Mexique : Le juste combat de la « gardienne des abeilles »

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Leydy Pech, chez elle à Hopelchén, entourée de fleurs de tajonal, prisées par les abeilles pour leur nectar.

Le 30 novembre 2020, la mexicaine Leydy Pech, apicultrice maya, reçoit le Prix Goldman (considéré comme le prix Nobel de l'environnement) pour son combat en faveur d'une agriculture respectueuse de la faune et la flore. Le Secours populaire soutient depuis 25 ans maintenant l’association qu’elle préside, Muuch Kambal. La nouvelle de sa récompense est l’occasion de revenir sur l’action et la lutte de celle qui est surnommée « la gardienne des abeilles ».

Nous connaissons tous l’histoire biblique, passée dans la culture populaire, de David et Goliath. Et si le monde continue d’être vivable, si l’espoir en une société plus juste demeure vif, c’est aussi parce que les hommes croient en cette histoire – et que cette histoire parfois se vérifie. Les David sont là pour nous rappeler qu’il n’y a pas de fatalité et qu’une lutte ne saurait être vaine si elle est animée par de nobles et justes desseins. Le 30 novembre 2020, la lutte qu’a remportée Leydy Pech, la « gardienne des abeilles », contre le géant américain de l’agriculture industrielle Monsanto, a été récompensée par le Goldman Prize, la plus haute distinction accordée chaque année à six défenseurs de l’environnement. 

Des femmes qui élèvent des abeilles

Depuis 25 ans maintenant, le Secours populaire soutient les projets conduits par l’association Muuch Kambal, présidée par Leydy Pech, une apicultrice indigène Maya de Hopelchén, village situé dans la péninsule du Yucatán, au sud-est du Mexique. Muuch Kambal, qui promeut un modèle de développement durable centré sur l’agriculture biologique, naît de l’activité apicole d’un groupe de femmes Mayas. Leydy Pech témoigne : « Nous avons décidé d’appeler notre groupe « Koolel Kab » qui signifie « Femmes qui élèvent des abeilles ». Nous nous identifions aux abeilles parce qu’elles sont travailleuses, organisées, travaillent en équipe et réalisent leurs objectifs. » 

Dans la forêt du Yucatan, l’apiculture est une tradition vieille de 3000 ans dans les communautés indigènes mayas. En tout, ce sont 16000 familles dans toute la péninsule qui pratiquent l’apiculture. Leydy et ses amies de Koolel Kab élèvent quant à elles des abeilles mélipones. Ces abeilles sans aiguillon natives d’Amérique, en voie de disparition, fabriquent leurs ruches dans des rondins creux (les « jobones ») et y produisent un miel aux nombreuses vertus médicinales. 

En 2015, Leydy remerciait ainsi le Secours populaire pour son soutien fidèle : « Lorsque nous avons commencé en 1995 nous possédions seulement un tronc d’arbre et nos rêves. Maintenant nous avons 45 troncs d’arbres, un local, du matériel et du mobilier professionnels et le désir de continuer à travailler. » Depuis, le SPF a accompagné les femmes de Koolel Kab dans la mise aux normes sanitaires de leur lieu de production, dans la commercialisation de leurs récoltes de miel et ses produits dérivés (tels crèmes et savons) sur les marchés, dans la formation des femmes et dans l’achat d’un véhicule

Le collectif des Chenes entre en lutte

Les activités de Muuch Kambal sont intimement liées à l’équilibre du milieu naturel et au premier chef de la « selva maya », le deuxième plus grand massif de forêt tropicale humide du continent. Dès 2000, Leydy Pech s’élève contre les pratiques de l’agriculture industrielle intensive qui se répandent dans la péninsule du Yucatán, souvent liées à l’installation de colonies mennonites. La déforestation ne cesse alors de s’accroître, afin de dégager d’immenses surfaces qui accueillent bientôt les semences de soja génétiquement modifié et les épandages de glyphosate : en 2012, le gouvernement mexicain donne le permis à Monsanto de cultiver des OGM sur les sols de sept états mexicains.

« Quand j’ai réalisé qu’ils étaient en train d’abattre la forêt et que les abeilles mouraient à cause de l’épandage, cela m’a rendue très en colère », confie Leydy Pech. Elle fédère alors un collectif de 30 communautés d’apiculteurs et agriculteurs mayas, les Cheneros (car tous issus de la région de Chenes) avec pour objectif la défense de l’agriculture traditionnelle, l’apiculture, la santé et l’alimentation. C’est là que s’initie le bras-de-fer entre Leydy et l’entreprise Monsanto ; c’est là que la lutte de David contre Goliath commence véritablement.

