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Comment gérer l’ingérable?

Mis à jour le par Anne-Marie Cousin
Régulièrement les bénévoles reçoivent des personnes ayant des difficultés financières. Leur rôle : accompagner et orienter au mieux.

Des fins de mois difficiles au surendettement, il n’y a souvent qu’un pas. Aujourd’hui, des millions de français connaissent ce que les médias appellent des problèmes d’argent. Mais comment gérer son argent quand le 15 du mois son porte monnaie est vide ? Dans les permanences d’accueil ou dans celles dédiées aux questions juridiques, les bénévoles du SPF accompagnent ces familles pour qui, bien souvent, il est déjà trop tard.  

« Ne plus faire faire face à ses créances est une situation que vivent beaucoup de familles que nous accompagnons. Les accidents de la vie font très vite basculer… une perte d’emploi, un divorce, une maladie suffisent à plonger des familles entières dans des situations extrêmes. » C’est ainsi que José Vega, responsable de la permanence d’information juridique du SPF de Toulouse résume la situation des personnes qui franchissent les portes de l’association et qui connaissent des difficultés financières. Néanmoins, il tient à souligner que celles-ci vivent des situations bien différentes avec toutefois un point commun, vivre avec trop peu d’argent pour faire face à toutes les dépenses de la vie courante. Le rôle des bénévoles de cette permanence est de les aider au mieux, sans jamais les juger. Une étude attentive de tous les documents fournis par les familles permet d’établir ce que l’on appelle un diagnostic. Souvent, la peur et l’angoisse conduisent certaines personnes à vouloir constituer un dossier de surendettement alors que d’autres solutions sont possibles et plus adaptées à leur situation. Les artisans et commerçants peuvent par exemple s’adresser aux Chambres de commerce et d’industrie ou bien faire appel à du micro-crédit. Les points conseil budget de la Banque de France offrent également la possibilité à certaines personnes d’obtenir des prêts d’honneur allant jusqu’à 2000 euros, ce qui parfois est suffisant pour faire face à une difficulté passagère.

Faire une demande de surendettement auprès de la Banque de France ne concerne donc pas tout le monde ; seules les personnes ayant de lourdes dettes sont ciblées. La Banque de France définit elle-même le surendettement de cette façon : « La situation de surendettement est caractérisée par l’impossibilité manifeste de faire face à l’ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir. » Des situations extrêmes comme le souligne José Véga : « Les familles pour lesquelles nous constituons des dossiers de surendettement ont bien souvent plusieurs milliers de dettes. Nous les accompagnons pour constituer leurs dossiers, beaucoup de pièces sont demandées et surtout une lettre de motivation que nous rédigeons avec eux. » En 2019, 81 000 dossiers de surendettement ont été déposés à la Banque de France pour un montant moyen d’endettement de 16 384 euros. Un chiffre en baisse de 12 % depuis dix ans mais qui reste néanmoins encore important. Un bilan positif qui s’explique par la mise en place de différentes mesures de protection des consommateurs, comme les lois Lagarde (juillet 2010) et Hamon (juillet 2014) qui obligent les banques à vérifier la solvabilité des demandeurs de crédits. Mais qui est concerné par le surendettement ? Majoritairement, des femmes (55%) seules ou divorcées. Moins de 47% des personnes en surendettement vivent en couple par exemple. Et un foyer monoparental sur cinq a de graves difficultés financières. 56 % des personnes surendettées vivent dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur à 1063 euros qui est le seuil de pauvreté. Ce que constatent les bénévoles du Secours populaire, c’est effectivement que le lien entre seuil de pauvreté et endettement est réel, et que nombre de personnes en grande difficulté tentent de survivre en prenant des crédits ou en reculant certaines échéances. En effet, comment vivre avec si peu ? Dans son ouvrage intitulé Où va l’argent des pauvres, le sociologue Denis Colombani nous explique que « gérer un budget en situation de pauvreté, ce n’est pas seulement faire attention, ou se dire qu’on se paiera ça le mois prochain ou que l’on aura quelque chose à fêter. La logique de la pauvreté, c’est celle du sacrifice permanent. » Cette triste réalité, Christine Ermacorra du comité de Saint-Cyr-l’Ecole dans les Yvelines y est confrontée à chacune de ses permanences. Nombreuses sont les personnes qui prennent un second crédit pour rembourser le premier crédit ou qui empruntent de l’argent à leur famille quand c’est possible. « Dans nos permanences, nous rencontrons des personnes pour qui un dossier de surendettement est impératif, mais aussi beaucoup d’autres qui sont à la limite mais pour qui c’est tout aussi grave. Avoir 2000 euros de dettes avec des revenus de 650 euros, c’est juste impossible à gérer ». Autre constat : bien trop souvent, les personnes demandent conseil quand il est déjà trop tard. Elles mettent les lettres de relances, de créances et de rappels de côté. Alors qu’un rendez-vous avec une assistance sociale ou un juriste dans une permanence d’accueil du SPF aurait permis par exemple d’obtenir un échéancier. « La honte et la peur d’être jugé est souvent une des causes de ce déni de la réalité », précise Christine Ermacorra.

