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« Quand on s’intéresse à eux, les enfants répondent présents »

Mis à jour le par Olivier Vilain
Le 20 novembre 2022 marque le 30e anniversaire de l'adoption de la Convention internationale des droits de l'enfant. Une initiative qui a décidé le Secours populaire à créer les "Copain du Monde"

A l'occasion du 20 novembre, journée internationnale des droits de l'enfant, Eric Delemar, adjoint de la Défenseure des droits et Défenseur des enfants, fait part de son inquiétude concernant la situation des plus jeunes et des adolescents, compte tenu de l’impact de la crise sanitaire sur leur quotidien et sur leur développement. Il attire aussi l'attention sur l’ampleur des moyens nécessaires pour prendre soin d’eux.

Quel est l’impact de la pandémie, et de la crise économique qui en a résulté, sur la santé mentale des enfants et sur leurs droits ?

« La crise sanitaire se traduit clairement par une augmentation du mal-être des enfants et des adolescents. Le mal-être se traduit par des troubles des cycles circadiens, c’est-à-dire problèmes de sommeil, alimentaires, de repli sur soi, d’exposition aux écrans. Si les hospitalisations en 2020 suite à des infections pulmonaires classiques (grippe, bronchiolite des tout-petits, bronchite…) avaient largement diminuées, du fait notamment des gestes barrières, celles des pré-adolescents supportant mal le confinement à un âge ou les interactions sociales sont éminemment importantes, ont quant à elles augmentées. Un certain nombre d’enfants sont aussi sortis des radars de l’école, et d’autres connaissent aujourd’hui des difficultés d’apprentissages, d’attention et de concentration. Parfois, ces problèmes se sont retrouvés chez des enfants qui étaient déjà fragiles avant la crise. Ils étaient par exemple bien connus des services de préventions spécialisés. Il y a aussi à déplorer, une augmentation des violences intrafamiliales pendant les confinements. 

Dans quelles proportions les actes de violences intrafamiliales ont-ils augmenté ?

« On évalue de très fortes augmentations de 10, 20 à 30%, variant d’un département à l’autre. Le problème est la saturation des dispositifs d’aide. Avant la crise sanitaire, beaucoup de départements avaient déjà leurs dispositifs saturés, que ce soit en suivi ambulatoire, en milieu ouvert, dans les accueils de protection de l’enfance en établissements ou encore chez les assistants familiaux. Les besoins de protection en sortie de confinement ont explosé. C’est une très grande inquiétude pour moi car de plus en plus de décisions de juges des enfants ne sont pas mises en œuvre faute de moyens. Concrètement ce sont donc des enfants en situation de danger qui continuent de vivre dans des contextes de grandes carences et de violences. Lorsque les décisions de justice ne sont pas appliquées ce sont toujours les plus vulnérables qui en subissent les conséquences, et l’état de droit qui est mis à mal

Cela représente quoi, 200 à 300 enfants par département ?

« J’attends de voir remonter les chiffres des observatoires départementaux de la petite enfance parce que la saturation des dispositifs se combine avec le manque d’attractivité des métiers de l’accueil et de l’accompagnement. Cela pose la question de savoir qui va être en mesure de s’occuper réellement des enfants les plus vulnérables. Nous avons besoin de gens formés aux droits de l’enfant, sensibilisés à leur développement pour les accompagner au mieux, d’autant plus que beaucoup d’enfants sont en situation de vulnérabilité : ceux en situation de handicap qui n’ont pas accès à l’école ou ceux en protection de l’enfance, qui pour certains en situation de handicap, et qui sont à la frontière de dispositifs cloisonnés, dont la coordination laisse à désirer. Dans certains départements, la liste d’attente des MDPH est quasiment aussi importante que le nombre de places habilitées. Du coup, même si toutes les places étaient libérées du jour au lendemain, cela ne suffirait pas. Il nous faut répondre à ces inégalités territoriales.

Vous évoquez des problèmes de coordination entre différents dispositifs, différentes institutions. Comment cela se traduit-il ?

« Les droits des enfants et la réponse à leurs besoins sont très cloisonnés entre le handicap, parfois la pédopsychiatrie, la protection de l’enfance, la protection judiciaire de la jeunesse, avec des organisations parfois très verticales et au fond peu adaptées aux enfants en très grande souffrance cumulant ces vulnérabilités. Chacune de ces institutions traite une partie du problème, de manière asynchrone, en l’absence de vision globale. Ces enfants sont parfois renvoyés d’une organisation à l’autre, sans solution et les risques qu’ils deviennent l’objet des dysfonctionnements institutionnels s’accroissent. Pour ces enfants la prise en compte de leur parole est quasi inexistante. Les enfants sont alors des « objets » de prises en charge plutôt que des sujets pris en compte. Non, les enfants ne sont pas une charge.

Est-ce qu’à l’école, les enfants ont été protégés des conséquences de la crise sanitaire ?

