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Des vacances en famille, loin des soucis du quotidien

Mis à jour le par Olivier Vilain
Au camping, la piscine est un grand moment de complicité entre Elisabeth et Djessly (à l'arrière-plan) et entre Céline et son fils.

Au camping à Saint-Jean-de-Monts, Elisabeth et sa fille Djessly, 6 ans, savourent des moments de bonheur. C'est leur première semaine de vacances ensemble. Elles la partagent avec des amis proches.

La fine silhouette de Céline s’élance vers Elisabeth. Un grand sourire éclaire son visage piqué de taches de rousseur. Le souffle court, elle tend un pistolet à eau en plastique blanc et bleu, vise et rate sa cible. Les deux amies courent, zigzaguent, dans le camping Les Sirènes, à Saint-Jean-de-Monts, sous le soleil éclatant du mois d’août. Puis, elles reviennent en bout de course devant la terrasse posée à l’entrée du mobile home dans lequel elles vont passer une semaine à deux pas de l’océan.

Un moment de détente pour les parents et les enfants

Céline fait mouche. « Ah, tu vas voir », réplique Elisabeth, sa robe noire désormais mouillée. Cette dernière ramasse un petit sceau ; le rempli. La poursuite reprend, mais en sens inverse, autour de la table de jardin, cette fois. Les deux femmes l’avaient descendu de la terrasse, quelques instants avant, pour prendre un déjeuner en pleine nature.

Très vite, Elisabeth rattrape sa copine. Totalement trempée, Céline râle ; elle pensait pouvoir passer entre les gouttes. Aussitôt après, les deux amies pouffent de rire. Assis à l’ombre d’un pin maritime, Djessly, 6 ans, dans sa robe préférée, couleur fuchsia, et Aymen, 4 ans, qui arbore avec assurance sa casquette rouge et noire de Spiderman, ont regardé la scène avec une pointe d’incrédulité : ils ne voient pas souvent leurs mères s’amuser comme cela. En plus, elles se sont arrosées avec les jouets achetés pour eux le matin même au supermarché.

Elisabeth (à gauche) et Céline sont venues avec leur enfant passer une semaine au camping.

Elisabeth (à gauche) et Céline sont venues avec leur enfant passer une semaine au camping.

 

Les deux familles, venues d’Angers, profitent de ces vacances organisées par la fédération du Maine-et-Loire du Secours populaire. Pendant tout l’été, celle-ci aide plus de 400 personnes à partir en vacances, notamment grâce aux dispositifs de financement de l’Agence nationale des chèques vacances et à « un partenariat avec les campings Campéole, que nous avons négocié localement », indique Stéphane Lepage, secrétaire générale de la fédération (Le SPF a, en outre, un partenariat national avec Campéole). Plusieurs bénévoles se relaient sur les lieux de villégiature auprès des personnes aidées durant la période estivale. « Nous veillons à ce que tout se passe bien pour eux », ajoute-t-il.

A Saint-Jean-de-Monts, Marie-Odile s’occupe d’accueillir et de conseiller six familles. « Je m’assure qu’elles de ne manquent de rien,  que tout est clair ; et je suis prête, bien sûr, à les aider à résoudre les problèmes », récapitule cette soixantenaire très dynamique qui, au décès de son mari, était devenue chauffeur poids-lourds, réussissant à élever ses deux adolescents (à l’époque) tout en sillonnant l’Europe entière. Ne pouvant plus conduire son 44 tonnes, à quelques années de la retraite, elle a bifurqué et décroché son diplôme de comptabilité après trois ans d’études : « De l’énergie, j’en ai à revendre ! »

 

Des bénévoles aux petits soins

Elisabeth et Céline n’ont pas de voiture. Pour venir, à Saint-Jean-de-Monts, elles ont fait du co-voiturage. Une fois sur place, elles ont donné rendez-vous à Marie-Odile pour que celle-ci les emmène faire les courses au Super U, à l’autre bout de la ville. « Le magasin est l’un de nos partenaires de vacances. Il offre un bon d’achat de 20 euros par famille. Cela les aide à être plus à l’aise », signale Nicolas Cocuaud, qui coordonne les vacances pour le SPF du Maine-et-Loire. Dans les allées du supermarché, les deux amies ont pris des glaces, du poisson, du pain aux graines, de la lessive, un gâteau café / chocolat… « Il y a de quoi se faire plaisir et faire plaisir aux enfants », détaille Elisabeth. Marie-Odile les attend patiemment à l’entrée du magasin. « Il y a eu des moments où j’ai dû faire appel à l’aide du Secours populaire, alors je trouve normal de redonner un peu de ce que j’ai reçu. Cela m’apporte énormément. »

A 28 ans, Céline n’a pas pris de vacances depuis 2011. Elisabeth, elle, était « encore petite ». Comme elles, environ 40 % des Français et des Françaises ne partiront pas cette année. Depuis leur arrivée au camping, les deux femmes se sentent légères. « J’ai tout de suite fait le vide dans ma tête », s’écrie Céline, qui apprécie, comme son amie, « l’absence d’horaires à respecter », l’allégement des contraintes liées au ménage, à la cuisine, au repassage. « On mange dehors, il y a plein d’activités pour nous et pour les enfants. Les vacanciers sont bienveillants », décompte joyeusement Céline, tout en dessinant des étoiles sur le bras de son fils. Vive et malicieuse, Djessly attend son tour, imaginant déjà des cœurs de toutes les couleurs sur ses joues.

