Copain du Monde

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Isra, 12 ans : « La solidarité, ça m’apporte de la joie »

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Isra Atsemani, place du Général de Gaulle dans sa ville de Marseille, le 29 juin 2022. ©Maïté Baldi / SPF

Quand les bénévoles du Secours populaire sont des enfants, on les appelle des « Copain du Monde ». Ils déploient une énergie immense pour faire vivre leur maître-mot : la solidarité. A Marseille, les « Copain du Monde » sont nombreux et beaucoup de passants les reconnaissent, pour les voir souvent collecter ou venir en aide aux sans-abris. A la ville de Marseille, ils apportent un supplément d’âme, font briller son soleil plus fort. Parmi ces enfants, il y a Isra, 12 ans. Portrait d’une jeune fille solidaire.

Isra, douze ans, marche dans les rues de Marseille de son pas tranquille. Son visage ne se départit pas d’un léger sourire. Dans sa main droite, elle tient une tirelire, dans laquelle les passants qu’elle interpelle glissent quelques pièces de monnaie, parfois des billets. Elle est en binôme avec Chiraz, qui fait elle aussi partie de « Copain du Monde », le mouvement d’enfants du Secours populaire et, comme souvent le mercredi après-midi, elle fait une collecte. Aujourd’hui, les deux jeunes adolescentes, comme une vingtaine d’autres enfants bénévoles répartis dans le centre-ville, se mobilisent pour les oubliés des vacances. « Une collecte qui m’a marquée, c’est celle que nous avons faite l’été dernier, pour aider après les incendies en Algérie, se souvient Isra. Et aussi quand nous avons collecté avec les Copain du Monde de Nice pour les sinistrés de la tempête Alex ! » Isra marque un temps d’arrêt – ce sera l’un des seuls qu’elle s’octroiera en cette chaude journée : « J’aime les collectes car elles me rappellent qu’il existe beaucoup de gens généreux. »

Des enfants sensibles

La détermination douce d’Isra et Chiraz est efficace : leur tirelire s’alourdit au fur et à mesure qu’elles arpentent les rues de leur ville. « Avoir un message clair, confiance en soi et le sourire ! », confie Isra un peu plus tôt dans l’après-midi, quand on lui demande la recette d’une collecte réussie. Après deux heures au cours desquelles les deux amies n’auront manqué ni de courage ni de persuasion, elles se dirigent vers le point de rendez-vous : le carrousel place du général de Gaulle. Elles traversent la Canebière, qui découvre les lumières bleues et or du bassin du Vieux-Port dans lequel tape le soleil de ce début d’été, et retrouvent tous leurs amis. C’est une joyeuse troupe, vêtue des chasubles bleues du Secours populaire, qui après leur mission accomplie, chahute et rit. Quelques mamans sont là aussi, dont Meriem : « Isra et mon fils aîné, Mohamed, sont des enfants sensibles ; il arrive à Isra de pleurer quand il arrive un drame sur la planète. Ils ont commencé il y a 4 ans à être des « Copain du Monde ». La première fois qu’ils ont fait une maraude, ils sont revenus heureux. Depuis ce jour, ils pensent toujours aux autres. Je suis fière d’eux. »

Isra, 12 ans : La solidarité, ça m’apporte de la joie
Chiraz et Isra collectent dans les environs de la Canebière pour la campagne vacances du Secours populaire. ©Maïté Baldi/SPF

La veille, les « Copain du Monde » de Marseille s’étaient déjà retrouvés devant le carrousel. C’était mardi et tous les mardis et vendredis, à 19h, ils effectuent la maraude, afin d’offrir aux sans-abri de quoi boire et manger, un mot d’encouragement et un sourire. Djaouida, responsable bénévole de l’antenne de Marseille Centre-Ville, que tous les enfants et les jeunes appellent « Tata », est déjà là bien sûr – Djaouida est de toute façon toujours là. « Le matin, c’est la solidarité qui me fait me lever ! », aime-t-elle à dire. Pour elle, la solidarité est le plus précieux de tous les biens ; elle est une flamme qu’il convient de garder vive sinon les ténèbres – « la guerre, l’égoïsme, le repli sur soi, l’intolérance » – prendraient le dessus. Dans un caddie, elle a apporté des packs de petites bouteilles d’eau. A son signal, toute la troupe se serre autour d’elle. Les visages deviennent plus graves tout à coup, alors que quelques minutes plus tôt, Isra, Safia, Chiraz et Sarah faisaient la course dans la rue, riant aux éclats.

