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Saint-Malo : à l’abordage du bonheur

Mis à jour le par Olivier Vilain
Avec la crise Dounia a perdu son travail et Yamany n'a plus de mission d'intérim. Une journée pour souffler avec leurs enfants était indispensable.

« C’est une super surprise ce voyage », s’exclame Yamany, venu avec sa famille et 400 personnes aidées par le Secours populaire pour une ‘‘Journée bonheur’’ à Saint-Malo. Ces petites vacances constituent une parenthèse très attendue dans un quotidien bouleversé par la crise et la pandémie. REPORTAGE.

« Il est heureux là », dit Solène en regardant son fils aîné Ibrahim, 13 ans, saluer le train qui croise le TER affrété spécialement pour les 400 vacanciers invités par le Secours populaire pour une ‘‘Journée bonheur’’ à Saint-Malo (Ille-et-vilaine). Elles sont aidées par l’association tout au long de l’année à travers toute la Bretagne. Ibrahim est monté dans la cabine du conducteur SNCF à son invitation et a eu l’autorisation d’actionner la sirène du TER. « Déjà, le train c’est nouveau pour lui, mais alors ça c’est le bonheur ! », dit sa mère, émue.

Les enfants sont impatients. « Manger une glace à l’italienne, j’en ai très envie », confie Pedro, 10 ans, en sortant de la gare avec son frère Andre. Ils portent chacun une frite de bain, blanche avec des rayures jaunes et roses, qui se dandine au-dessus de leur tête à chaque pas qui les rapproche de la plage. Ils sont prêts à profiter de l’eau de la Manche.

Plage, glaces, manège, tout le monde est impatient d’arriver dans la cité corsaire

Solène aussi veut manger une glace avec ses trois enfants. Comme leur frère Ibrahim, Abir, 15 ans, et Khadija, 6 ans, racontent aussi leur hâte d’aller à la plage. Et aussi, comme le dit avec un grand sourire la plus petite, « de faire un tour » dans le manège belle époque posé entre la porte Saint-Vincent et le bassin où mouille L’Étoile du Roy, la réplique d’un trois-mâts du XVIIIe siècle, qui attire l’attention de tous les enfants.

La parenthèse de Saint-Malo a mis la famille de Neid de bonne humeur, après une année difficile. Pedro (au milieu) attendait avec impatience une glace à l'italienne.

La parenthèse de Saint-Malo a mis la famille de Neid de bonne humeur, après une année difficile. Pedro (au milieu) attendait avec impatience une glace à l’italienne.


Arrivée à sa hauteur, la file des familles longe la ligne des remparts en granit gris-bleu aimantée par l’entrée de la plage, qui les attend en contrebas. Andre court loin devant sa mère Neid et sa petite sœur de 2 ans, Isabelle, encore dans sa poussette. Son frère Pedro le rejoint. « Aujourd’hui, j’oublie tout, les soucis, tout ! », lance Neid, qui s’est réfugiée depuis 2016 en France, parce qu’en « Angola, c’est la dictature ». Elle est sans nouvelle de son mari depuis l’incarcération de ce dernier, il y a 5 ans : « C’est dur. »

La marée basse oblige les enfants à aller au loin se tremper les pieds, près d’un fort construit par Vauban pour défendre la cité corsaire. Tout en suivant les traces laissées sur le sable humide par les plus rapides, les petits font la chasse aux petits crabes. « Hé hé, j’en ai attrapé un », s’amuse Ibrahim. Pendant ce temps, les adultes s’installent, posant leurs serviettes aux pieds de la ligne de mâts de plus de 3 mètres de haut, plantés dans le sable pour briser les lames des grandes marées.

