Protéger

  • Conflits

Azaam, Nawal : paroles de Gaza

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Azaam a 41 ans. Il coordonne les équipes de PMRS dans la région de Deir Al-Balah.
Azaam a 41 ans. Il coordonne les équipes de PMRS dans la région de Deir Al-Balah.

Depuis le 7 octobre et les terribles attentats terroristes du Hamas, la population de Gaza essuie un déluge de violence. Sur place, le partenaire du Secours populaire, PMRS (le Secours médical palestinien), n’a jamais relâché ses efforts : aux familles, il offre soins d’urgence, consultations médicales, soutien psychologique. Dans des territoires en ruines, les soignants de PMRS sont une main tendue, une source fragile de lumière et d’espoir.
 Nous donnions le 2 juillet la parole à deux témoins, Deema et Bassam. Aujourd’hui, ce sont Azaam et Nawal qui se confient. Nous leur ouvrons nos colonnes pour écouter et partager une souffrance. C’est le signe que le fil qui nous relie n’est pas coupé, que nous appartenons à la même humanité. Ces deux voix qui s’élèvent sont une invitation à ne pas détourner les yeux et à agir – cela est possible, en faisant un don au Secours populaire pour soutenir l’action de PMRS.

Azaam, 41 ans
Coordinateur des équipes de PMRS à Deir Al-Balah 

« Nous avons reçu un appel des forces d’occupation israéliennes à l’aube du 13 octobre 2023, nous ordonnant de quitter la ville de Gaza pour nous rendre dans le sud de la bande de Gaza, qu’elles nous assuraient être une zone sûre. Nous avons tout laissé derrière nous pour échapper à une agression qui a totalement bouleversé nos vies. Nous sommes à présent sur la route, manquant de tout. Quitter nos foyers nous a déchiré le cœur. Ma famille et moi sommes hébergés par des proches – nous vivons à 40 personnes dans un appartement de la région de Deir Al-Balah. Mais nous ne nous y sommes jamais sentis en sécurité. Les attaques contre les maisons voisines ne cessent jamais. Je ne peux décrire la terreur dans laquelle nous vivons pendant ces attaques, en particulier les enfants. Il nous faut jour après jour lutter pour obtenir de l’eau et de la nourriture, trouver du bois de chauffage. Je vous parle là d’une vie qui est à peine une vie.

Avec mes collègues de PMRS, déplacés comme moi à Deir Al-Balah, nous avons formé des équipes de terrain pour apporter des soins médicaux et psychologiques aux personnes réfugiées dans les camps. Ce qu’elles vivent n’est pas imaginable : ce ne sont qu’épreuves et privations. Dans des tentes surpeuplées, elles survivent dans des conditions désastreuses, dans un total dénuement. Les déchets et les eaux usées s’accumulent entre les tentes, provoquant la propagation d’épidémies et de maladies. Elles sont épuisées par la faim : la nourriture est rare et son prix exorbitant. Tout cela dans un contexte où il est quasi impossible de trouver un emploi. Quant à ceux qui travaillent, ils ne perçoivent plus leurs salaires car les banques sont fermées ou manquent de liquidités. Le stress psychologique et le sentiment de frustration de la population ont profondément abîmé la société palestinienne. Malgré tout, les gens restent et font face.

Quand vient l’aube, chaque jour, nos équipes de terrain partent, chargées de médicaments et de matériel médical, soigner les personnes réfugiées dans les abris et les camps. Elles marchent de longues distances sur des routes accidentées et dans des zones surpeuplées. Elles leur offrent des consultations médicales, leur administrent des traitements et assurent le suivi des blessures. Elles distribuent de la nourriture, des produits d’hygiène, du lait infantile. Elles apportent aussi un soutien psychologique. Nos animatrices et animateurs organisent des activités récréatives à l’intention des enfants qui sont confrontés à une pression psychologique inhumaine.

Azaam, en juin 2024, dans le camp de Ard Al Ghusen. Al Zawaida, Deir Al-Balah. ©PMRS/SPF

En tant que coordinateur, je suis responsable de ces équipes de terrain. Je ressens pour elles une grande angoisse qui ne s’apaise qu’à leur retour, le soir, quand je les sais sains et saufs. Tout au long de la journée, je reste en contact avec elles tant que je le peux. Nous sommes témoins, dans les camps de réfugiés, d’innombrables histoires douloureuses, difficiles à imaginer, impossibles à oublier. Je suis hanté par le souvenir d’un homme qui nous a suppliés d’appeler notre psychologue car il devait informer sa nièce, une fillette de 10 ans, que tous les membres de sa famille avaient été tués et qu’elle était la seule survivante. Elle n’avait cessé de pleurer et de les réclamer. La psychologue a eu beaucoup de mal à lui annoncer la nouvelle, car elle craignait que cela n’aggrave l’état de santé de la fillette, soignée à l’hôpital pour une blessure qui avait failli lui coûter la vie.