« Marseille serait triste s’ils n’étaient pas là »

La première étape est la « Mie câline », une boulangerie près du port, tenue par Fara. Celle-ci remet aux enfants tous les invendus du jour, qu’ils pourront ainsi redistribuer : baguettes, sandwiches, viennoiseries, gâteaux. Puis la tournée commence : sous les yeux attentifs des enfants, tout un monde s’anime. Celles et ceux que l’on ne voie plus, qui se fondent sous les porches ou s’immobilisent sur les trottoirs, redeviennent visibles. Un homme, qui peine à se déplacer en béquilles, leur demande : « C’est bien vrai, vous avez à manger ? » Dans la main d’une femme seule avec sa petite fille, Isra remet le plus délicatement possible un petit sac de vivres tel un trésor. Auprès d’un homme qui dort sur un matelas de fortune, Sarah pose une bouteille d’eau et un sandwich, en prenant garde de ne pas le réveiller, comme on le ferait pour un enfant. Si la plupart des sans-abris reconnait la petite bande et la salue chaleureusement, il en est de même pour certains passants. « Bonne chance », leur lance une mère accompagnée de sa fille ; « Ils sont formidables ces enfants« , souffle un vieil homme. Une silhouette gracile approche bientôt : c’est Nina, qui tient sa petite fille par la main. Elle est venue saluer Djaouida et les « Copain du Monde ». Durant deux ans, elle a vécu dans la rue. « J’en suis sortie cette année, explique la jeune maman. Les enfants du Secours populaire m’ont aidée durant tout ce temps. Ils ont été ma bouffée d’air et mon rayon de soleil. Ils m’ont donné à manger et à boire et surtout beaucoup de courage pour affronter mes journées. Marseille serait triste s’ils n’étaient pas là… »

Isra, 12 ans : La solidarité, ça m’apporte de la joie
Isra participe chaque mardi soir à la maraude, lors de laquelle les enfants « Copain du Monde » offrent aux sans-abris à boire, à manger et la chaleur de leurs sourires. ©Maïté Baldi/SPF

La lumière décline sur la Canebière tandis que la tournée prend fin. Un grand sourire fend les visages. « Ça me fait du bien de pouvoir aider les gens dans la souffrance. Je suis fière de moi et j’oublie mes propres problèmes », songe Sarah. Isra, quant à elle, confie : « Aider l’autre sans le juger, sur son apparence par exemple, c’est ça la solidarité. Ça nous rappelle que nous sommes tous égaux. Et ça m’apporte du bonheur, beaucoup de bonheur. De la joie même ! » Les quelques baguettes qui restent, Djaouida les rompt et les répartit entre les enfants. « La moitié des « Copain du Monde » viennent eux-mêmes de familles qui peinent à se nourrir », confie-t-elle. « Certaines sont précaires, d’autres sans-papiers, d’autres sinistrées de la rue d’Aubagne. Beaucoup de ces enfants ont appris à nager ou découvert le cinéma avec le Secours populaire. Certains partent en vacances avec le Secours… », éclaire Djaouida. Ce sera le cas pour Isra, son frère Mohamed et Meriem, leur maman, qui découvriront les joies d’un camping, pendant une semaine, dans quelques jours à peine. Sarah et Chiraz seront là elles aussi. Il leur tarde de découvrir la piscine. Deux questions leur brûlent cependant les lèvres, qu’elles ne tardent pas à poser à Tata Djaouida. « Il y aura la Wi-Fi ? » demandent-elle tout d’abord. Puis : « Au village vacances, on pourra faire une collecte pour la solidarité ? »

Isra, 12 ans : La solidarité, ça m’apporte de la joie
Djaouida et une partie des enfants « Copain du Monde » de l’antenne de Marseille Centre-Ville, après la collecte pour les oubliés des vacances. ©Maïté Baldi/SPF

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