Le collectif des Chenes porte l’affaire en justice lorsqu’il découvre que les permis accordés à Monsanto l’ont été illégalement car les populations indigènes, qui auraient dû être consultées, ne l’ont jamais été. Les militants mayas essuieront bien sûr tentatives d’intimidations et de discrédit. Mais la détermination de Leydy et de ses compagnons est totale : « Je n’ai pas eu peur car, en tant que femme maya, je sais que je suis capable de me battre ! », affirme-t-elle. Le collectif parvient à prouver que du pollen de soja transgénique est présent dans le miel et que des traces de glyphosate subsistent dans l’eau et les urines des résidents.

Mexique : le juste combat de la gardienne des abeilles

Leydy en compagnie des « dames du miel » qui élèvent les abeilles mélipones. – © Goldman Environmental Prize

« Nous défendons la vie ! »

La bataille durera cinq années et, on le sait à présent, aboutira à la victoire. En 2017, la Cour suprême du Mexique exhorte le gouvernement à révoquer les permis accordés à Monsanto dans les sept états concernés. Mais entre-temps, des dégâts immenses ont été provoqués : « Nous défendons la vie ! Nos terres sont malades, les eaux de nos puits sont polluées, l’air que nous respirons est contaminé ! », s’écrie Leydy, pour qui le combat, alors, n’est pas terminé. En raison du manque de contrôles et de la corruption, les cultures transgéniques et l’épandage d’engrais chimiques perdurent. La déforestation rend le territoire de plus en plus vulnérable aux tempêtes et ouragans et détruit la biodiversité. Dans ce contexte où le temps est compté, la remise à Leydy du prix Goldman revêt une importance cruciale.

Durant ces cinq années, Leydy Pech et le collectif des Chenes ont parcouru le monde. Devant la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme ou au procès international de Monsanto à La Haye, ils ont par exemple plaidé leur cause. En septembre 2014, Leydy Pech est invitée aux Nations Unies à New York, dans le cadre du Sommet sur le réchauffement climatique, à recevoir le prix Équatorial. Elle déclare alors : « Nous devons tout d’abord prendre soin de nos ruchers, récolter le miel, travailler au local pour fabriquer la crème et les savons, mettre le miel en pot et surtout veiller à la santé de nos abeilles comme nous veillons à celle de nos enfants. Elles sont notre priorité́. Jamais nous n’aurions pensé́ qu’un jour nous volerions ainsi sur les ailes de nos petites abeilles. » 

Leydy rappelle que ce que son peuple désire est de pouvoir vivre dignement, dans le respect de sa culture et en bonne santé. La priorité, ce sont donc les abeilles, confie Leydy : les apicultrices du groupement Koolel Kab subviennent aux besoins de leurs familles, permettent à leurs enfants d’aller à l’école et, pour certains d’entre eux, à l’université. C’est dans ce combat-là, pour une agriculture biologique génératrice de revenus pour les communautés Mayas du Yucatán, pour la promotion d’un modèle de développement plus holistique et respectueux des droits humains, que Muuch Kambal et le Secours populaire jettent conjointement leurs forces depuis 25 ans à présent. 

Changer le cours de l’histoire est possible

Quand la crise sanitaire a violemment éprouvé les populations, le Secours populaire a été présent auprès de Muuch Kambal dès le printemps 2020, en finançant l’achat de médicaments et de trousses de premiers secours pour les dispensaires de vingt communautés. Puis est conjointement imaginé un programme de festivités pour Noël, afin d’offrir des moments de joie et de convivialité pour les habitants des communautés Mayas du canton de Hopelchén. La crise sanitaire a fait se resserrer plus encore les liens de solidarité tissés depuis un quart de siècle entre les associations française et mexicaine et démontré leur solidité et leur souplesse.

Quand Leydy Pech apprend de la fondation Goldman qu’elle va recevoir le prix pour son action en faveur de l’environnement, elle écrit ces mots à Dany Saint-Amans, membre du Conseil d’administration du Secours populaire et cheville ouvrière des liens tissés avec Muuch Kambal : « Ce qui me touche le plus, c’est de savoir que je ne suis pas seule et que ce prix est le résultat des efforts de nombreuses personnes qui sont convaincues que lutter pour défendre la vie n’a pas de frontières et qu’il est finalement possible de changer le cours de l’histoire. » Puis, Leydy ajoute : « A la nouvelle du prix Goldman, j’ai compris que nous étions sur la bonne voie et que c’était une belle opportunité pour faire connaître le juste combat du peuple Maya. »

 

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