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La retraitée et le réfugié sont devenus inséparables

Mis à jour le par Olivier Vilain
Une belle amitié est née. Cathy a hébergé Adam pendant dix mois, à partir du 1er confinement.

Pendant les différents confinements, Cathy, retraitée, a hébergé dans son pavillon de Bègles Adam, alors demandeur d’asile. Ils sont devenus inséparables. Ils ont tiré de leur histoire un livre qui offre une bouffée d’humanité pour la journée mondiale des réfugiés, ce 20 juin.

Printemps 2020, Cathy, alors 64 ans, est penchée sur sa machine à coudre. Les personnels non soignants de l’hôpital de Centujean, à un kilomètre de là, lui ont demandé de confectionner des masques pour les protéger du virus Covid-19, alors que l’épidémie fait rage. Pour Cathy, il est hors de question de passer cette première vague en restant les bras croisés quand d’autres risquent leur vie. Alors, assise dans son salon, dans le coin le plus proche de la cuisine, elle taille le plus de masques possible – sans s’arrêter.

Installé chez elle depuis mars 2020, Adam sort de sa chambre qui donne sur le salon et voit la jeune retraitée, de dos, s’afférer. Le jeune homme de 21 ans lui propose de l’aider. Cathy lui fait de la place ; et là, c’est la surprise : non seulement il prend le coup de main de suite, mais en plus « il faisait dix masques le temps que j’en termine un seul », s’amuse encore Cathy, un an après.

Les deux "colocataires" se sont découvert des points communs inattendus, dont celui d'un espoir en un avenir meilleur.

Les deux « colocataires » se sont découvert des points communs inattendus. Avant même de se connaitre, ils nourrissaient l’espoir en un avenir meilleur.


 

 

 

« C’est à ce moment-là que je lui ai dit que j’avais été apprenti-tailleur à partir de 12 ans. J’allais après l’école dans un atelier près du marché », dit le jeune homme qui a fui le Tchad par peur de la répression. Adam Ahmat-Ali a toujours été scolarisé, mais a occupé en parallèle des petits boulots dans le secteur informel pour aider sa mère qui a dû s’occuper seule de ses quatre enfants. « Je lui ai raconté qu’à 6 ans, j’étais vendeur ambulant de cubes Maggi et de poches en plastiques sur le marché, Cathy a été beaucoup émue », raconte Adam.

Né dans le sud-est du Tchad, il y a 22 ans, le jeune homme a fui un quotidien proche de la misère. « J’allais à l’école avec de vieux vêtements, parfois sans chaussures et j’emportai le matin une galette et du sucre pour le midi. » Une fois à l’université de droit de N’Djamena, il a animé un mouvement étudiant critique à l’égard du régime allié de la France. Après des manifestations contre la « vie chère », lui et ses amis ont été incarcérés, puis ont subi une intimidation permanente de la part de la police. « Cela allait mal finir, ma vie était menacée. Je me suis décidé à partir. »

La rue, les squats et les hébergements d’urgence

Le 23 septembre 2019, il atterrit à Orly. Puis, ayant entendu dire qu’il y avait des compatriotes susceptibles de l’aider à Bordeaux, il descend en bus vers la ville qui s’est enrichie en exportant ses vins, mais aussi avec la traite d’esclaves, appelée aussi « commerce triangulaire ». Avec pour tout bagage un sac et son téléphone portable, il recherche des associations pour s’occuper et devient bénévole au Secours populaire. Toute la journée, il fait la ramasse des invendus alimentaires avec d’autres bénévoles. Il s’occupe des stocks de nourriture, assure des livraisons… Mais, le soir venu, il retourne dormir dans des cartons, d’abord au dépôt de bus, gare Saint-Jean, puis au marché des Capucins. « Au cours de la journée, je repérais des machines dégageant de la chaleur, des endroits où dormir. »

Cathy a hébergé Adam, demandeur d'asile, pendant le confinement. Au total, ils ont passé dix mois ensemble.

Vidéo. Cliquez sur l’image pour voir Cathy et Adam faire le bilan des dix mois passés ensemble. Ils sont convaincus de la nécessité de résoudre la  »crise de l’accueil ».


Pendant des semaines, il ne dit rien aux autres membres du Secours populaire. Mais bientôt il se lie avec plusieurs, en particulier avec Vincent, le fils de Cathy : « Il est vraiment de bonne compagnie. » « Bon, quand on a appris sa situation, ça nous serrait le cœur de le voir partir le soir », dit ce dernier, l’air pensif. Très vite, les bénévoles assurent un roulement. Adam va dormir chez les uns, puis chez les autres, entre deux places en foyer d’hébergement : « Heureusement, car la rue, c’est violent et dangereux », confie Adam dans un frisson. Invité à déjeuner, il fait la connaissance de la famille de Vincent. Jusqu’à l’annonce du confinement, début mars. « Là, j’ai tout de suite proposé à ma mère de l’héberger. Adam a tout de suite été d’accord. Il ne se voyait pas passer des mois dans une chambre avec sept inconnus », raconte Vincent, assis près de la bibliothèque sur laquelle les photos de famille sont disséminées entre la poésie d’Aragon et les œuvres reliées de Jean Jaurès.  

