale et partenaire du Secours populaire sur les territoires palestiniens, redoublent d’efforts pour apporter à la population un accès aux soins. Dans le sud du Liban, les volontaires de notre partenaire libanais DPNA sont également mobilisés. Le Docteur Ayed Yaghi est le directeur pour la bande de Gaza de PMRS. Depuis ce 7 octobre et les attaques qui ravagent Gaza, ses équipes médicales, professionnelles et volontaires, sont au plus près des populations civiles. Car ce sont elles qui paient le tribut catastrophique du conflit. Plus de la moitié des établissements sanitaires et hospitaliers de la bande sont hors service, les pénuries en médicaments et en réserves de sang entravent tout travail de soin, dans un contexte où l’électricité, la nourriture et l’eau sont devenues des denrées inaccessibles pour la plupart des Gazaouis. Au cœur de ce chaos, les équipes de PMRS poursuivent, opiniâtrement, leur travail. Elles savent pouvoir compter sur le soutien du Secours populaire, qui a déjà débloqué une première aide de 100 000 € depuis son fonds d’urgence solidaire. Le 16 novembre au matin, le Docteur Ayed Yaghi fait un point sur la situation sanitaire et humanitaire dans la bande de Gaza et revient sur l’action de PMRS. Entretien.

Docteur Ayed Yaghi, où êtes-vous au moment où nous nous parlons ?

A l’instant, je me trouve à Khan Younis. Nous ne pouvons plus accéder à aucun autre bureau de PMRS, c’est devenu impossible. Nos centres de soins de santé primaire ne sont plus accessibles car il sont cernés de chars israéliens. Nous disposons également d’un centre de rééducation infantile et de physiothérapie à Khan Younis mais c’est devenu également trop dangereux, on ne peut plus y accéder. Il y a des zones entières qui sont détruites. Nous parvenons à maintenir à Khan Younis nos bureaux car il y a une connexion internet, même si elle est très faible. Nous n’avons plus d’électricité, nous fonctionnons en repiquant l’énergie solaire du voisinage. C’est précaire, mais cela nous permet de continuer de coordonner le travail de nos équipes médicales. 

« Nous ne parvenons plus à nous repérer dans le temps. Les jours se confondent dans un même chaos. »

Où vos équipes sont-elles actives à Gaza ?

Nous sommes avant tout présents dans la zone nord de Gaza. A Jabalia, nous sommes toujours actifs, malgré des conditions très difficiles, notamment dues à la destruction des routes. Nous travaillons également dans la zone sud, autour de Khan Younis ainsi que dans la zone de Rafah. Nous couvrons toute la bande, sauf Gaza City. Dans la ville de Gaza, depuis le début de cette semaine, nous ne sommes plus en mesure d’assurer aucun de nos services. Ou peut-être est-ce depuis samedi, ou quelques jours auparavant… Nous ne parvenons plus à nous repérer dans le temps, tous les jours se ressemblent et nous sommes perdus. Les jours se confondent dans un même chaos. 

Combien de soignants de PMRS travaillent en ce moment ?

Environ 150. Nous sommes parvenus à retrouver le même nombre de soignants qu’au début de l’attaque. Entre temps, nos effectifs avaient beaucoup diminué, nous avons perdu le contact avec plusieurs dizaines de nos soignants. Nous avons embauché du nouveau personnel, avons mobilisé des volontaires et sommes revenus aux effectifs de départ. Je vous parle de docteurs et d’infirmiers mais aussi de psychologues et de travailleurs sociaux. Coûte que coûte, nous maintenons notre activité et notre présence à Gaza.

Comment se passe le travail des équipes de PMRS à Gaza depuis le 7 octobre dernier ?

Au début, l’essentiel de l’activité se concentrait dans nos centres de santé primaire, à Jabalia et, quand c’était encore possible, à Gaza City. Mais en même temps, nous avons développé un travail de proximité avec nos différentes équipes mobiles. Celui-ci se poursuit aujourd’hui. Il y a d’abord nos équipes de secouristes, qui se déplacent en ambulances et évacuent les blessés. Ces dernières sont très actives dans le nord de la bande de Gaza. Il y a ensuite nos petites équipes de terrain, constituées d’un médecin et une infirmière, qui vont à la rencontre des personnes dans les refuges et les camps et leur fournissent des soins de santé primaire, ainsi que les médicaments essentiels. Certaines de ces équipes de proximité sont spécialisées dans la santé des femmes. Elles visitent dans les camps les femmes enceintes, ou celles qui viennent de donner naissance à un enfant. Quand les personnes y vivaient encore, ces équipes allaient les voir dans leurs maisons. Enfin, de petites équipes sont chargées de faire le suivi des personnes blessées. Car les blessés ne restent pas à l’hôpital. Dès qu’ils sont soignés, ils en sortent pour libérer de la place pour d’autres blessés, qui arrivent sans cesse… Enfin, nous avons mis en place des équipes spéciales chargées de répondre au appels téléphoniques et aux SMS des patients en cas d’urgence. Les pharmacies sont fermées, les centres de santé sont fermés, parfois ils n’ont plus que nous. Alors nous allons les voir, nous leur apportons leurs médicaments, parfois du matériel comme des fauteuils roulants, des déambulateurs, des matelas… Nous pouvons aussi fournir des kits de produits d’hygiène ou du lait pour les bébés. Nous sommes à leurs côtés…

« Il arrive que les membres de PMRS pleurent avec les victimes. »

Comment vous approvisionnez-vous ?

