Sondage exclusif : les Européens au bord du gouffre

Mis à jour le par Olivier Vilain
A la suite d'un séisme qui a ravagé le centre de l'Italie en 2017, le Secours populaire a financé des bibliothèques mobiles à la demande de son partenaire ARCI et des habitants.

Pour la première fois, le Secours populaire présente un sondage, réalisé par Ipsos, sur la pauvreté et la précarité dans six pays européens. Il a été réalisé en Allemagne, en Italie, en France, en Grèce, en Pologne et au Royaume-Uni : au fil des réponses, 6 000 personnes interrogées selon la méthode des quotas* dressent un portrait alarmant d’un continent bouleversé par la hausse des factures, entre privations et craintes de tomber dans le gouffre de la précarité.

Premier résultat du sondage à retenir, plus de 1 Européen sur 2 ressent la diminution de son pouvoir d’achat. Dans un contexte marqué par une inflation record, les Européens constatent la baisse de leur pouvoir d’achat : 54 % d’entre eux estiment en effet que ce dernier s’est réduit au cours des 3 dernières années (seuls 17% déclarent qu’il a augmenté).

Tous les pays ne sont pas frappés de la même manière. Si les Polonais sont les plus positifs, un quart d’entre eux se réjouissant d’une augmentation de leur pouvoir d’achat. A l’inverse, le recul du pouvoir d’achat est le plus souvent cité en Grèce (68 %), à seulement quelques points des répondants français (63%).

Quand l’hiver sera là, nous savons que beaucoup de familles ne pourront pas payer leurs factures d’énergie.

Greta Barbolini, de l’association italienne ARCI, partenaire du Secours populaire français

Parmi les personnes déplorant d’avoir moins la possibilité de couvrir leurs dépenses, la cause semble entendue : 89 % citent l’augmentation des prix comme raison, loin devant la hausse des taxes (31%), une baisse de revenus ou des aides sociales, de nouvelles dépenses ou encore d’un changement dans leur situation familiale. L’inflation forte des derniers mois est donc, pour de nombreux Européens, la principale cause de la diminution de leur pouvoir d’achat.

Confrontés à leur perte de pouvoir d’achat, de très nombreux Européens sont confrontés à des choix compliqués : 80 % ont déjà été contraints soit de restreindre leurs déplacements, soit de ne pas chauffer comme il le faudrait, de faire appel à l’aide de proches ou encore de cumuler plusieurs emplois. La situation se dégrade tellement que 53 % des répondants ont été confrontés à au moins l’une de ces situations dans la première moitié de l’année 2022, à un moment où l’inflation était moins forte qu’actuellement.

Des dépenses déjà réduites au minimum

Le coût de l’énergie domine la problématique des factures que doivent acquitter les ménages à l’instar de ce qu’observait le Baromètre de la pauvreté et de la précarité Ipsos / Secours populaire réalisé en France et publié en septembre dernier. Restreindre ses déplacements est le choix le plus fréquemment fait dans tous les pays interrogés, à l’exception du Royaume-Uni : 62 % des répondants y ont déjà été contraints à cause de leur situation financière, contre 47 % qui déclarent n’avoir pas pu mettre le chauffage chez eux alors qu’ils avaient froid et 34 % ont renoncé à se soigner alors que leur santé le nécessitait.

Outre-Manche, la situation, qui combine explosion des prix et instabilité politique, est particulièrement alarmante, à l’image de ce que peut voir Imran Hameed, responsable d’une banque alimentaire à Birmingham, au nord du pays : « Les gens qui viennent ici n’ont souvent pas mangé depuis un ou deux jours. Avant, on avait surtout des mères célibataires ou des personnes qui touchaient des aides sociales, on n’avait jamais dû aider les personnes qui travaillaient à temps plein. »

Il y a 7 ans mon salaire était plus bas mais il était suffisant. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout le cas.

