Accès aux droits : le filtre du numérique

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Trois intervenants ont débattu puis ont répondu aux demandes de précisions ou aux remarques du public ©Jean-Marie Rayapen/SPF

Un Séminaire populaire a été consacré, mi-novembre, à la question qui interpelle le monde associatif : « Digitalisation, numérisation : les oubliés des services publics ».

Désormais 80% des démarches administratives peuvent – ou doivent – se faire en ligne. Cet accès numérique devait les rendre plus rapides. Mais, les enquêtes montrent – comme celle publiée, en octobre, par la Défenseure des droits – que 6 Français sur 10 rencontrent des difficultés pour réinscrire en ligne leurs enfants à la cantine ou actualiser leur situation à la CAF, etc. Plus grave encore, « près d’un quart des usagers abandonnent » leurs démarches.

La vidéo pour voir ou revoir le Séminaire populaire, découvrir des situations et vous interroger…

1/ Au Secours populaire, une quarantaine de fédérations ont créé des ateliers pour faciliter l’accès aux droits des personnes en difficulté avec le numérique.  Christophe Ceylan est conseiller numérique dans l’un des 13 Solidaribus qui sillonnent les zones blanches…

Je me rends en Solidaribus dans des villages autour de Toul qui sont éloignés de tout service public. J’y organise des ateliers thématiques, par exemple, ‘‘comment créer sa boîte mail ?’’, ‘‘comment envoyer un mail ?’’ Durant les rendez-vous individuels, j’aide les gens à faire leurs déclarations à la CAF ou à vérifier sur leur compte Amélie si leurs soins ont bien été remboursés. J’aide beaucoup de retraités, mais aussi de plus en plus de jeunes de Toul qui n’ont pas l’habitude du langage administratif. Le but est de les rendre autonomes.

Christophe Ceylan, conseiller numérique
« Malgré le logo du Secours populaire, les gens qui viennent me voir ne m’identifient pas toujours tout de suite. Ils se détendent quand ils comprennent que je ne suis pas un agent de l’État », témoigne Christophe Ceylan ©Jean-Marie Rayapen/SPF

2/ Chercheuse en sciences sociales et consultante indépendante, Anne-Charlotte Oriol a mené une étude sur le non-recours aux droits dans 7 Centres communaux d’action sociale de Seine-Saint-Denis. L’introduction du numérique a renforcé les inégalités sociales existantes, au lieu de les atténuer…

La notion d’inégalités socionumériques ou sociales numériques permet d’exprimer le fait que les inégalités numériques relèvent avant tout des inégalités sociales et économiques. Les termes, comme ‘‘exclusion numérique’’ ou ‘‘fracture numérique’’, qu’on utilise beaucoup ont tendance à ramener toute la problématique à l’univers du numérique. Alors que les difficultés qu’on rencontre avec le numérique sont liées à de nombreux facteurs qui dépendent de notre position sociale. En l’occurrence, si on est riche, on a moins de difficultés en général avec le numérique que si on est pauvre ; de même que si on a fait des études, etc.

Anne-Charlotte Oriol, sociologue
« La numérisation croissante – exponentielle par certains aspects – de nos sociétés renforce les inégalités déjà existantes et affecte fortement les conditions d’existence des personnes migrantes », a souligné Anne-Charlotte Oriol ©Jean-Marie Rayapen/SPF

3/ La digitalisation s’est accompagnée de nombreuses fermetures de points d’accueil du public, de la réduction du nombre de guichets et de personnels. Jusqu’à créer des trous parfois béants dans le maillage local des services publics. « Attention à la tentation du tout numérique », alertait il y a déjà plusieurs années Daniel Agacinski, délégué général à la médiation et directeur de l’action territoriale auprès de la Défenseure des droits. Pour lui, le contact humain est indispensable…

Le développement du numérique s’est souvent accompagné du fantasme de l’automatisation du service public. Cette idée qu’on arriverait à rendre au moins aussi bien, voire mieux, le service public sans un élément qui me paraît fondamental : sa dimension relationnelle. Alors bien sûr, on est content, dans bien des cas, de pouvoir faire en quelques clics une démarche qu’auparavant on aurait dû faire au guichet ; sauf que le service public, c’est aussi les situations atypiques. C’est le besoin d’être rassuré, d’être accompagné, d’être éclairé sur des choix qu’on a à faire, sur les démarches à entreprendre.

Daniel Agacinski, responsable auprès de la Défenseure des droit
« Garants de l’intérêt général et du respect de l’égalité, les services publics tissent aussi une relation singulière avec chacun d’entre nous. Seul l’accès aux services publics peut assurer l’effectivité de notre statut de sujets de droits », analyse Daniel Agacinski ©Jean-Marie Rayapen/SPF