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Sofia : « La boxe, ça me rend plus forte ! »

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Sofia, lors d’un entraînement de boxe à l’Académie européenne de Sport. Strasbourg, juin 2023. ©Lisa Miquet / SPF

En 2019, Alla, son mari et leur fille Sofia quittent la Russie pour se réfugier à Strasbourg. Ils rencontrent le Secours populaire, qui les accompagne notamment dans l’accès au sport pour Sofia – la natation mais surtout la boxe et les arts martiaux qui deviennent une passion. Alla devient quant à elle une bénévole très active au sein de l’association. En quelques années, chacune construit pleinement sa nouvelle vie. Portrait d’une mère et une fille combatives.

Après l’école, Sofia doit se rendre à son entraînement de boxe. Sa maman Alla prépare son goûter  : dans un sachet, elle emballe une compote, un jus de fruit et une part du gâteau aux cerises qu’elle a cuisiné le matin même – « une recette alsacienne, pas une recette russe ! » s’amuse-t-elle. Sous cette remarque légère se niche une pointe de fierté. Alla a dû partir de Russie pour venir se réfugier en France à l’automne 2019 et, moins de quatre ans plus tard, elle parle un français parfait. Dans leur appartement de Illkirch-Graffenstaden, en banlieue de Strasbourg, son mari, Sofia et elle reconstruisent leur vie. Depuis que le Secours populaire a aidé ses parents à lui financer sa licence et ses cours, la boxe puis le jujitsu sont devenus la passion de Sofia. « Quand je donne des coups, je suis joyeuse ! Quand je prends des coups aussi, mais un peu moins, j’avoue », blague-t-elle, tandis que, dans la voiture qui file vers la salle de sport, elle entame son goûter. À sa maman, qui lui demande comment s’est passée sa journée d’école, elle répond que « c’était super, une belle journée. Sauf en géographie. Un garçon a dit des choses méchantes parce que je viens de Russie ». Le visage d’Alla s’assombrit mais la bonne humeur de Sofia chasse vite le nuage. Elle poursuit : « Aujourd’hui, j’ai appris comment est mort Louis XVI. Le pauvre ! Chaque journée, c’est important d’apprendre une chose nouvelle. Par exemple, hier, c’était comment nouer ma ceinture de jujitsu. »

Sofia, la boxe ça me rend plus forte
Sofia noue la ceinture de son kimono de jujitsu. ©Pascal Montary

Un immense potentiel

Sa ceinture est en effet impeccablement passée autour de son kimono quand Sofia rejoint Christian, son entraîneur. Le soleil tape contre les larges baies vitrées tandis que Sofia roule sur la mer bleue du tapis avec la souplesse d’un samouraï. Christian alterne encouragements et conseils. L’enfant l’écoute intensément, tandis qu’en un vocabulaire précis, il explique le nom des prises et leur origine. On se souvient des mots que Sofia avait confiés, sur la route, entre deux gorgées de jus de fruit : « Si on ne travaille pas bien à l’école, on ne peut pas être une bonne sportive. » Aziz, son coach de boxe, lance ensuite la seconde partie de l’entraînement : « Allez Sofia, on rentre dans l’arène ! » La jeune sportive s’est changée et a troqué son kimono contre un large short aux couleurs électriques, une paire de collants et un tee-shirt noir. Ses gants immenses enfilés, un premier pied à peine posé sur le ring, Sofia projette ses petits poings dans l’espace, lance ses jambes infatigablement. Ses tresses valsent tandis qu’elle enchaîne les droites et les gauches. « Sois souple sur tes jambes, sors de l’axe. » Aziz essuie les coups qui pleuvent et bientôt, le maître et l’élève se retrouvent en sueur. Trente autres minutes se déroulent ainsi, en une autre danse savamment réglée, une autre discipline rigoureuse, une autre passion intensément vécue. « Tu n’es jamais fatiguée, Sofia ! », lâche Aziz, en un grand rire où se mêlent incrédulité et admiration. Christian et lui, deux anciens sportifs de haut niveau, s’accordent sur ce point : Sofia, 9 ans, possède un immense potentiel. « Un grand avenir s’ouvre à elle, affirme Aziz. Elle comprend vite, elle est rapide, explosive. Elle a un tel niveau technique que les garçons de 13 ou 14 ans la craignent. »

