Protéger
Liban : « Je ne savais pas quoi faire pour protéger mon bébé du fracas »

Les bombes qui s’abattent sur le Liban du Sud ont fait fuir un million de personnes vers le nord du pays. Parmi elles, 165 000 vivent dans quelque 800 abris collectifs. Fatima Abed Alnabi est l’une d’elles. Elle a trouvé refuge avec son nourrisson dans l’école Dr Hikmat Al Sabbagh à Saïda, que les volontaires du partenaire libanais du Secours populaire, DPNA, on transformée en foyer de vie pour 450 personnes. Sur le drame qu’elle traverse ainsi que la solidarité que lui apporte DPNA, Fatima se confie.
Bonjour Fatima. Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Fatima Abed Alnabi. J’ai 24 ans. Je suis enseignante en sciences dans un collège. J’habite dans le village de Kaakaaiyet-El-Jisr, au sud du Liban. Mon village est situé sur une colline surplombant le fleuve Litani et est bien connu au Liban pour ses vergers de citronniers et d’oliviers. Ma maison est reculée et entourée d’arbres ; c’est une maison en pierre qui a cent ans. Je ne sais pas si elle est intacte ou si elle est détruite. Je suis la maman d’un bébé de 20 jours. Rita est mon premier enfant.
Comment se sont passées les journées qui ont précédé les bombardements ?
Mon bébé avait 10 jours quand mon village a été bombardé. J’étais en convalescence car ma fille est née par césarienne. Je venais juste de rentrer de l’hôpital, je devais me reposer à la maison. Avant l’accouchement, je consacrais mes journées à mes études, à réviser mes cours car j’ai passé des examens, juste avant la naissance de mon enfant, pour obtenir un diplôme en comptabilité.
Pouvez-vous nous décrire la journée où vous avez dû fuir votre maison ?
Le lundi 23 septembre au matin, nous avons été réveillées par le bruit de bombardements qui nous semblaient encore lointains. Nous avons reçu sur nos téléphones un message de l’armée israélienne nous enjoignant de quitter nos maisons. Cet ordre, certains habitants disaient qu’il fallait le suivre, d’autres disaient que non. Il y a eu beaucoup de confusion. Mon mari Naeem était à Beyrouth ce jour-là. Les bombardements se sont rapprochés, jusqu’à atteindre notre village. Je ne savais pas quoi faire pour protéger mon bébé du fracas. Ma maman, qui était avec moi à la maison, m’a dit de prendre une valise et de la remplir d’affaires pour le bébé. C’est ce que j’ai fait et ensuite, nous avons pris la fuite. Mon papa était dans un autre village, tout près de la frontière israélienne. Alors c’est moi qui ai dû conduire la voiture. Quand nous avons atteint Nabatiyeh, les bombardements faisaient rage : à droite, à gauche, partout, des bombes tombaient sur les villages. Des vitres explosaient autour de nous, des bâtiments tombaient. J’allaitais mon enfant quand notre voiture était à l’arrêt, prise dans les embouteillages. Notre trajet jusque Saïda a duré 11 heures – d’habitude, cette portion de route, nous la faisons en 40 minutes. Nous sommes parmi les premières familles qui ont fui ; je sais que les familles qui sont parties quelques heures plus tard ont mis plus de 30 heures pour arriver jusqu’ici.
Qu’avez-vous fait, une fois arrivées à destination ?
Nous avions prévu de nous rendre à Beyrouth mais comme le trajet avait été très long, que j’étais épuisée en raison de ma césarienne, nous avons décidé de rester ici, à Saïda. Ma maman a demandé aux habitants où nous pouvions nous réfugier et on nous a conseillé d’aller voir à la mairie. Nous y sommes allées, nous sommes fait enregistrer et on nous a dirigées vers cette école. Les volontaires de DPNA nous ont accueillies, donné à manger, préparé de quoi dormir. Le lendemain, nous devions repartir pour Beyrouth mais j’ai été prise d’une forte fièvre, la cicatrice s’était inflammée et infectée, et j’ai été conduite par DPNA à l’hôpital. J’y ai été soignée. A présent, nous restons dans cette école, il faut que je me repose. Et nous n’avons plus le projet d’aller à Beyrouth car les bombardements ont commencé aussi là-bas. Mon mari y est coincé ; la route qui va de Beyrouth à Sidon est impraticable, trop dangereuse. J’ai très peur pour mon pays car je sens qu’il n’y a plus d’endroit sûr au Liban.