Pendant les vacances, on a le droit de faire ce que l'on veut. Même de se mouiller.

Pendant les vacances, on a le droit de faire ce que l’on veut. Même de se mouiller.

 

Loin des privations et de l’angoisse du quotidien

« Ici, relève Marie-Odile, toutes les familles me disent la même chose : elles veulent laisser derrière elles les privations et les galères de la vie quotidienne. Elles veulent faire un break, se faire plaisir, dans la mesure de leurs moyens. » Après une après-midi de piscine au camping, Djessly et son copain Aymen veulent découvrir les environs et, bien sûr, la plage de sable fin dominée par une grande roue qui illumine le front de mer toute une partie de la nuit. « Ils sont très curieux », relève Céline. « Je nous vois bien nous promener, chaque soir, le long de la plage, chacune une glace à la main », anticipe avec gourmandise Elisabeth.

A désormais 40 ans, cette dernière a multiplié les petits boulots. Ayant quitté l’école très tôt, elle n’a aucun diplôme : « J’ai récolté les pommes, j’ai fait les marchés, ça, ça me plaisait bien. » Rien de vraiment stable. En ce moment, la mère et la fille doivent vivre avec 700 euros de RSA, auxquels s’ajoutent les APL. Heureusement, les deux voisines s’aident. « On se voit tous les jours. Si Céline rentre tard du salon de coiffure, elle dîne à la maison. Les week-ends où elle travaille, je peux lui garder son fils si ça l’arrange. En échange, elle me coupe les cheveux. » « On s’entraide », confirme Céline, à qui il arrive aussi de faire du bénévolat. Une fois par mois, elle va dans une association angevine couper les cheveux et coiffer des sans-papiers qui sont Roms, Kosovars ou Biélorusses. « Ils n’ont vraiment rien », déplore-t-elle.

Marie-Odile est l'une des bénévoles qui se relaient pour s'assurer que tout se passe bien pour les familles.

Marie-Odile est l’une des bénévoles qui se relaient pour s’assurer que tout se passe bien pour les familles.

 

Calculant et recalculant sans cesse son budget, Elisabeth a développé une capacité étonnante à joindre les deux bouts, à force d’économies et de débrouille. « Ma priorité, c’est de payer le loyer. Ensuite, de quoi assurer les lessives. Heureusement le père de Djessly lui apporte des vêtements. » A l’été 2017, tout bascule. « La CAF [Caisse d’allocations familiales] m’avait versé trop d’APL – comment c’est possible ? En tous cas, je devais rembourser. » Quelques centaines d’euros qui représentent une charge insupportable pour sa famille.

« Je n’en pouvais plus. J’ai poussé la porte de la permanence du Secours », à proximité de son quartier, Les Justices. « Chaque mois, je viens chercher de quoi manger, du shampoing aussi… Cela représente une aide matérielle de 120 euros. Il y a aussi des vêtements et des chaussures à petits prix. C’est un sacré coup de pouce. » La situation des familles monoparentales est particulièrement précaire. Avec le SPF, Elisabeth et Djessly font aussi des sorties au cinéma, ou au cirque l’hiver dernier. « Les numéros étaient particulièrement bons. Pour une enfant, c’est magique. » « Les familles que nous recevons sont souvent frappées par le chômage. Ou alors, les adultes sont cantonnés dans des emplois atypiques, à mi-temps, faiblement payés… », résume Stéphane Lepage, le secrétaire général de la fédération du Maine-et-Loire.

Assise sur la terrasse, une cigarette roulée à la main, Elisabeth parle de ses projets. Elle hésite entre deux formations : devenir coiffeuse ou conduire des bus, un secteur où « il y a de l’embauche en ce moment ». « C’est peut-être difficile à croire, mais l’argent n’est pas ce qui me manque le plus », soupire Elisabeth, qui souhaite sortir de chez elle, partager avec des collègues des journées de travail et des centres d’intérêts communs. Elle pourra s’appuyer dans ses démarches sur l’énergie qu’elle a ressenti durant ses vacances. « C’est le témoignage que nous font les personnes que nous aidons à partir en vacances, avance Nicolas Cocuaud, à la fédération du Maine-et-Loire. Leur séjour leur fait du bien tout au long de l’année. »

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