120 licences de sport en 2022 à Strasbourg

Tandis qu’Alla prend Sofia dans ses bras, lui éponge le cou et lui donne une gourde d’eau fraîche, Aziz éclaire : « Toute forme de violence est exclue. Ce que Sofia apprend ici, c’est le self-control. Ça sert à tous les moments de la vie. » Sofia, sur ce que lui apporte le sport, confie : « Ça me rend plus forte ! Ça me permet de corriger mes erreurs, de m’améliorer, me dépasser. De m’amuser et me sentir bien. » Puis, après avoir laissé passer un silence : « Ça me permettra aussi de savoir me défendre. » Elle a déjà compris que, si la vie sait être belle, elle peut aussi donner des coups. « Le sport, c’est important pour la santé de Sofia et ça lui donne des valeurs, ça la préserve des mauvais exemples, réfléchit Alla. Grâce à l’aide du Secours populaire, elle a pu se lancer dans la boxe mais elle a aussi appris à nager et en plus, nous faisons des randonnées. » Comme Sofia, de nombreux enfants sont aidés par le Secours populaire, partout en France, dans leur accès au sport[1]. En 2022, l’association a financé 120 licences sportives à de jeunes Strasbourgeois. Grâce à un partenariat avec l’Eurométropole, le Secours populaire permet à des centaines d’enfants d’apprendre à nager ou à faire du vélo. Des places pour des matches de hockey, de basket et de handball sont mises à disposition des familles. Les bénévoles organisent régulièrement des sorties réunissant parents et enfants autour de la pratique sportive – luge d’été, accrobranche, sports nautiques au lac, randonnées en forêt… « Partir dans la nature, les familles sont toujours partantes ! » souligne Françoise, secrétaire départementale à la fédération du Bas-Rhin du Secours populaire. « L’accès au sport, c’est sortir de chez soi, rencontrer des personnes différentes, poursuit-elle. C’est important pour les parents de pouvoir offrir une activité sportive à leur enfant, de les voir s’épanouir, trouver leur place dans la société. C’est une source de fierté et de bonheur. »

Un engagement sans faille

Le lendemain matin de l’entraînement, Sofia et Alla se rendent à l’antenne du Secours populaire de la Meinau, un quartier du sud-ouest de Strasbourg. Elles y retrouvent Françoise. Si elle a été aidée par le Secours populaire quand sa famille s’est réfugiée en France, Alla s’est rapidement investie bénévolement. Elle en est même devenue, comme Françoise, l’une des secrétaires départementales. Depuis un an, son engagement est sans faille. « Alla est toujours disponible. Elle est rigoureuse et fait preuve d’initiative. Elle aime travailler en équipe et tout le monde l’apprécie », relève Arina, responsable de l’antenne. Autour d’un café, Françoise et Alla échangent quelques nouvelles puis vite, Alla se rend au vestiaire d’urgence. Après avoir œuvré en tant qu’interprète, s’être investie dans les librairie et bagagerie solidaires, où les personnes sans abri sont accueillies et peuvent déposer leurs effets personnels en toute sécurité, Alla a pris la responsabilité du vestiaire. Là, les personnes vivant à la rue peuvent trouver de quoi se vêtir, ainsi que des produits essentiels à leur survie et leur dignité – serviettes de toilette, produits d’hygiène, couvertures ou duvets. « Les gens que nous aidons ici se battent pour survivre et nous, les bénévoles, on les aide, on leur permet de retrouver leur chemin, de se construire une meilleure vie, souligne Alla. Je suis parfois très émue mais le plus important, c’est de leur trouver une solution. Alors je fais face. » Ce sont auprès des plus pauvres qu’Alla a choisi d’être. Apporter la solidarité, c’est sa manière de combattre. Être au Secours populaire, c’est se construire une nouvelle famille. « Ici, on s’entraide, on est bienveillants les uns avec les autres. J’ai pris conscience que nous aidons les gens de manière profonde. Cela donne un sens à ma vie. »

Sofia, la boxe ça me rend plus forte
Alla, dans le vestiaire d’urgence du Secours populaire de la Meinau. Strasbourg, juin 2023. ©Lisa Miquet /SPF

« Même les animaux se réfugient chez nous ! »

Une fois qu’Alla a rangé le vestiaire, où tout est parfaitement ordonné – « il faut pouvoir trouver tout de suite ce dont les personnes ont besoin, et il faut que ce soit un bel endroit pour qu’ils se sentent bien accueillis » –, Alla retrouve Sofia. Toutes deux prennent le soleil dans le jardin solidaire. Elles vont voir la cabane que les bénévoles ont construite pour un petit chat errant – « Même les animaux se réfugient chez nous ! » sourit Alla. Dans son sac, Sofia a rassemblé ses trésors. Elle les sort un par un et les montre à sa maman. Ses magazines, « Le Journal de Mickey » et « Les Petites Princesses ». Les histoires qu’elle écrit, illustre et assemble dans un petit livre intitulé « La Famille pas comme les autres ». « Je m’inspire de ma vie ! » confie-t-elle. Sa collection de cailloux qu’« elle met dans l’eau pour que le soleil leur fasse prendre des reflets trop beaux ». Ses médailles – celle de championne de France de kick-boxing, celle de vice-championne d’Europe de boxe et celle de vice-championne de France de jujitsu. Les petits coquillages qu’elle a ramassés quand, avec ses parents, ils sont allés au lac pour se baigner. « Car je sais nager maintenant ! » rappelle avec fierté Sofia, mimant les gestes de la brasse. Le sac à dos de Sofia témoigne de la vie intense d’une petite fille de 9 ans : une vie faite d’imaginaire, d’attention à la nature, de l’amour de ses parents et de sa grande passion pour le sport. Son sac est trop petit, précise-t-elle enfin, pour contenir ses « dix-sept doudous ». Trop petit aussi pour y glisser ses beaux gants de boxe. « C’est mon coach Aziz qui me les a offerts. Il m’a dit que c’était parce que je suis une patronne ! »

Sofia, la boxe ça me rend plus forte
Sofia et Alla, dans le jardin de l’antenne de la Meinau du Secours populaire. Strasbourg, juin 2023. ©Lisa Miquet /SPF

[1] 30 000 personnes ont bénéficié d’une aide à la pratique sportive grâce au Secours populaire en 2022.