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Pas-de-Calais : auprès de ceux qui ont tout perdu

Mis à jour le par Olivier Vilain
A Frencq, l'équipe de bénévoles est accueillie par Christèle qui vient de retrouver la seule photo de famille qui lui reste. @J-M. Rayapen / SPF

Depuis la mi-novembre, les habitants du Pas-de-Calais vivent avec les inondations. Une eau présente partout, sur les routes, dans les champs, les caves… Les sinistrés se comptent par milliers. Les bénévoles du Secours populaire sillonnent la région pour remplacer le gros électroménager et apporter du réconfort auprès de ceux qui « ont tout perdu » et qui désormais « ont peur dès qu’il pleut ».

Une situation totalement inédite. Dans la région de Boulogne-sur-Mer, les pluies diluviennes s’enchaînent, transformant de paisibles petits cours d’eau en rivières déchainées, arrachant tout sur leur passage. Selon les mesures de Météo France, la France dans son ensemble a battu des records de pluviométrie l’automne dernier, tant en nombre de jours de pluie, qu’en terme de quantité : les précipitations sont supérieures de 40 % à la moyenne de longue durée. Des niveaux que les météorologues comparent à ceux observés lors des événements remarquables comme les tempêtes Xynthia en 1999 ou Alex en 2020. Des événements qui vont être plus fréquents à cause du dérèglement climatique, comme le démontrent les scientifiques du GIEC depuis 30 ans.

Précipitations records, nappes saturées et ruissellement

Les inondations ont fait des milliers de sinistrés. Comme eux, Nathalie – une aide-soignante de 54 ans travaillant en EHPAD – a vu sa maison dévastée par pas moins de quatre crues entre la mi-novembre et le début du mois de janvier. « La première fois, 15 centimètres puis 30 puis 10 et jusqu’à 80 centimètres de haut. Vous voyez le résultat », dit-elle en se poussant d’un côté du couloir de l’entrée pour laisser l’œil embrasser en même temps le salon, sur la gauche, et la cuisine, dans le prolongement de l’entrée. Les pièces sont vides, à part des tables qui ressemblent à des arches de Noé avec une foule d’objets sauvés des eaux, les murs sont à nus sur une bande d’un mètre. « On a dû tout enlever : les meubles, y compris le réfrigérateur qui naviguait dans le salon, tout le placo et les carreaux de faïence… »

Depuis plusieurs semaines, le Secours populaire apporte de l’aide et du réconfort aux sinistrés. Pour seconder les bénévoles du département, une équipe d’hommes et de femmes expérimentés est venue de Haute-Garonne et du Tarn. Comme Frédéric, Carole, Bernard ou Alain, ils avaient tous l’expérience des inondations dans l’Aude, en 2018, et d’une aide apportée sur une longue durée, y compris quand les caméras étaient parties depuis longtemps.

Nathalie devant le four apporté par le Secours populaire. « Je ne la ramène pas quand il pleut. » @J-M. Rayapen / SPF

Ce lundi, Bernard et Alain se rendent au magasin But de Boulogne. A la veille du week-end, une équipe du Secours populaire avait rencontré son directeur Rémy Poitevin, qui a parfaitement fait fonctionner le partenariat entre l’enseigne et l’association : remise de 5 % accordée sur le matériel acheté, une camionnette mise à disposition et l’essence offerte. Lorsque les bénévoles sont allés chercher la camionnette mise à disposition, le lundi matin, tout était été chargé : réfrigérateurs, machines à laver, à sécher, fours, cuisinières… Direction, Hesdigneul-lès-Boulogne. Pour livrer un four et une armoire à Nathalie, avant de continuer sur Frencq, à une encablure de la cité balnéaire du Touquet et Brimeux, plus loin dans les terres.

