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Reza : « Voir le sourire des enfants, ça m’a sauvé la vie »

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Reza, bénévole de Solidarité populaire de Grèce, devant le camp de Malaksa où il vit avec sa famille. Automne 2022, Athènes. ©Alex Gasteratos/SPF

Camp de réfugiés de Malakasa, près d’Athènes. A l'occasion d'une distribution alimentaire organisée par Solidarité populaire de Grèce (SPG), le partenaire local du Secours populaire, nous nous entretenons avec Reza. Ce jeune Afghan, qui y réside avec sa famille, est un des bénévoles actifs de l'association SPG. Rencontre.

Du passé de Reza, de sa vie en Afghanistan, on ne dira rien ici. De ce qu’il nous en a confié, on a promis de ne rien écrire, afin de protéger ses proches qui sont restés dans le pays qu’il a quitté. Avec son père, sa mère et son jeune frère, il a pris il y a quelques années la plus difficile des décisions : s’exiler, prendre la route périlleuse et incertaine qui les mènerait en Europe. Il fallait sauver leurs vies. Quand nous rencontrons Reza, à l’automne 2022, il vit en Grèce avec sa mère et son jeune frère. Cela fait cinq ans qu’ils n’ont plus de nouvelles de son père, depuis qu’un jour, il s’est évanoui dans l’épaisseur de la nuit et les bruits de coups de feu, au cœur des montagnes turques. L’absence de son père symbolise l’histoire suspendue de Reza, le temps arrêté qui est le sien aujourd’hui. Se raconter, Reza ne peut le faire qu’au présent : son passé s’est perdu dans les ténèbres turques et l’avenir est insaisissable dans la vie au jour le jour qui est la sienne aujourd’hui.

« Cela fait 4 ans que nous vivons dans le camp et jamais je ne m’y habituerai. »

Son présent, le jeune homme de 21 ans s’évertue néanmoins à le gonfler de sens et d’espoir. Il est un des bénévoles actifs de l’association Solidarité populaire de Grèce (SPG), partenaire du Secours populaire français. Lors des distributions de nourriture, de produits d’hygiène, de fournitures scolaires aux populations les plus pauvres d’Athènes, Reza est toujours là. Lors des sorties organisées par l’association pour les enfants et leurs parents au théâtre ou au bord de la mer, aux carnavals de février ou aux spectacles de Noël, pour les fêtes de quartier et les cantines populaires que met en place SPG, Reza répond indéfectiblement présent. Quand nous le rencontrons, il porte, comme Haïk, Katerina et Xenophon, la chasuble jaune ornée de deux mains tendues l’une vers l’autre et aux doigts qui se touchent, dont se revêtent les bénévoles de l’association de solidarité. Ils se sont donné rendez-vous devant les portes du camp de Malakasa, le dernier grand centre pour réfugiés d’Athènes, où résident environ 2 000 personnes exilées d’Iran, d’Irak, d’Afghanistan ou encore du Pakistan. C’est ici, dans ce camp, que Reza et sa famille vivent.

« Comme jhabite dans le camp, je connais bien les familles. Je sais qui na plus dargent, na plus de quoi se nourrir. Cest comme ça que jai pu identifier et inviter les familles qui viennent aujourdhui pour la distribution de colis alimentaires. » En même temps qu’il parle, les familles sortent du camp par petites grappes, toutes munies des invitations confectionnées par SPG et que leur a donné Reza. Sa mère, son frère et son ami Samim ont eux aussi endossé les couleurs jaunes de l’association. L’équipe est au complet et, en cette fin d’après-midi, ce sont plus de cent colis qui sont remis aux résidents du centre. « La vie dans le camp est difficile. Cela fait 4 ans que nous y vivons et jamais je ne mhabituerai aux bagarres qui éclatent la nuit, aux journées interminables où rien ne se passe. Ici, les gens sont désespérés », lâche le jeune homme. « Si nous avons besoin de quoi que ce soit, de fruits ou de légumes secs, il nous faut aller à Athènes. Cest un trajet en train de 40 minutes et tu es déposé loin du centre-ville. De plus, les prix ont beaucoup augmenté. Les familles vont pouvoir tenir près dune semaine avec les produits que nous leur avons apporté. Et elles pourront les cuisiner comme elles aiment », se réjouit Reza.

