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Noël rock et chaleureux pour détenus indigents à Rouen

Mis à jour le par Laurent Lefèvre

Les détenus indigents de la maison d’arrêt Bonne Nouvelle, à Rouen, ont reçu, mardi 17 décembre, un colis de fin d'année distribué en mains propres par les bénévoles. Dans l'après-midi, ils ont assisté à un concert du groupe Enomystik. Une journée marquée par de grands moments d'humanité.

Des bénévoles du Secours populaire, en lien avec d’autres associations*, ont remis, mardi 17 décembre, 150 colis de fin d’année aux détenus indigents, aux mineurs, aux nouveaux arrivants et à toutes les femmes incarcérées de la maison d’arrêt Bonne Nouvelle, de Rouen1 (Seine-Maritime). Condamnés ou prévenus en attente de jugement, ces hommes et ces femmes indigents – qui n’ont pas de visite au parloir et sont sans ressources – ont reçu en mains propres leur colis festif. Réalisée dans la matinée au sein de la prison, cette distribution a été suivie dans l’après-midi d’un concert dans la chapelle de la maison d’arrêt.

« Les détenus en grande précarité, dont beaucoup de jeunes, sont contents de rencontrer quelqu’un de l’extérieur », souligne Pierre, l’un des trois bénévoles du SPF mobilisés pour la distribution, qui est présent chaque année depuis 2008, date à laquelle la fédération de Seine-Maritime participe à ce Réveillon des indigents. « On communique beaucoup : ils ont envie de discuter de leurs souffrances, de leurs difficultés. C’est un moment extrêmement fort. »

 

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Surveillante à la maison d’arrêt Bonne Nouvelle, Valérie guide et accompagne les bénévoles dans les différentes parties de la prison.

 

« C’était le Père Noël pour nous ! »

Guidés par Valérie, surveillante qui a suivi l’organisation de cette journée, les bénévoles ont rejoint la division 2 de la prison, qui rassemble les prévenus, pour s’installer dans une salle ornée d’un trompe-l’œil coloré, qui sert occasionnellement de salon de coiffure tenu par un détenu. Derrière une table ornée d’une nappe jaune décorée de bonbons acidulés, trois bénévoles proposent des viennoiseries et une boisson aux personnes incarcérées qui arrivent par petits groupes à 9 h 30. Très vite, le dialogue s’instaure et se focalise sur leurs conditions de détention, leur vie en cellule 22 heures sur 24 hors activités, où ils prennent leur repas, lavent leur vêtement, regardent la télévision louée à leurs frais…

Sans ressources, les indigents qui reçoivent un colis festif n’ont pas de parloir et pour certains aucun lien avec l’extérieur. Quelques-uns y renoncent pour ne pas révéler leur situation, comme Sébastien, 42 ans, qui « ne veut pas de visite » ou Romain, Rouennais de 31 ans, qui « essaye de ne pas donner de nouvelles à [s]on père ». D’autres en sont privés par l’éloignement de leurs proches ou par manque de ressources : leur entourage ne possède pas de véhicule pour venir à la maison d’arrêt. Rabii, 26 ans, dont la famille vit au Maroc, repart avec son colis, le journal L’Équipe et un grand sourire : « C’était le Père Noël pour nous ! » Romain acquiesce : « Cela fait du bien de parler. Cela passe ma matinée : du coup, je ne vais pas aller en promenade. »

 

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Les bénévoles proposent des viennoiseries et une boisson aux personnes incarcérées qui reçoivent leur colis festif. Très vite, le dialogue s’instaure et se focalise sur leurs conditions de détention.

 

« Cela fait plaisir : on a envie de dire merci au Père Noël »

À 10 h 05, un énorme grondement s’échappe de la coursive qui dessert les cellules des personnes condamnées en attente de transfert et celles dont les peines ou reliquats de peine sont inférieurs à deux ans. Tout le monde se fige et se retourne vers le responsable de ce vacarme sourd : quatre poubelles encastrées poussées vers la sortie. En comparaison, les grincements incessants des grilles métalliques bleu pétrole qui s’ouvrent et se referment avec l’écho d’un buzzer passeraient presque pour un concerto de musique concrète. Dans cette partie distincte de la prison qui ne communique pas avec la division 2, un autre groupe de bénévoles s’est installé dans une petite salle étroite aux murs blancs.

« Je croyais voir le Père Noël », lance Sami, 34 ans, qui arrive vers 10 h 15. Pendant son incarcération, Sami a travaillé pour des entreprises (2), exercé la fonction d’auxiliaire pour l’administration pénitentiaire et suivi des formations – au niveau national, moins d’un détenu sur trois a accès à un emploi ; moins de neuf sur 100, à une formation professionnelle rémunérée (3). « J’ai obtenu un diplôme d’accès aux études universitaires et une année à la fac de droit : j’ai essayé de ne pas perdre mon temps. » Faute de permis de conduire, sa compagne, qui vit à Caen avec leurs deux enfants, peut difficilement lui rendre visite au parloir. Libérable dans quelques mois, il prépare sa réinsertion : « La famille m’attend mais cela fait un peu peur : on prévoit des choses dans la tête, mais on ne sait pas comment cela va se passer. » Avant de rejoindre sa cellule, il salue les bénévoles : « Cela fait plaisir : on a envie de dire merci au Père Noël ! »

 

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Sami, avec son colis festif. Âgé de 34 ans, il partage sa cellule avec deux autres détenus : « C’est un petit peu serré, mais on s’entend bien. [À Bonne Nouvelle], on nous respecte. »

