Mexique : « Nos enfants méritent de vivre ! »

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Leydy Pech, chez elle à Hopelchén, dans la péninsule du Yucatan au Mexique, devant les ruines d'un temple Maya. ©Goldman Environmental Prize

A l’occasion de la Semaine européenne du développement durable (qui s’étend du 18 septembre au 8 octobre 2021), nous avons posé quelques questions à Leydy Pech, militante et apicultrice maya. Nous avions dressé le portrait de la "gardienne des abeilles" lorsqu’elle reçut, le 30 novembre 2020, le Prix Goldman pour l’environnement, pour son combat en faveur d’une agriculture respectueuse de la faune et de la flore. Nous la retrouvons aujourd'hui toujours aussi déterminée. Elle évoque sa lutte, qui embrasse le respect de la culture des peuples indigènes et la sauvegarde de notre bien commun : la planète.

Vous êtes à la tête du collectif des Chenes, ainsi que de l’association Muuch Kambal. Pouvez-vous expliquer leur nature et leur rôle ?

Le Collectif des communautés mayas de Chenes rassemble des hommes, des femmes et des jeunes qui travaillent à dénoncer les problèmes environnementaux causés par l’agro-industrie et qui ont eu des impacts négatifs sur les communautés mayas, affectant leur mode de vie et violant leurs droits humains. Notre travail tend à promouvoir des modèles de développement respectueux de la culture des populations indigènes et à influencer les politiques publiques.

Quant à Muuch Kambal, c’est une ONG qui travaille depuis plus de 20 ans auprès des communautés mayas de la région de Chenes, dans l’état de Campeche. Son objectif est d’offrir aux familles de meilleures conditions de vie, sur les plans social, environnemental et de l’égalité entre les sexes. Nous travaillons sur la question de la souveraineté alimentaire, notamment à travers la valorisation des semences indigènes pour la production et la consommation de productions agro-écologiques, respectueuses de l’environnement et de la biodiversité. Ces projets renforcent le rôle des femmes dans les communautés. Muuch Kambal travaille aussi sur la question de l’apiculture, en particulier l’élevage traditionnel des abeilles mélipones. Une coopérative a été créée pour promouvoir la participation, la formation et l’éducation de ses membres et la commercialisation du miel et des produits dérivés de la ruche.

L’origine et le coeur de votre action, ce sont les abeilles. En quoi l’apiculture est-elle une activité importante pour la communauté maya au Mexique ? 

Avant l’apiculture sont les abeilles. Elles sont très importantes dans nos vies parce qu’à travers leur travail, nos graines sont conservées et le miel, mêlé à des plantes médicinales, nous permet de guérir de nos maladies. Elles permettent aussi la production de nourriture et le miel fait pleinement partie du système économique des familles. Sans affecter notre environnement, il permet de générer des revenus pour les familles paysannes.

Vous avez reçu récemment le prix Goldman. A quoi, ou à qui, avez-vous pensé en premier quand vous avez appris cette nouvelle ?

Quand j’ai appris la nouvelle de ce prix, j’ai compris que nous étions sur la bonne voie et que cela donnait l’occasion de faire connaître la lutte des Mayas. Je me souviens de l’après-midi où j’ai reçu l’appel de la Fondation Goldman pour m’annoncer la nouvelle. C’était une journée de travail comme les autres, passée au bureau, occupée à concevoir nos plaintes, sollicitations et requêtes, et à étudier les réponses que les autorités et les institutions y apportent.  A mesure que nous avançons, il me semble que notre travail est de plus en plus diffcile et je réalise qu’il est plus important que jamais d’éduquer et d’impliquer nos filles et nos garçons, afin qu’ils développent un esprit critique qui leur permettra de défendre leurs droits.

En 2021, cela fait 25 ans que le Secours populaire accompagne votre action dans la région de Hopelchen avec l’association Muuch Kambal. Notre maître mot, au SPF, est « solidarité ». Que vous inspire ce mot ?