Jusqu’à il y a une semaine, nous nous approvisionnions sur le marché local. Dès le premier jour de l’attaque israélienne, nous avons pris contact avec nos fournisseurs et nous leur avons demandé de nous fournir en médicaments et consommables. Nous avons de bonnes relations avec eux, ils nous font confiance, nous les paierons plus tard. Mais le problème auquel nous sommes confrontés depuis une semaine, c’est que notre stock se trouve dans la ville de Gaza et que nous ne pouvons pas y entrer.

Dans une situation si difficile, quel est l’état d’esprit de vos équipes ?

Leur état émotionnel est de pire en pire. Nous travaillons au sein d’une organisation humanitaire, notre mission est de rester aux côtés des victimes et de le soutenir. Nous donnons le meilleur de nous-mêmes. Mais les travailleurs humanitaires eux-mêmes ont besoin de soutien ! Il arrive que les membres de PMRS pleurent avec les victimes. La situation est… je ne parviens pas à trouver les mots. Il n’y a pas de mots. Moi-même, j’ai craqué. Plusieurs fois. Je me souviens d’un homme qui m’a arrêté dans la rue. Il avait vu le logo de PMRS sur mon gilet. Sa fille de 12 ans souffre de diabète de type 1 et n’avait plus de traitement. Cet homme m’a demandé de l’aider mais je ne pouvais rien faire : les médicaments dont avait besoin son enfant étaient bloqués à Gaza City. J’étais en état de choc : je ne pouvais rien faire. Rien faire. J’ai pris son nom et son adresse. Je n’ai depuis cessé de penser à lui, impuissant. C’est terrible, quand on est médecin, de ne pas pouvoir soigner quelqu’un. 

« C’est le retour de notre souffrance – je veux dire, de notre souffrance quotidienne. »

Le quotidien des Gazaouis, c’est de survivre ?

Les gens consacrent leurs journées à rechercher, pour leur famille, de quoi boire et manger. La nourriture manque à présent. Je passe mes journées à travailler pour PMRS. J’ai de la chance car j’ai mon frère près de moi. Il passe un jour entier à chercher de l’eau et le lendemain, une autre journée pour trouver du pain, un peu de nourriture. Dans nos maisons, nous n’avons plus d’électricité. Internet, c’est très aléatoire. C’est le retour de notre souffrance – je veux dire, de notre souffrance quotidienne. Ceux qui souffrent le plus sont ceux qui vivent dans les camps. Là encore, je ne peux trouver les mots. Les gens s’y entassent, ils sont trop nombreux dans un espace bien trop petit. Les camps de l’ONU sont prévus pour 1000 personnes mais en ce moment, ils accueillent jusqu’à 25 000 personnes. Pour aller aux toilettes, vous devez faire la queue durant des heures… La dignité est devenue impossible. C’est un calvaire, d’autant plus qu’il n’y a, dans certains camps, plus d’eau potable. L’hiver a commencé, et les premières pluies sont tombées hier.

Qu’en est-il des enfants ?

Ce dont ils souffrent le plus, c’est du manque d’eau. Ils développent des diarrhées, des maladies de peau, à cause du manque d’hygiène. Et ils ne mangent pas assez. Cela fait 40 jours qu’ils ne mangent pas à leur faim et ils commencent à souffrir de graves carences nutritives. Les bébés manquent de lait, manquent de couches. Il y a une pénurie de tout, ici, à Gaza.

Quelle est la plus urgente des urgences, dans une telle situation ?

Ce que les gens attendent et demandent désespérément, c’est que cette tuerie s’arrête. Il faut un cessez-le-feu. Maintenant. Parce que nous ne savons pas ce qu’il va se passer demain, ni même dans une heure. Les gens craignent de revivre une nouvelle Nakbah. Ils sont partis de leurs maisons sans rien, sans même quelques vêtements de rechange, car ils sont eu peur, ils pensaient que ce ne serait que pour quelques heures, éventuellement quelques jours. Mais cela dure depuis 40 jours. La priorité absolue est la protection de la population civile, maintenant. Imaginez que le cessez-le-feu soit conclu aujourd’hui : il faudrait au minimum deux années pour reconstruire Gaza. La moitié des maisons de Gaza City ont été détruites, la moitié des infrastructures de Gaza City et de Jabalia ont été détruites. Je vais vous dire de manière extrême : ce n’est pas de médicaments, de nourriture ou d’eau dont nous avons besoin à cet instant. C’est que cette tuerie d’arrête. 

Les cliniques mobiles de PMRS sont présentes sur tout les territoires palestiniens. ©Victorine Alisse/SPF

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