Un grand bol d’embruns et découverte des plaisirs du littoral malouin

Très vite, les familles font connaissance et certaines partagent leur repas, sous l’œil avide des mouettes qui les toisent. « Nous ne connaissions pas nos voisins mais ils nous ont donné une salade de riz, nous avons discuté, c’était agréable », indique Solène, encore surprise. « Et des gâteaux », ajoute sur un ton gourmand Abir, sa grande fille. « C’est une journée qui leur permet de découvrir le littoral, le train et la mer pour les plus jeunes, de sentir l’air iodé du large », explique Daniel, en charge du comité malouin du Secours populaire. Coup de chance, le soleil est au rendez-vous, après une semaine passée à jouer à cache-cache avec la pluie.

L’association organise des centaines de ‘‘Journées bonheur’’ de ce type cet été, alors que « les intentions de départ en vacances pour les six prochains mois sont (…) au plus bas », selon la dernière enquête réalisée par le Centre de recherche et d’observation des conditions de vie (CRÉDOC). En effet, 28 % des Français ne savent pas encore s’ils partiront en vacances, « un taux jamais constaté » ; auquel s’ajoute les 29 % de Français sûrs de ne pas partir de chez eux. Déjà, 2020 avait été une année record pour les non-départs. L’enquête montre que le principal obstacle, cette année encore, est constitué par les « difficultés financières » des ménages.

Dominique et venue avec deux amies. Elles sont ébahies par la beauté de la cité corsaire et ont déambulé avec plaisir dans les rues de granit noir-bleu.

Dominique et venue avec deux amies. Elles sont ébahies par la beauté de la cité corsaire et ont déambulé avec plaisir dans les rues de granit noir-bleu.


Pour les jeunes, l’absence de projets de départ est justifiée par la volonté de « préserver leur insertion professionnelle, malmenée par la crise ». Pour les personnes de plus de 70 ans, l’abandon de l’envie de voyage est lié à la « complexité de l’organisation des vacances » en raison de la pandémie et des règles sanitaires qui ne cessent d’évoluer. « Cette journée vient au bon moment », confirme Dominique, à la retraite. Attablée avec ses deux amies Sylvie et Nicole au Café de l’Ouest, place Châteaubriand, elles prennent leur temps, avant de déambuler dans les rues de granit de la cité corsaire, parsemées des terrasses de brasseries et de crêperies toutes très accueillantes.

« Avec mon compagnon, on a seulement réservé un petit mobil-home à la toute fin du mois d’août parce que ce n’est pas facile tous les jours avec une pension de 900 euros », indique l’ancienne ouvrière d’abattoir, dont la carrière a été écourtée à force de porter de lourdes charges, des gestes répétitifs et du rythme de la chaîne. « Tout est beau ici. C’est agréable. Nous nous sommes fait un petit programme de visites, qui passera par la cathédrale », dit celle-ci alors que virevoltent entre les tables les garçons de café vêtus de chemises et de tabliers blancs, qu’ornementent des bretelles d’un rouge éclatant.

« Aujourd’hui, j’oublie tout, les soucis, vraiment tout, tout, tout »

Cela tranche avec le confinement. « Ne pas pouvoir être libre, bien sûr, le moral en prend un coup et ça tend les relations à la maison », se rappelle-t-elle. La menace du virus a été une angoisse pour Neid, qui profite de la plage : « Si je tombais malade, qui allait s’occuper des enfants ? » Une angoisse que Pedro ressentait : « J’avais peur pour maman quand elle sortait faire les courses. » Non loin de là, Douria et Yamany ont été durement frappés par le coronavirus. « Je travaillais dans le nettoyage et j’ai été licencié en 2020 », dit Douria alors que son mari poursuit : « Je travaillais aussi dans le nettoyage mais en intérim. Je cherche du boulot mais je n’ai eu aucune mission depuis le premier confinement. »

De l’avis de tous, cette pause estivale et son souvenir va leur faire du bien durant tout l’été. Une pause bienvenue alors que le redémarrage de l’économie ne va pas résoudre par enchantement les difficultés des plus pauvres. Le dernier rapport du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion indique ainsi que le choc de la crise va continuer à fragiliser une grande partie des catégories populaires pendant longtemps.

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