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La lassitude des sinistrés du mal-logement à Marseille

Mis à jour le par Anne-Marie Cousin
Régulièrement des sinsitrés de la rue d'Aubagne retournent chez eux pour récupérer quelques afffaires.

Trois mois après l’effondrement mortel de deux immeubles de la rue d’Aubagne, plus de 1 500 sinistrés marseillais restent logés provisoirement dans des hôtels de la ville, dans une grande précarité. Un quotidien difficile pour les familles qui attendent d’être relogées.  

Dans le quartier de Noailles, où a eu lieu le drame du 5 novembre, plusieurs portes d’immeubles restent murées. Les experts ont préféré condamner les bâtiments de peur d’un nouvel effondrement. Derrière ces portes closes, c’est une misère du quotidien qui a été révélée. Les sinistrés témoignent de conditions de vie déplorables dans des logements souvent insalubres. Comme Bouabdellah, évacué le 1er décembre de son immeuble « pourri », selon ses propres mots. Ancien maçon, il avait lui-même effectué quelques travaux chez lui, pour réparer entre autres de grosses fissures sur les murs… Tous les sinistrés rencontrés racontent à peu près la même histoire : le ou la propriétaire, une fois prévenu(e), affirme avoir mandaté le syndicat de copropriété pour faire des travaux… qui n’ont jamais lieu. Fatiha, elle, a pris les devants quand elle a appris l’effondrement : le 17 novembre, c’est elle qui a appelé les pompiers pour les prévenir. « Le sol de la chambre était fissuré, des pierres sont même tombées de la façade. C’est grave ! » Comme beaucoup, elle avait alerté l’agence gestionnaire de son immeuble, en vain. « Donc, on s’est sauvés… On ne fait pas ça par plaisir ! » Avec six membres de sa famille, dont 4 enfants, elle a été relogée à l’hôtel. Depuis, elle a l’impression d’être baladée. Cette fois-ci, l’agence lui promet que les travaux seront faits dans la semaine. Mais vu l’ampleur des dégâts, elle n’y croit pas.

L’inquiétude des habitants

Depuis l’effondrement de la rue d’Aubagne, les habitants du centre-ville sont inquiets. En tout, ce sont près de 2.000 personnes qui ont été évacuées de plus de 200 immeubles considérés comme dangereux dans toute la ville. Et des évacuations ont lieu presque tous les jours. La plupart des sinistrés sont dans une grande précarité économique, voire juridique. Et trois mois après, la lassitude règne. Fatima, sinistrée de 62 ans, le déplore : « On a demandé un hôtel avec cuisine, car après tout ce temps, on aimerait se faire de bons petits plats ! » Elle montre son gilet de grosse laine en expliquant être sortie en pyjama le jour de l’effondrement. « On m’a donné tout ce que j’ai sur moi… » Un peu plus au Nord, Boulevard de la Libération, autre quartier, même ambiance. Nadia, responsable de l’association « Coup de pouce du cœur », nous indique que dans deux rues adjacentes à son local, deux immeubles sont condamnés. Une dizaine de familles en ont été évacuées. A l’angle de l’une d’elle (rue Saint-Vincent-de-Paul), un immeuble est étayé par de grosses poutrelles métalliques. Une inquiétante fissure verticale apparaît sur la façade. Nadia s’inquiète : « Si celui-ci s’effondre, c’est toute la rue qui va tomber comme des dominos ! » Récemment, une voisine l’a appelé car elle s’inquiétait de voir la cheminée du local s’effriter… Mohamed, bénévole de l’association et voisin, note un changement depuis le drame : « Pendant un certain temps, il y a eu un certain laisser-aller, mais là, il y a une prise de conscience générale. Le sujet hante les conversations, les gens ne s’attendaient pas à une telle catastrophe. Il règne une certaine atmosphère de fin du monde… »

De bénévole à sinistrée

Selon Houaria, mère célibataire de 4 enfants, la seule réponse possible, c’est l’entraide. Bénévole au Secours populaire depuis son arrivée d’Algérie il y a un peu plus de 2 ans, elle est aujourd’hui sinistrée. « Je donne, je reçois, pour moi ça marche dans les deux sens ! » Évacuée de son appartement (rue Saint-Bazile) le 11 décembre alors que ses plus grands enfants étaient à l’école, elle n’a toujours pas pu retourner chez elle. Vue sa situation, elle a été rapidement relogée dans un coquet deux pièces près du Vieux-Port. Tout ce qui lui appartient tient à présent dans une grande valise. Inquiète pour la santé de ses enfants, c’est elle qui a alerté les pompiers sur l’état d’insalubrité avancé de son logement. Malgré une grosse bosse dans le mur au niveau du tuyau de gaz, les pompiers l’ont rassurée une première fois. Lors d’une seconde visite 20 jours plus tard, il a fallu quitter les lieux précipitamment. L’accès à toute une portion de sa rue est aujourd’hui bloqué, plusieurs immeubles menaçants de s’effondrer. « Il a fallu partir tout de suite, c’était devenu urgent », se rappelle Houaria avec émotion.

Des rats dans l’appartement

Hakima, elle, profite ce jour-là de l’appel de sa propriétaire, venue constater les dégâts dans son appartement (rue Longue des Capucins) pour récupérer quelques affaires pour ses filles, malgré l’interdiction. La porte de son immeuble est désormais fermée par une grosse chaîne métallique et un cadenas. Dans une petite valise à fleurs, elle a entassé à la va-vite quelques vêtements et une Box internet. « Ça fait presque 3 mois qu’on est à l’hôtel, c’est long ! » Sa voisine de pallier, Nassima, locataire depuis 2 ans, avait bien constaté que le bâtiment se dégradait à vue d’œil… Sa fenêtre ne fermait plus depuis des mois et les fissures dans la cage d’escalier n’ont fait que s’agrandir. Récemment, les locataires étaient même aux prises avec des rats installés dans l’immeuble ! Relogée dans un hôtel près de l’hôpital de la Timone, elle vient d’apprendre qu’elle et sa famille y resteraient jusqu’à la fin du mois. Encore de nombreux jours d’incertitude. Selon les chiffres fournis par la Mairie de secteur fin janvier, 68 immeubles avaient pu être réintégrés, ce qui signifie que 399 personnes ont pu retrouver leur foyer. Mais les solutions proposées ne sont pas assez nombreuses. En moyenne, pour un appartement proposé, trois candidats se présentent. Ça fait deux personnes qui restent sans solution… Le drame de Marseille a révélé une situation intolérable pour des milliers de mal-logés et mis en avant l’urgence d’affronter une réalité qui concerne aujourd’hui en France entre 900 000 et 1 300 000 personnes, contraintes de vivre dans des conditions dangereuses et indignes. Toutes les grandes villes sont concernées par ce fléau.

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