Un hébergement, des échanges

« J’avais perdu mon mari un mois avant le confinement et, avec ma sclérose en plaque, j’appréhendais de rester isolée pour un temps indéfini », se rappelle l’ancienne petite main de la Manufacture des tabacs de Bordeaux, qui marche avec l’aide d’une canne. A 65 ans, elle dégage une sacrée joie de vivre malgré les coups durs : la fermeture de son usine, sa reconversion à la mairie, sa maladie et le décès de Pierrot, son mari.  Elle a ouvert à Adam les portes de son « pavillon Phénix, construit à la fin des années 1980 », bordé par un petit jardin. « Le pauvre Adam, à peine arrivé en France, il est confiné avec une grand-mère », s’amuse Cathy, qui jette un coup d’œil complice à Adam, qui rit de bon cœur.

Les deux se sont soutenus pendant le premier confinement, puis pendant les couvre-feux. La vie à deux s’est vite organisée. Ils discutent beaucoup ; se racontent leur vie. Elle lui fait découvrir la cuisine française. Il assure une partie des tâches domestiques. Le soir venu, un rituel a été instauré : « On passait en revue des classiques de la culture populaire française : les Tontons flingueurs, les vieux films avec Belmondo, Amélie Poulain… » Et les deux mois de présence se sont transformés en dix mois et en de nombreux fous-rires. Dans le département, d’autres bénévoles vivent le même genre d’expérience que Cathy et Adam.

Confiné dans la solidarité

En accueillant Adam, l’ancienne déléguée CGT a pallié une carence collective. « Nous vivons pourtant dans un pays riche et une terre d’accueil », souligne la sexagénaire. Les traités internationaux font de l’accueil des exilés une obligation au regard de la dignité humaine. Le souvenir des luttes syndicales, l’entraide entre voisins et l’espoir partagé d’une vie meilleure font que Bègles est restée une commune ouvrière même après la disparition de ses industries. « On a d’abord accueilli des Républicains espagnols après la victoire de Franco et longtemps après des enfants palestiniens pour les vacances », observe la jeune retraitée. « Les migrants ne demandent qu’à se bâtir, dans la dignité, une vie meilleure », affirme Adam, d’un ton montrant que cette idée ne l’a jamais quitté.


Les pays européens ont restreint drastiquement l’accès à leurs territoires et aux procédures d’asile. Mais les jeunes sont poussés par la nécessité.

Tomáš Bocek, représentant spécial du secrétaire général du Conseil de l’Europe sur les migrations et les réfugiés (archive 2018)


Vincent connait bien les squats des environs de Bordeaux où vont se protéger les jeunes migrants, quand ils ne dorment pas le long des quais de la Garonne. « On se détourne de ces jeunes, qui désirent juste un avenir meilleur ici à défaut de pouvoir le construire là-bas, au nom de la fantasmagorie de ‘‘l’appel d’air’’ », râle Vincent. En effet, confirme le démographe François Héran, lors de l’une de ses nombreuses conférences au Collège de France, qui font référence sur le sujet des migrations : « ‘‘L’appel d’air’’ est sans cesse invoqué dans le débat public mais aucun démographe ne l’a jamais observé nulle part, ni même théorisé. » Bref,  »l’appel d’air » c’est du vent…

Etudiant et toujours bénévole au Secours pop

Aujourd’hui, Adam a obtenu son statut de réfugié. Il a une chambre universitaire et poursuit ses études, tout en militant au sein d’un syndicat étudiant. « Je trouve encore le temps d’être bénévole au Secours populaire. » Après dix mois de « colocation », ces deux-là sont devenus inséparables. « La rencontre avec Cathy, c’est comme un rêve. J’ai retrouvé une maison, une famille et Cathy est devenue ma seconde maman », dit-il. « C’est devenu un membre de la famille », répondent Cathy et Vincent. De leur expérience est né un livre (voir encadré). En ce début d’été 2021, ils entament les séances de dédicaces dans une librairie de Soulac-sur-Mer. « Il y a un an j’étais dans mon pays. Maintenant, j’ai fait un livre et des dédicaces », rigole Adam.

Ils présentent désormais, de dédicaces en dédicaces, le livre qu'ils ont écrit, avec Vincent le fils de Cathy, sur leur belle histoire.

Cathy & Adam, « notre solidarité n’a jamais été confinée »*

Les deux ‘‘colocataires’’ ont forgé une amitié dont est sorti un livre témoignant de ce qu’un accueil digne permet l’enrichissement émotionnel et culturel aussi bien de la veuve indignée et de l’étudiant demandeur d’asile. Ecrit avec l’aide de Vincent, le fils de Cathy, un ancien journaliste, ce livre témoigne de ce que « l’exil, le deuil et le confinement » peuvent être surpassés. Les trois auteurs présentent désormais, de dédicaces en dédicaces, leur belle histoire. 

(*disponible auprès de la fédération de Gironde du Secours populaire)

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