Voyant la camionnette se garer, Benoît et sa femme Christèle passent le volet mécanique que l’eau a défoncé, quinze jours avant, et contournent les meubles recouverts d’une couche de boue qui encombrent leur cour étroite. Commodes, tables, fauteuils sont plantés dans la terre détrempée, de travers, en équilibre instable. Christèle tient dans ses mains une photo de famille, humide, devenue sépia. « C’est la seule photo qu’on a sauvée. Tous les souvenirs ont été emportés. Il ne reste rien. » C’est la première fois que les bénévoles les rencontrent. Ils prennent rendez-vous pour faire le point sur leurs besoins. C’est leur voisin qui attendait Bernard et Alain.

La première crue n’a duré qu’une journée. Le jeudi on avait tout nettoyé. On s’est dit que c’était derrière nous, qu’on s’en était bien tirés. Mais c’était sans compter la deuxième vague. C’est le lendemain matin qu’on a pris le bouillon

Sylvain, 58 ans, mécanicien dans une sucrerie

Sylvain, 58 ans, ouvrier mécanicien dans une sucrerie à betteraves, située non loin de là, les accueille sur le seuil puis après quelques pas, apparait un salon dévasté. « La première crue n’a duré qu’une journée. Le jeudi on avait tout nettoyé. Les affaires séchaient. On s’est dit que c’était derrière nous, qu’on s’en était bien tirés. Mais c’était sans compter la deuxième vague. C’est le lendemain matin qu’on a pris le bouillon… » Là, l’eau est montée plus haut et surtout a stagné pendant des jours. Rien ne s’écoulait, les eaux ruisselaient des champs et les nappes phréatiques remontaient. Le mur et les meubles ont absorbé des mètres cubes et des mètres cubes. « Il ne nous reste rien ; c’est dur, vous savez », dit cet homme solide, alors que sa voix se noue à l’évocation du drame et alors que ses yeux découvrent le réfrigérateur imposant encore dans son carton que viennent de déposer Bernard et Alain.

Les sinistrés sont confrontés à la destruction de leur vie d’avant, de ce qui faisait leur petit bonheur quotidien. L’eau s’est retirée mais un hôte particulièrement malvenu s’est, lui, installé à demeure, dans une odeur de macération pestilentielle : la peur. Le traumatisme des flots qui montent, qui n’arrêtent pas de monter ; la peur que ça recommence. « Le sol est saturé. Les nappes phréatiques débordent. C’est simple, s’il pleut la nuit, je ne peux pas fermer l’œil, je suis à la fenêtre, je surveille s’il faut que ma femme se dépêche de partir avec sa voiture et nos deux enfants », raconte Nicolas, jeune trentenaire, qui vit au Brimeux.

 L’eau, ici, fait partie du paysage ; il y a un peu partout des rivières, des petits ponts, des marais. C’est le charme du coin. Désormais, ils la voient tous comme un danger qui peut frapper à tout moment

Frédéric, bénévole venu du Sud-Ouest

Il regarde à travers la fenêtre du salon, celle qui donne sur le jardin de la voisine, de l’autre côté de la rue, sur son versant le plus élevé. Aux extrémités, les restes dentelés d’un puissant mur maçonné en pierres de taille. « Quand il s’est écroulé sous la pression de l’eau, une vague a envahi d’un coup toute la maison. » Aussi épais qu’un avant-bras, le mur n’en a pas moins été emporté sur une vingtaine de mètres, laissant le jardin avachi sur la route comme une grande bouche restée ouverte. La fille de Nicolas, 9 ans, verra un psychologue pour chasser de ses pensées les inondations et les angoisses qui ne la quittent pas.