Nous, les Mayas, avons toujours été solidaires : nous nous aidons les uns les autres en partageant. Nous suivons les enseignements de nos grands-parents, qui nous ont appris qu’il est important de préserver nos coutumes, telles que le troc (qui se traduit par des échanges de semences), la préparation de médecines traditionnelles, le respect des croyances pour prendre soin de la nature, l’organisation de fêtes traditionnelles et la poursuite de nos luttes pour défendre notre identité culturelle. Car c’est parce qu’ils sont fiers de leur culture que les jeunes s’engageront pour la défense de leur territoire. C’est une question de solidarité entre les générations.

En quoi le soutien du SPF à Muuch Kambal est-il important ?

Le soutien financier du Secours populaire est, à nos yeux, une preuve de confiance et s’avère, pour les autres organismes de la région, un gage de crédibilité.

« Il est de notre devoir de prendre soin de notre planète où que nous vivions. »

Votre combat et celui du collectif montrent qu’il est possible de concrétiser des changements pour le bien-être social et environnemental. Que diriez-vous aux citoyens européens pour les encourager à s’engager dans la durabilité́ environnementale ?

La planète est notre bien commun. Ce qui affecte l’Amérique aura un impact en Europe ou en Asie, il est donc de notre devoir de prendre soin de notre planète où que nous vivions. Il est important de soutenir le combat des communautés indigènes, parce que nous sommes les gardiens des ressources naturelles encore préservées de ce monde. Il est crucila aussi de contribuer aux actions de protection de l’environnement et de rendre visibles leurs effets auprès des jeunes générations. Il faut promouvoir le respect de toutes les formes de vie et initier un vaste plan pour la réparation et la conservation des écosystèmes. Ces projets devront prendre en compte leurs habitants et leurs cultures.

Pensez-vous que l’être humain va enfin prendre conscience que la planète, comme vous le dites vous-même, est notre bien le plus précieux ?

Nos enfants méritent de vivre ! Il est indispensable de travailler à créer les conditions qui leur permettront de vivre en sécurité́, et cela dépend de nous tous. À travers le travail communautaire avec les jeunes, nous cherchons à semer l’espoir et à promouvoir des actions pour que les jeunes puissent s’approprier l’avenir et exiger de meilleures conditions de vie.

« Le courage et la conviction sont ce qui nous font tenir debout dans la lutte. »

Vous le soulignez dans vos réponses : le combat n’est pas terminé. Comment faites-vous pour ne pas céder à la colère, ou au découragement ?

Le courage et la conviction sont ce qui nous font tenir debout dans la lutte. J’ai beaucoup appris, depuis toutes ces années, sur le fonctionnement politique de mon pays ; c’est pourquoi aujourd’hui je me sens responsable de porter la lutte. Peu de personnes ont cette conscience politique et économique car peu de personnes connaissent le fonctionnement des instances gouvernementales censées résoudre les problèmes : c’est ce « désengagement » qui retarde et rend difficile la résolution des problèmes. Pour améliorer les politiques publiques, il faut des citoyens mieux informés, des communautés mieux organisées, des jeunes critiques et conscients pour exiger le respect de leurs droits. Et, plus qu’à l’école, c’est au sein de la famille, avec des parents responsables, que cela s’apprend et se transmet.

Leydy, où diriez-vous que ce concentre votre énergie en ce moment et où puisez-vous votre force?

Je me concentre sur la défense du territoire et de la vie du peuple maya, la défense des droits des peuples indigènes et l’égalité entre les sexes, afin que les femmes indigènes puissent s’approprier de nouveaux espaces de décision ! Ma force, je la puise au quotidien dans la participation des femmes, des hommes et des jeunes à des solutions alternatives ; je la puise dans l’espoir de parvenir à un changement. J’ai compris que c’est un travail de longue haleine ; au cœur de ce long processus, j’ai le devoir de contribuer à ma mesure.

Une dernière question Leydy : qu’est-ce qui vous rend heureuse ?

Le bonheur, pour moi, c’est de pouvoir partager mes connaissances et de sentir que mon effort est porteur d’espoir et que notre action est accompagnée par des associations comme la vôtre qui nous soutiennent de façon inconditionnelle.

Propos recueillis et traduits avec l’aide précieuse de Dany Saint-Amans et Maritere Munguia : merci à elles.

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