Les enfants de Gaza vont mal. Privés de leur enfance, ils sont confrontés quotidiennement aux tueries, à la peur, à l’horreur et aux privations. Ils souffrent de dépression et sont traumatisés. Ils ont été contraints d’abandonner leur innocence et d’assumer des responsabilités d’adultes au détriment de leur droit à jouer et à apprendre. Ils portent de lourds fardeaux, comme la responsabilité de l’approvisionnement en eau, la collecte de bois de chauffage, les heures de queue pour obtenir du pain. Ils sont frappés de plein fouet par le drame de la guerre. La fermeture des points de passage, la pauvreté et la pénurie en médicaments et matériel médical entraînent des conditions sanitaires catastrophiques, dont les enfants souffrent particulièrement. Il s’agit notamment de cas généralisés de gastro-entérite, d’infections respiratoires, de diverses maladies de la peau et de malnutrition. 

Partout, il y a de la douleur, partout de la désolation. Les gens ont désespérément besoin qu’on soigne leurs blessures, qu’on soulage leur peine. C’est ce que nous, équipes de PMRS, tentons de faire. Malgré les obstacles, les difficultés et les dangers que nous rencontrons dans l’exercice quotidien de notre mission, celle-ci nous apporte du réconfort et, parfois même, de la joie. Malgré la destruction, le désespoir et l’absence de solution politique, nous restons convaincus que cette tuerie prendra fin et qu’un jour nous reviendrons dans notre belle ville de Gaza. Nous méritons de vivre et, grâce aux efforts et à la détermination de ses enfants, Gaza reviendra encore plus belle qu’avant. » [Juin 2024]

Nawal, 76 ans
Habitante de Gaza City réfugiée à Rafah

« Ma maison de Gaza me manque, mon quartier d’Al-Remal me manque. Je ne rêve que d’une chose : y retourner. Je vis avec ma famille dans cette pièce surpeuplée, ici à Rafah, où nous avons fui. Nous sommes dix. Quand c’est trop dur, je ferme les yeux et je vois mon citronnier, mon oranger, mon dattier. Mes plantes en pot que j’ai disposées sur les escaliers de pierre. Je sens le parfum de mes fleurs. Mon jardin me manque et la mer aussi. Chaque matin, au lever du soleil, je faisais ma promenade et allais jusqu’à la mer. Le médecin me le dit, et ma fille aussi : la marche est bonne pour mon diabète et mon hypertension. Mais il y a eu la nuit du 20 octobre, quand le quartier a été bombardé. Tout a été dévasté. J’ai cru mourir mille fois cette nuit-là. Les vitres se brisaient, les bombes tombaient partout. Nous avons prié Dieu à chaque instant pour qu’il nous protège et, quand est arrivée l’aube, nous avons fait nos bagages et quitté la maison en pleurant, comme l’ont fait tous nos voisins. Nous avons d’abord trouvé refuge sous une tente d’un camp de l’Unrwa (agence onusienne pour les réfugiés palestiniens) à Khan Younès. Nous avons commencé à avoir faim, et je n’ai plus trouvé les fruits et les légumes indispensables à ma santé. Je suis tombée dans le coma et me suis ouvert la tête. Bassam, le médecin de PMRS (le Secours médical palestinien) qui m’a sauvé la vie, m’a dit que c’était à cause du stress, du malheur et de la malnutrition. Il m’a pris dans ses bras, a rassuré mes deux filles, a séché leurs pleurs. Il est de Gaza City comme nous, il a fui comme nous vers le sud. Ma fille m’a dit qu’il avait passé des heures à trouver un anesthésiant pour me recoudre la tête. Depuis, je prie pour lui car il m’a sauvé la vie. Et parce que c’est l’une des personnes les plus gentilles, les plus dévouées que j’ai rencontrées. Au mois de janvier, il a fallu à nouveau fuir. Depuis, nous sommes à Rafah. Dans ce tout petit appartement. Je ne sors plus jamais, j’ai trop peur des bombes. C’est pour ça que je pense à mon jardin, à ma maison, à la mer. Cela fait trois mois que je n’ai pas vu un fruit. Je rêve de ça aussi. Tout est devenu trop cher avec la guerre, le prix des aliments a triplé. C’est notre vie à présent. Nous sommes épuisés de toute cette frustration, toute cette peur. Quand la guerre se terminera et qu’ils nous permettront de rentrer chez nous, nous le ferons. Notre maison n’a été détruite qu’à moitié. Cet espoir me donne le courage de continuer. » [Avril 2024]

(Depuis l’invasion et les bombardements de Rafah le 6 mai 2024, Nawal et sa famille sont remontés dans le centre de la bande de Gaza. Ils se sont aujourd’hui réfugiés dans le camp de Nuseirat, à 5 km de Deir Al-Balah.)

Les témoignages de Deema et Bassam, autres paroles de Gaza, sont à lire ici :

https://www.secourspopulaire.fr/deema-bassam-paroles-de-gaza/


Thématiques d’action

Campagne

Mots-clefs