« Ce sentiment de tristesse profonde, d’inutilité et de solitude, je veux à tout prix le combattre. »

Si Solidarité Populaire de Grèce pourvoit aux nourritures terrestres, elle n’oublie pas pour autant celles de l’âme. « Nous organisons des sorties pour les personnes du camp, s’anime-t-il. Nous emmenons les enfants et leurs parents au bord de la mer, notamment à Oropos. Nous avons aussi organisé une semaine de vacances sur l’île dEubée cet été. Les résidents sont si démunis et leur vie dans le camp si dure – à en devenir dépressif ou fou – que ces moments d’évasion sont indispensables. » La dépression, Reza en subit les affres et la combat lui-même. « Devenir bénévole à SPG maide et, en même temps, me permet daider les autres. Parce que ce que je ne veux pas que quiconque souffre comme jai pu souffrir, sois désespéré à ce point. Ce sentiment de tristesse profonde, dinutilité et de solitude, je veux à tout prix le combattre – pour moi comme pour les autres. » Rien de tel pour chasser les idées noires, comme l’air marin chasse les nuages et apporte la lumière, que le rire des enfants : là-dessus, le jeune Afghan est catégorique. « Voir les sourires éclairer leurs visages, cela change ma vie. Ou plutôt, cela me sauve la vie. »

« Je noublierai jamais la première fois que jai emmené les enfants de Malakasa à Oropos. Leur excitation dans le bus, leur joie quand ils ont vu la plage, leurs courses sur le sable et bien sûr, leur bonheur de se baigner », se souvient le jeune bénévole. Tandis qu’il revit cette journée lointaine, son visage s’anime, ses mains dansent. « Je me suis dit: Reza, tu as réussi à les rendre heureux.” Le bonheur rend les gens plus forts. Se fabriquer des souvenirs heureux, cela permet daffronter lavenir. » La distribution alimentaire est terminée et seuls quelques parents restent à discuter sous les oliviers, tandis que leurs enfants tapent dans un ballon ou se courent après – ce sont les jeux éternels des enfants, qu’ils reproduisent en toutes circonstances et qui soulignent la force des propos de Reza. « Il faut que ces moments de joie pour les familles de Malakasa ne cessent pas, songe-t-il. Elles ont besoin doublier leur quotidien difficile, la routine désespérante de la vie dans le camp. Elles aussi ont le droit de vivre pleinement, et pas seulement de survivre. »

« La vie est plutôt courte, alors ce temps qui nous est donné, nous devons l’employer à être heureux. »

Les bénévoles de Solidarité populaire de Grèce s’apprêtent à partir. Tous saluent chaleureusement Reza – « À demain », se lancent-ils en riant : le travail opiniâtre et patient de la solidarité les attend. Avant de nous quitter, nous proposons à Reza de le prendre en photo. Alex, le photographe, le fait poser. Sa timidité, qui s’était un temps effacée dans le cœur de l’action et la passion de ses propos, affleure à nouveau. Alex braque son appareil et fait trois clichés. Reza choisit le troisième : il sourit et, derrière lui, les derniers rayons du soleil, avant de laisser place à la nuit, caressent la montagne et s’en viennent dorer le paysage, le baigner d’une lumière presque irréelle. « La vie est plutôt courte, alors ce temps qui nous est donné, nous devons lemployer à être heureux, affirme Reza, dans un dernier échange. Il y a des moments difficiles bien sûr, mais je demeure persuadé quon peut les surmonter. Pour ça, il faut avancer, ne jamais perdre de vue lavenir, ses buts, ses rêves. » De ces rêves, on n’écrira rien non plus. Ils appartiennent à Reza, ils sont son secret. Aujourd’hui, il nous a offert l’intensité possible de son présent, ainsi qu’une poignée de souvenirs qu’il s’est fabriquée avec ses amis de Solidarité populaire de Grèce. Des souvenirs qui lui donneront de la force pour affronter l’avenir et être heureux avant tout.

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