Comment s’organise votre vie quotidienne dans cette école ?
Je passe mes journées à attendre… Je ne fais rien. Il y a beaucoup de personnes déplacées dans cette école : nous sommes cinq familles à vivre dans une seule salle de classe, je ne peux pas me reposer comme je le devrais. Je ne parviens pas, à cause de tous les va-et-vient et du bruit continuel, à endormir mon bébé. A l’inverse, quand il pleure, il empêche les familles qui vivent dans la même pièce que nous de dormir. C’est épuisant.

« DPNA pourvoit à nos besoins : de la nourriture à l’eau potable, de l’eau pour les douches et les toilettes aux couches pour mon nourrisson, les médicaments, l’électricité. Les volontaires ont aménagé cette école afin que nous puissions y vivre dignement. Ils sont très attentifs, très présents. »
Quelle aide vous apportent les équipes de DPNA ?
Le premier jour, quand nous sommes arrivées à l’école, j’ai dû donner sa douche au bébé avec de l’eau froide. Depuis, DPNA a installé l’eau chaude. Ici, l’association pourvoit à tous nos besoins : de la nourriture à l’eau potable, de l’eau pour les douches et les toilettes aux couches pour mon nourrisson, les médicaments, l’électricité. Les volontaires ont aménagé cette école afin que nous puissions y vivre dignement. Ils sont très attentifs, très présents. Merci à eux, car nous n’avons pas les moyens de louer une maison ou un appartement à Saïda, c’est trop cher. D’autant que certaines personnes profitent de cette situation pour augmenter le coût des loyers.
Quel est le plus grand espoir que vous nourrissez ?
Avant, mon espoir était de voir ma fille grandir et vivre sa vie. Mais aujourd’hui, mon espoir, c’est de pouvoir disposer d’une petite chambre pour ma fille et moi, que nous puissions retrouver un peu d’intimité. Elle a vingt jours et elle n’a vécu que dix jours dans sa maison, avec sa maman et son papa et depuis dix jours, elle vit loin de son village, de sa maison et de son papa. Ma fille n’est pas consciente, peut-être, de cette situation dramatique mais j’ai très peur de lui transmettre, en l’allaitant par exemple, le stress continuel que j’éprouve. Tout ce que j’espère, c’est d’être en mesure de la protéger, de lui donner à manger et de m’occuper d’elle le mieux possible.
Propos recueillis le 3 octobre 2024 avec l’aide précieuse de Jihad Bouez, chef de projet à DPNA. Photographies prises par Anthony Bou Rached, responsable de la communication et des partenariats à DPNA. Merci à eux.
Notre partenaire en première ligne de l’aide aux déplacés du Sud-Liban
Notre partenaire libanais DPNA (Association pour le développement de la nature et des humains) s’est porté, dès les premiers bombardements le 23 septembre, au secours des dizaines de milliers de familles qui ont fui leurs villages du Sud-Liban pour venir se réfugier dans la ville de Saïda. DPNA gère intégralement l’accueil de 450 personnes dans une école publique de la ville. Elle a ainsi équipé les salles de classe en matelas, matelas, draps et couvertures, réparé les toilettes et installé des douches, fait venir des citernes d’eau et des générateurs électriques.
Pour ces familles épuisées et démunies, qui ont quitté leurs foyers dans la précipitation et la terreur, 25 volontaires de DPNA, présents 24 heures sur 24, assurent un accompagnement global : repas chauds, soutien psychosocial, activités de loisirs pour les enfants, fourniture de produits de toilette, de médicaments, de vêtements, de produits d’hygiène adaptés pour les femmes et les bébés. Il s’agit pour les volontaires d’être au plus près des besoins. Le Secours populaire, fort d’un soutien de 250 000 € à ce jour, est le partenaire principal de DPNA dans le déploiement de cette action d’urgence.
Action qui se déploie dans d’autres quartiers de Saïda ainsi que dans la région de Jezzine, via la distribution de paniers-repas et kits d’hygiène dans différents points d’accueil collectif pour les déplacés (églises, écoles, dispensaires, etc.), ainsi qu’à des familles ayant trouvé refuge chez des proches. Enfin, DPNA a également pris en charge l’accueil de familles déplacées dans une école publique du village de Lebaa, tout près de Jezzine. En tout, ce sont 980 personnes que les volontaires de DPNA réconfortent à présent, leur prodiguant leur irremplaçable et chaleureuse solidarité.