 

Dans son survêtement Jartazi blanc et noir presque trop large, Christopher, 19 ans, paraît encore plus jeune. Il s’approche timidement et demande : « Du Coca s’il vous plaît » avant d’expliquer que sa mère et son frère, qui lui écrivent régulièrement, « ne veulent pas » venir le voir au parloir. Il partage sa cellule avec un détenu de son âge : « Avec un jeune comme toi, on parle de tout, on passe le temps. » Suivi par une employée du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIEP) pour préparer sa sortie, il s’est formé à la mécanique pendant sa détention, mais n’a pas « encore de piste dehors : ma SPIEP m’aide un peu. »

« Il n’y a pas de Neymar ici ! »

En dehors d’une promenade d’une heure le matin et le soir qui leur permet de quitter leurs cellules, les détenus doivent s’inscrire aux activités proposées à la maison d’arrêt – informatique, bibliothèque, atelier théâtre, sport. Le lundi matin pendant trois heures, les volontaires peuvent s’entraîner à la salle de musculation et jouer au foot. « On est à l’air : on décompresse. On fait notre match, sans arbitre, détaille Sami. Si quelqu’un demande la faute, on lui donne. Personne ne se roule par terre : il n’y a pas de Neymar ici ! »

Incarcérés en cellule individuelle munie d’une douche dans un quartier réservé, les mineurs sont scolarisés en matinée au sein de la prison. Parmi les 25 adolescents qui ont reçu leur colis et un paquet de chocolat, « il y a beaucoup d’analphabètes : certains ont eu du mal à trouver leur nom sur la feuille, relève Corinne, bénévole à l’Association nationale des visiteurs de prison (ANVP). Ce sont des gamins, un peu rebelles, qui se donnent une contenance. » Pendant la distribution, les mineurs, dont le plus jeune n’a que 13 ans, ont pu évoquer leur avenir avec les bénévoles : ils veulent être avocat, cuisinier, éducateur canin ou travailler dans l’aéronautique. « C’est encourageant de constater qu’ils voient plus loin que leur situation actuelle, ajoute Corinne, qui reste marquée par la misère sociale qu’elle a rencontrée en prison. Ce qui m’a frappée lors de mes premières visites, c’est le nombre d’analphabètes, dont certains signent leur nom avec une croix. »

 

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Contrairement aux années précédentes, les hommes ont dansé pendant le concert.

 

« Je rêvais d’un autre monde »

À 14 heures, trente détenus ont assisté au concert du duo Enomystik, qui s’est déroulé dans la chapelle de la prison, monument historique en ogives orné de 16 stalles en bois disposées en arrondi. À 16 heures, un deuxième set était réservé à la trentaine de femmes détenues, qui ont toutes reçu un colis festif avec une rose et une pochette de maquillage en cadeau. Après leur promenade, les quinze femmes qui participent à ce concert ont très vite mis l’ambiance. Dès les premières notes d’Another Brick In The Wall des Pink Floyd ou d’Un autre monde de Téléphone, plusieurs se sont levées pour danser et ont réclamé « une dernière » que Valérie, la surveillante restée debout en retrait, a acceptée sous les applaudissements. « C’est cool : cela change », jubile Maïmouna, 20 ans. « C’est important, ajoute Aline. On n’est pas oubliées. »

Contrairement aux années précédentes, les hommes ont aussi dansé, notamment sur Could you be loved de Bob Marley, dont les paroles du refrain reprises en chœur et en boucle par la chanteuse – Could you be loved and be loved? – semblaient monter en volute jusqu’au haut plafond de la chapelle. À la fin du set de quarante-cinq minutes, Clement, 40 ans, de nationalité anglaise, laisse éclater sa joie, dans sa langue natale : “It was great, wonderful, marvelous! I was shy: I would have loved to dance more!” [C’était génial : j’aurais aimé danser plus.] Gabain, 33 ans, son compagnon de cellule, manifeste le même enthousiasme : « Ça m’a beaucoup plu ! C’est un bon moment : cela nous donne de la joie partagée. »

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Dès les premières notes de The Wall ou d’Un autre monde, plusieurs femmes se sont levées pour danser et ont réclamé « une dernière, une dernière ! »

 


 

* Le Secours catholique, la Croix rouge et l’Association nationale des visiteurs de prison (ANVP).

1. Au 1er janvier 2019, 523 personnes hébergées pour 545 places (95, 9 % d’occupation), selon l’Observatoire international des prisons. Au niveau national, la densité carcérale en maison d’arrêt (hors places mineurs) est de 138 % au 1er octobre 2019.

2. Les 70 818 détenus écroués au 1er octobre 2019 en France (pour 61 065 places opérationnelles dont 1 497 matelas au sol) ont la possibilité de travailler dans des ateliers pour le compte d’une entreprise, pour le service général de la prison comme auxiliaire (entretien des locaux, laver le linge, apporter les plateaux-repas) ou pour le compte de la régie industrielle des établissements pénitentiaires (RIEP).

3. Observatoire international des prisons : « Précisions sur les aides aux détenus sans ressources suffisantes ».

à la maison d’arrêt de Rouen

Liens

Témoignages

On voulait vraiment faire ce concert et participer à cette action pour leur donner du bonheur, pour qu’ils oublient .

C’est génial de les voir danser. Quand on y est, on prend vraiment du plaisir.

Jessyka, chanteuse et Sacha, guitariste du groupe Enomystik.

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