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Bertille : quelques instants de splendeur

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Bertille Debanne, le 19 avril 2024, à Strasbourg. ©Jean-Marie Rayapen/SPF

D’abord au sein de la fédération du Val-d’Oise dès l’âge de 17 ans, puis de la fédération du Bas-Rhin, Bertille Debanne, 21 ans, s’engage au Secours populaire pour un monde plus juste. L’impériosité de la solidarité internationale et l’accès de toutes et tous à la culture sont les deux cœurs battants de sa vie animée par l’action. Cette vie, elle ne l’imaginerait pas autrement que grand ouverte et tournée vers les autres. Rencontre.

La détermination délivrée en un sourire, confiée d’une voix douce, un peu grave. Nous rencontrons Bertille à Strasbourg le 19 avril 2024, sur les lieux où se déroule la « Semaine d’animations autour de la solidarité en Palestine » organisée par le Secours populaire, pour laquelle elle s’est beaucoup investie. Exposition de photographies, braderie solidaire, table ronde, soirée festive : il faut à tout prix éveiller les consciences et collecter des fonds pour PMRS, l’association médicale palestinienne partenaire du Secours populaire, qui œuvre dans des conditions épouvantables, à Gaza mais aussi en Cisjordanie. « La souffrance quotidienne que vit le peuple palestinien me met en colère.  C’est une question qui me ronge. Je ne peux pas rester les bras croisés », confie-t-elle. La solidarité internationale, Bertille l’a découverte au fil de son engagement au Secours populaire. « Nous avons toujours à apprendre de ce qui se passe ailleurs dans le monde, les cultures et les expériences doivent se partager. » Il y a peu, elle faisait partie de la délégation de jeunes bénévoles du Secours populaire qui se sont rendus à Pékin, afin de tisser des liens d’amitié avec de jeunes Chinois et imaginer des projets de solidarité communs. « Ce séjour a clarifié mon engagement. J’ai apprécié échanger et pouvoir initier des projets, analyse-t-elle. J’ai moins aimé les moments diplomatiques : même si c’étaient des moments privilégiés, ça ne m’intéresse pas de rencontrer des gens “importants”. Je préfère être dans l’action, aider ceux qui en ont besoin, sur le terrain. »

« Peser sur les événements, aider à mon échelle »

Elle découvre le “terrain” à l’âge de 17 ans – elle en a 21 aujourd’hui. Elle est alors lycéenne en 1ère.  Comme beaucoup de jeunes, sa vision du monde est bouleversée par la pandémie de Covid-19. « Nous avons vécu un sentiment d’impuissance, face à tout ce que nous voyions dans les médias. Nous avons été témoins de l’incapacité de beaucoup de gens à faire face dignement à cette crise qui était, en plus d’être sanitaire, économique et sociale, se souvient-elle. Les étudiants dans la solitude, ça m’a beaucoup touchée. Après cette crise, j’ai voulu voir comment je pouvais peser sur les événements, aider à mon échelle. » Elle frappe à la porte du Secours populaire dans le Val-d’Oise, où elle a grandi et vit alors. On lui confirme que malgré son jeune âge, elle peut s’engager. Elle choisit l’accompagnement éducatif et scolaire et intervient au sein d’un centre d’hébergement d’urgence, auprès d’enfants primo-arrivants. « Ils étaient passés par des choses inhumaines, qu’un enfant de 8 ans ne devrait jamais vivre, évoque-t-elle, avec une émotion inaltérée. Ils étaient animés par une vraie volonté d’apprendre mais leurs parents ne parlaient pas français et ne pouvaient pas les aider. Alors j’ai tout fait pour leur apprendre ce dont ils avaient besoin. Moi aussi j’ai appris. Ça a été un véritable échange entre nous. » Outre l’aide aux devoirs, elle leur lit des histoires et part en quête de ces moments où « je voyais les yeux des enfants briller. Je voulais leur offrir des moments de beauté ».

Les livres, elle les puise dans le stock de sa maman enseignante, qui l’emmenait avec elle dès qu’elle allait manifester – et c’était souvent ! « De là est née ma conscience que ce monde était empli d’injustices. C’est aussi là que j’ai vu des gens se regrouper et lutter pour une même cause. » Bertille pressent cependant que la solidarité ne peut pas tout. Elle l’entrevoit tôt, aux côtés des mamans des enfants qu’elle accompagne pour leurs devoirs. « J’étais témoin de l’immense précarité dans laquelle ces familles se débattaient, de la violence systémique dont elles étaient victimes. Certains soirs, je rentrais chez moi avec un grand sentiment de tristesse. Mais ça m’a convaincue qu’il fallait agir pour que ça change. » Ces moments de rencontre et de répit, cette confiance et cette dignité retrouvées, ces parenthèses de beauté, enfin, que permet la solidarité, « cette fraternité et cette entraide qui se réalise naturellement, sans obligation morale » – cela demeure irremplaçable. Peser sur le réel : telle est la volonté inflexible de la jeune femme : changer le monde, changer des vies. « Peut-être est-ce égoïste de ma part, mais j’ai besoin de me sentir utile, d’apporter ma petite pierre à l’édifice. Si je ne suis pas dans l’action, je sens que je m’étiole. »

Bertille va au-devant des Strasbourgeois afin de les sensibiliser à la « Semaine d’animations autour de la solidarité en Palestine » organisée par la fédération du Secours populaire du Bas-Rhin. ©JM Rayapen/SPF