« On aurait peut-être des enfants qui iraient moins mal si les institutions avaient pris autant de temps de travailler la question des besoins des enfants, celle de leur développement, à partir des éléments dont la littérature de recherche française est pourvue, au lieu de mettre en place des protocoles sanitaires successifs quasi ingérables pour les établissements. Quand on songe que certains établissements médico-sociaux ont reçu la même semaine trois protocoles différents, provenant de leur direction générale, de l’ARS et du département. Parfois, pas un ne disait la même chose…

Par ailleurs, j’ai rencontré de nombreux enfants. Beaucoup de représentations ont pesé sur eux. Les enfants étaient alternativement désignés comme ‘‘réservoirs à Covid-19’’, puis ils ne l’étaient plus, etc. Parallèlement, les enfants se sont beaucoup culpabilisés. Ils se sont inquiétés pour la santé et la vie de leurs grands-parents, ainsi que du salaire et du travail de leurs parents. ‘‘Mais qui s’est inquiété pour nous ?’’, m’ont demandé des lycéens que j’ai rencontrés. Il faut noter aussi que les confinements et les déconfinements ont eu lieu en pleine réforme du bac en 2020. Beaucoup de lycéens se sont inquiétés, d’autant que, bien souvent, ils revenaient au lycée pour passer des évaluations. On leur a peu demandé comment ils avaient vécu ces moments d’isolements à la maison, et simplement comment ils allaient. La société a considéré, au fond, que les enfants ‘‘ça s’adapte et se réadapte tout le temps’’.

Depuis dix ans, le Secours populaire se rend compte que le regard des enfants sur la pauvreté a évolué. Ils en ont plus souvent une expérience concrète. Est-ce que vous vous en êtes rendu compte dans votre fonction ?

« L’ascenseur social ne fonctionne pas pour beaucoup d’entre eux, et ils ont peur de l’avenir qui les attend. Quid de l’insouciance de l’enfance ? Les enfants sont aujourd’hui beaucoup plus sensibles sur les questions de précarité, Ils sont par ailleurs effarés du manque de prise en compte par les adultes des conséquences du réchauffement climatique. Ils font le lien entre mondialisation et crise sanitaire, vous expliquent le lien entre transport d’animaux et la diffusion de virus. Crise sanitaire, crise de l’environnement, crise de l’habitat, déplacement de populations, difficultés à vivre ensemble, difficultés d’accès à la santé. Tous ces sujets les interpellent.

Est-ce que l’engagement a une place dans la vie des enfants ?

« Quand on s’intéresse à eux, les enfants répondent présents. C’est ce que nous voyons dans le cadre de la consultation que nous effectuons chaque année, avec la Défenseure des droits, auprès de 600 enfants au profil très varié (ils sont dans les conseils municipaux d’enfants, ou suivis en prévention, en centres aérés, accompagnés dans des dispositifs ou établissements médico-sociaux, PJJ, etc.).

Comment jugez-vous l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) ?

« Il y a des évolutions dans la prise en compte des modèles éducatifs de l’enfant sujet de droits. Mais j’observe que la CIDE est encore très méconnue, y compris chez les professionnels, comme les éducateurs ou les enseignants. Il y a une vraie carence en matière de formation aux droits, notamment sur les droits des mineurs non accompagnés. Il faut également faire attention à parler de la jeunesse en général car il y a plusieurs jeunesses au vu de situations sociales très différentes. Il y a de plus en plus de jeunes, d’enfants, qui sont éloignés de leurs droits. Ceux qui vivent dans les squats, en hôtel social, dans des habitations insalubres… Nous assistons à des écarts de niveaux de vie énormes, qui impactent directement la vie des enfants. D’où l’importance de la présence des services publics et de la défense des droits fondamentaux et universels et notamment en matière d’éducation et de santé.

La moitié des gens aidés par le SPF sont des enfants. Quel peut être le rôle des associations auprès des enfants ?

« Un rôle fondamental car les associations sont la vigie des situations de précarité et des besoins qui en découlent. J’aime beaucoup le slogan du Secours populaire : « Ce n’est pas la misère qu’il faut mondialiser mais la solidarité ».  Nous savons les conséquences de la pauvreté sur les enfants, surpeuplement dans les bidonvilles, pollution, humidité, froid, expulsions sont autant d’atteintes aux droits, en matière de santé, de décrochage scolaire, d’insécurité. On a besoin de dire et de redire que lorsque l’on aide les gens à sortir de la pauvreté, ils aspirent à participer à la collectivité. Il ne faut néanmoins pas désengager les services publics sous prétexte que les associations pourraient prendre leur place. Non, les acteurs sont ici complémentaires. Les bénévoles jouent d’ailleurs un rôle essentiel dans l’accompagnement de nos concitoyens auprès des services publics. »

Eric Delemar, Défenseur des droits de l’enfant

Eric Delemar, Défenseur des droits de l’enfant

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