Natalia, membre de Solidarité populaire à Athènes, partenaire du Secours populaire

La plupart des 6 000 personnes interrogées par Ipsos n’ont pas de marge de manœuvre, en cas de coup dur : les deux tiers déclarent ne plus savoir sur quelles dépenses faire des compromis car elles ont déjà réduit tout ce qui pouvait l’être. Cette majorité pourrait donc rapidement se retrouver dans une situation financière délicate. Si en France, en Italie et en Pologne les réponses ressortent autour de 60 %, en Grèce il s’agit de la quasi-totalité de la population (88 %). Cette fragilité se traduit par un compte à découvert dès le 15 du mois pour plus du quart des personnes (28 %) et par une proportion du même ordre qui déclare avoir « peur de perdre son logement ». Une crainte qui devrait s’accroitre cet hiver et au printemps dans une Europe chamboulée par la hausse des factures d’énergie.

Un spectre passe à travers l’Europe : la crainte de basculer dans la précarité. Une majorité d’Européen (55 %) a le sentiment qu’il existe un risque important de se retrouver en situation de précarité au cours des prochains mois. Un risque jugé « très important » par près de 1 Européen sur 5 (17 %). Dans ce domaine, les Italiens sont particulièrement inquiets (70 %), tout comme les Grecs (68 %) et une majorité de Polonais (56 %). Dans les autres pays, elle touche aussi une part importante de la population, notamment en Allemagne (49 %), mais aussi au Royaume-Uni (47 %) et dans une moindre mesure en France (42 %).  Ces chiffres dépassent de très loin la part des personnes vivant sous le seuil de pauvreté, environ 17 % en 2021 (dernières données publiées, Insee 27.05.21). La précarité est encore plus large, rappelle le belge Olivier Schutter, le rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains, qui a rendu un rapport sur la situation du continent : « La croissance économique et le progrès général n’ont pas bénéficié à tout le monde au point de laisser un cinquième de la population dans la précarité. »

Des privations fortes de la part des parents

Afin de pouvoir offrir à leurs enfants (moins de 18 ans) de bonnes conditions de vie, de nombreux parents en sont réduits à se priver. En premier lieu, il se restreignent massivement en matière de loisirs et de sorties (76 %), de coiffeur et de soins de beauté (72 %) et d’achat de vêtements (72 %). Près d’un sur deux (48 %) se prive également de la nourriture. Face à des factures qui explosent, les deux tiers (66 %) des parents ont déjà été contraints de restreindre aussi les pratiques de leurs enfants. Près d’un sur deux (49 %) a déjà renoncé à ce que leur enfant parte en vacances ou fasse des activités (45 %), faute de moyens. Au-delà de certaines situations difficiles, les parents se montrent inquiets : 49 % déclarent avoir peur de ne pas pouvoir subvenir, à l’avenir, aux besoins de leurs enfants. Cette inquiétude est forte en Grèce, pays particulièrement touché par la crise économique mais aussi au Royaume-Uni (50 %), tout comme en France (49 %). Une fois encore, l’Allemagne, pays le plus riche du continent, se situe très proche avec 46 %.

Plus grave, un tiers des parents (33%) déclarent ne pas pouvoir donner à leur enfant une alimentation suffisamment variée. Une situation grave encore une fois particulièrement présente en Grèce (42 %).

Nous sommes inquiets pour les jeunes, les retraités et les travailleurs pauvres car la baisse des prix n’est pas en vue.

Sergo Kuruliszwili, membre de l’association polonaise PKPS, partenaire du Secours populaire

Quelles sont les catégories de population les plus souvent perçues comme touchées par la précarité et la pauvreté ? Elles varient en fonction des pays. En Allemagne (61 %) et en Pologne (59 %), ce sont les personnes âgées. En revanche, en Grèce et en Italie ce sont les jeunes qui sont en tête des perceptions, avec des taux de respectivement 57 % et 45 %. Pour les Britanniques, ce sont avant tout les familles monoparentales qui semblent les plus fragiles (55 %).

Dans ces circonstances, le Secours populaire soutient régulièrement ses partenaires aussi bien en Pologne (aides d’urgence pour les réfugiés ukrainiens, notamment), en Italie (aides d’urgence après des séismes, aide aux réfugiés), en Grèce (aide alimentaire, distribution aux réfugiés, organisation de séjours de vacances), en Allemagne (aide d’urgence) et ailleurs en Europe. En effet, c’est la solidarité qu’il s’agit de mondialiser et non la pauvreté.

* entre le 17 juin et le 6 juillet