La veille, elle participait à l’occupation de l’école au sein de laquelle elle étudie l’art et le design. Avec d’autres étudiants, elle lutte contre « une politique de précarisation du corps enseignant, pour que leur dignité et celle des étudiants soit respectée. En tant que future travailleuse de la culture, c’est dès aujourd’hui que je dois me battre ». Quand on lui demande ce qu’elle y apprend, Bertille répond « toucher du bois, frapper sur du métal, travailler du verre » – à nouveau, c’est le geste qu’elle loue, l’acte de transformer la matière qu’elle célèbre. L’art et la culture sont, avec son engagement social, le cœur de son existence ; depuis quinze ans, elle pratique l’art dramatique. « Le théâtre, c’est quelque chose de brûlant ; il répond à mon besoin de bouger et, en même temps, de puiser au fond de moi. Ca engage tout mon corps. » L’apprentie comédienne espère se professionnaliser dans les arts de la rue, car ils savent toucher le plus grand nombre. « Ce qui me fait très peur, c’est de devenir une personne privilégiée qui fait de l’art pour des personnes privilégiées », tranche-t-elle. « On a tous besoin d’art. Il peut être vecteur de messages politiques, d’espoir et de rêverie. Il permet de dévoiler le beau, de créer des instants de splendeur. Accéder à la culture, ça permet de voir la vie de manière différente. L’art est un endroit de rencontre, où tout devient possible. »

« Si on perd toute confiance en l’avenir, alors on ne fait plus rien »

Depuis qu’elle est arrivée à Strasbourg à la rentrée 2023, outre le champ vaste de la solidarité internationale et son investissement lors des collectes, Bertille s’est engagée dans la création de l’antenne étudiante du Secours populaire, qui verra le jour sur le campus en septembre 2024. L’ouverture culturelle y sera centrale. « Nous organiserons de l’aide alimentaire pour les étudiants précaires, et nous proposerons des ateliers artistiques, notamment de théâtre, des sorties culturelles, un accès au sport. » A nouveau, pour définir cette antenne à laquelle œuvrent les bénévoles du Secours populaire, la jeune femme invoque la notion de partage. « Nous espérons que l’antenne sera un lieu d’échanges pour pouvoir sortir de la solitude les étudiants qui n’ont pas d’argent pour aller dans les bars ou autres. » Dans le cadre de son engagement syndical étudiant, elle est quotidiennement témoin de la détresse de ses camarades qui se confient à elle : la pauvreté, l’isolement mais aussi les violences sexistes et sexuelles. « Tout ça me remue et me fait prendre conscience du besoin d’aide qu’ont les étudiants, qui sont parmi les premières victimes de la crise. » En s’investissant dans l’antenne étudiante du Secours populaire, Bertille embrasse un enjeu social et économique majeur et revient à la source même de son engagement – la souffrance de toute une part de la jeunesse de notre pays, mise à nu par la pandémie.

Comme la plupart de la jeune génération, Bertille accueille avec angoisse les futurs incertains. Le dérèglement climatique, les sécheresses, la fonte des glaces et la montée des eaux, les épisode d’émigration massifs qui s’ensuivront, la misère, les tensions et les guerres que ces derniers provoqueront – « C’est terrible de se dire que des choses comme ça se passeront », alerte-t-elle. Si l’avenir est effrayant, des avancées sociales se feront, la solidarité ira croissante. « Il faut rester confiants. Si on perd toute confiance en l’avenir, alors on ne fait plus rien. J’espère que je garderai la force de me battre pour ce que je veux, pour ce que je pense et, surtout, pour les autres. » Les autres : ses camarades étudiants que la solitude et la précarité abîment, les êtres qui tombent sous les bombes à des milliers de kilomètres de là, ces enfants qui en ont trop vu et dans les yeux desquels elle s’est attachée à déposer quelques instants de splendeur. 


Solidarité Palestine, les initiatives se multiplient


Sur le terrain, les bénévoles agissent pour soutenir notre partenaire palestinien PMRS. A Strasbourg s’est tenue du 15 au 22 avril une « Semaine d’animations autour de la solidarité en Palestine ». Les fonds collectés lors de la braderie solidaire, la table ronde et l’exposition photographique, ainsi que la soirée quiz & karaoké – soit environ 7000 € – ont été entièrement affectés aux actions conduites par PMRS pour permettre l’accès aux soins de la population palestinienne. A Montreuil les bénévoles du comité étaient présents sur le marché de la ville dès le 17 mars et ont collecté 2800 euros. La semaine suivante, le 23 mars, c’est sur le marché de Trappes que les gilets bleus du Secours populaire se sont donné rendez-vous avec leurs troncs, leurs flyers et leurs affiches, ce qui a permis de collecter plus de 1650 euros. Une action organisée à Aubergenville par l’association les « Lionnes d’ici et d’Afrique » a rapporté près de 2500 euros supplémentaires. La totalité de la collecte a été reversée à PMRS. Un peu plus au sud, à Toulouse c’est le collectif « Unitum Artists » qui s’associe au Secours Populaire au travers d’une vente aux enchères spéciale « Art Wake Up » pour soutenir PMRS afin de continuer l’accès aux soins des populations civiles. Une autre partie des fonds collectés sera reversée à des artistes palestiniens. La vente aux enchères a lieu le 4 mai 2024 à la Bourse du travail de Toulouse à 14h.