 

Mais peut-on en permanence se priver de tout? Certainement pas. C’est d’ailleurs pour cette raison que Madame S. de Toulouse a vu sa situation se dégrader en quelques mois. A la retraite depuis 4 ans, mais avec seulement le minimum vieillesse pour vivre, elle a quand même décidé d’aller chez le dentiste pour des soins. « Je voulais pouvoir sourire, sans avoir honte ». Pour réaliser son rêve, elle fait ses calculs, et se dit qu’en faisant attention et en essayant de planifier certaines dépenses, cela serait possible. Mais très vite, la réalité reprend le dessus et des dépenses imprévues viennent tout remettre en question. Un rappel d’impayés de la CAF et tout s’écroule. Des loyers de retard, des factures que l’on met de côté et en quelques mois ce sont plus de 15 000 euros de dettes qui s’accumulent. « Ce que l’on ne sait pas », nous explique-t-elle, « c’est qu’après trois loyers de retard, on ne touche plus les APL. Tous les mois, je devais 950 euros de loyer au lieu de 200 lorsque je touchais les aides de la CAF. Et le montant augmente très vite et on se retrouve complètement dépassé. » En mars dernier, son dossier a été accepté par la Banque de France et ses dettes ont été effacées. Elle se sent libérée mais a conscience de la fragilité de sa situation. Elle avoue compter en permanence ce qu’elle a sur son compte. Une situation que résume ainsi Denis Colombani : « Pour les bas revenus, chaque euro compte parce que chaque euro qui manque coûte cher ». En quatre ans, les bénévoles de cette permanence ont instruit 18 dossiers de surendettement, dont 13 ont été acceptés. Un tiers de ces personnes continuent d’ailleurs à être aidées et accompagnées par l’association. Une aide précieuse et indispensable qui va certainement prendre une toute autre dimension, au vu de l’impact économique et social de la crise sanitaire qui perdure dans notre pays. Sans faire preuve de pessimisme excessif, on peut craindre que la crise sanitaire ne soit suivie d’une crise de l’endettement et du surendettement, qui risque de se traduire par une hausse des dépôts de dossiers. Les mesures de chômage partiel, même si elles ont permis un maintien de revenus, ont vu ces derniers amputés de 15 à 20 %. Cette baisse des revenus est également mise en lumière par le 14ème baromètre IPSOS/SPF, avec un français sur trois qui exprime une baisse de ses revenus. Dans le même temps, les organismes de crédit à la consommation s’inquiètent de la solvabilité de leurs clients. Selon une étude publiée par la société Algoan en septembre dernier, sur un échantillon de 40 000 personnes ayant souscrit un crédit à la consommation entre 2018 et 2019, le nombre de reports des mensualités atteignait presque 10 000 par jour depuis le mois d’avril. Auxiliaire de vie dans le Val-d’Oise, Christine Michel a vu ses revenus chuter brutalement avec la crise sanitaire. Moins d’heures et moins de sollicitations, elle a perdu presque la moitié de son salaire.  Sa priorité, tout faire pour continuer à payer son loyer. « Mon angoisse est de me retrouver à la rue avec mes deux filles. Pour ça, j’ai dû faire des choix, j’ai mis en attente des factures. Je sais qu’il faudra bien les payer mais aujourd’hui, c’est impossible. » Comme elle, des milliers d’hommes et de femmes de notre pays sont touchés par cette crise sanitaire qui s’accompagne aujourd’hui d’une crise sociale et économique.

Baisse des revenus, précarité en augmentation, inquiétude des organismes de crédit : autant de facteurs qui laissent à penser que la baisse constante, depuis ces dix dernières années, du nombre de personnes surendettées, ou en très grande difficulté financière, risque de repartir à la hausse d’ici les prochains mois.

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