« Ils sont tous traumatisés », relève Frédéric qui sillonne les routes depuis une semaine pour répertorier les besoins des gens et organiser les livraisons. « L’eau, ici, fait partie du paysage ; il y a un peu partout des rivières, des petits ponts, des marais. C’est le charme du coin. Désormais, ils la voient tous comme un danger qui peut frapper à tout moment. » Les champs sont humides, une fine couche d’eau est visible dans les sillons ; parfois, des étangs se sont formés sur les points bas du relief. Par endroits, les rivières enjambent encore les routes. Autour de Montreuil-sur-Mer, la Canche qui s’écoule paisiblement d’ordinaire a transformé la forêt en mangrove. « Tous les habitants ont des points de repères, si l’eau arrive à ce niveau, ça va encore ; si elle continue de monter, il faut partir… » Sylvain fait les 3×8 à la sucrerie. Il est rentré à 5 heures ce matin. Il repartira à l’usine à 21 heures. En attendant, il surveille le crachin : « Il pleut depuis hier, on n’est pas tranquille. Ma femme m’a appelé depuis son travail pour savoir si l’eau n’avait pas trop monté. »

Nicolas réceptionne le combiné machine à laver/sèche-linge. « Depuis des semaines, je fais la lessive à la main pour une famille de quatre. » @J-M. Rayapen / SPF

« Quand il pleut, je ne la ramène pas », lâche Nathalie. Les quatre alertes vigilance inondation se sont soldées par quelques blessés seulement grâce à une excellente organisation des pompiers. « Aucun véhicule ne pouvait plus passer. J’ai dû appeler les pompiers, qui m’ont évacué dans un grand zodiac », se rappelle Nathalie. « J’ai pris le téléphone quand j’ai vu que l’eau montait vite, et fort. Je ne les ai attendus que 10 minutes, mais pendant ce temps, le niveau est monté de 10 centimètres. » A la fin, Nathalie ne voyait plus le radiateur de sa cuisine. D’ordinaire paisible, le petit ruisseau de la Liane avait plongé tout le quartier sous l’eau. Son voisin de 80 ans a dû être hélitreuillé.

Grosses pertes financières pour les familles

« On a tout perdu, on a tout perdu. Je n’ai sauvé que mes papiers et mes photos », se désole Nathalie. C’est aussi le cas de François, à Montreuil-sur-Mer. C’est sa mère qui accueille les bénévoles. « Il ne peut pas être là, après deux mois en dépression, il vient juste de reprendre son travail. » Là aussi, l’intérieur de la maison a été dévasté. « Il l’avait acheté au printemps et il venait juste de terminer tous les travaux. » Le gros électroménager déposé par Bernard et Alain va bien aider. Frédéric les a rejoints : « A la fin de la semaine, on vous apporte cinq stères de bois de chauffage comme convenu », dit-il en regardant le jardin jonché de buches dans tous les sens, totalement imbibées, rendues inutilisables. « Mon fils a déjà prévu où ce sera stocké. Ça va bien l’aider, oui », lui répond Françoise.

Employé dans une agence immobilière, Nicolas lui non plus n’a pas retravaillé depuis deux mois : « Je n’ai plus de voiture, c’est une épave, et sans je ne peux pas transporter mes clients, me rendre aux rendez-vous… » La chute de revenus devrait s’étendre sur trois mois supplémentaires, selon ses prévisions. En attendant, les dépenses filent. Tant que l’assurance n’a pas statué, il doit continuer à payer le crédit automobile. « Je paie en plus jusqu’à 30 ou 40 euros par jour en électricité, car je chauffe la maison de manière à faciliter le séchage des murs. » Pour le moment, les économies font tampon.

« Surtout vous repassez tous ici prendre le café. »

Les solidarités familiales ou au travail ont été importantes. « On se rend compte qu’on n’est pas seul et ça, c’est beaucoup », confie Sylvain. Des collègues de Nathalie lui apportent des meubles. « Mais ce n’est pas facile de laisser entrer les gens dans notre intimité comme ça, après une telle catastrophe », dit-elle en fondant en larmes. Elle sait que l’équipe du Secours populaire venue du Sud-Ouest repartira dans quelques jours après avoir rencontré plus de 250 familles et en avoir dépanné une cinquantaine. Nathalie attrape l’avant-bras d’Alain : « Surtout vous repassez ici avant de repartir, vous venez tous prendre le café. » L’invitation est lancée. L’équipe repassera.

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